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Sur la piste des bergers corses dans le Niolu et en Castagniccia : témoignages de la mémoire marrane

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אֶשָּׂא עֵינַי, אֶל-הֶהָרִים–    מֵאַיִן, יָבֹא עֶזְרִי. Je lève les yeux vers les montagnes, pour voir d’où me viendra le secours.
יְהוָה שֹׁמְרֶךָ;    יְהוָה צִלְּךָ, עַל-יַד יְמִינֶךָ. C’est l’Eternel qui te garde, l’Eternel qui est à ta droite comme ton ombre tutélaire.
  יוֹמָם, הַשֶּׁמֶשׁ לֹא-יַכֶּכָּה;    וְיָרֵחַ בַּלָּיְלָה. De jour le soleil ne t’atteindra pas, ni la lune pendant la nuit.

Psaume 121

« C’est le Niolo, la patrie de la liberté corse, la citadelle inaccessible d’où jamais les envahisseurs n’ont pu chasser les montagnards … Quand on lève les yeux vers les crêtes, on s’arrête ébloui et stupéfait … Le ciel au-dessus semble violet, lilas, décoloré par le voisinage de ces étranges montagnes. »

Guy de Maupassant, Un bandit corse – 1882

Témoignages de croyances marranes dans le Niolu et en Castagniccia

niolu

Voici ce que m’ont confié deux bergers du Niolu : Antoine et Manuel qui se reconnaîtront. Les photos sont de l’un d’eux. Je les remercie avec une immense gratitude.

Peu à peu les pièces du puzzle de la mémoire juive profonde de Corse s’assemblent… avec le Niolu on est au cœur de la mémoire et de l’âme Corse, fragments de mémoire.

Carte

Casamalccioli, les maguen David de la Santa di Niolu

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Casamalcioli, Niolu

Casamaccioli (95 habitants dans la commune) est perché à 1 553 mètres d’altitude et voisine des communes d’Albertacce et de Calacuccia.

Ce village est le lieu du plus grand pèlerinage religieux de Corse et d’une foire au bêtes ou on fait la fête et des joutes de poètes.

Depuis 5 siècles, le 8 septembre de chaque année, on y célèbre A Santa di Niolu au village de Casamaccioli. On y promène alors A Santa di Niolu… une vierge qui est dans l’église recouverte de maguen David (étoile de David).

Santa_di_u_Niolu

D’où cela vient-il ? très probablement de l’arrivée des marranes par bateau dans cette haute région de Corse.  Françoise Sabiani qui, pendant 25 ans, a été maire de ce joli village du Niolu commente :

« On pense que la statue de Notre-Dame de la Stella est arrivée à Casamaccioli au XVIIIe siècle, car à cette même époque une chapelle y a été construite. On ne sait pas très bien où a été fabriquée cette statue de bois. Peut-être vient-elle de Gènes. Le seul élément dont nous sommes certains, c’est qu’elle a été offerte par un capitaine de navire qui est arrivé par miracle jusqu’en Corse, en suivant une étoile. Ensuite, pour la protéger, les bergers niolins qui étaient au Falasorma l’ont transportée à dos de mule jusqu’ici ». (source)

Il est probable que la maguen David se soit trouvée mixé aux Segnu di salomone local (voir ci-après) dans une mémoire juive marrane qui s’est développée dans cette région. Le 8 septembre au delà de la fête religieuse est le moment où les bergers (chèvres et brebis) redescendent vers la plaine (transhumance).

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Bergers à Casamalccioli, 2016

Cordier et paysans du Niolu

Scala di San Regina, des pierres pour mémoire

Le Golo dans la Scala de San Regina

Dans la Scala de San Regina, La Scala di Santa Regina (Santa r’ghjina en langue corse) le chemin longtemps unique voie de transhumance entre le Niolu et la plaine, Ce chemin millénaire de marches (scale) reliait Aléria à Galéria, la côte orientale à la côte occidentale de la Corse… on pose des pierres sur les lieux de mémoire comme sur les tombes juives.

Scala de santa Regina

 

Corscia, les 4 maguen David et les lunes de l’Eglise

Famille à Corscia

Le sentier de transhumance part de la scala de San Regina part de Corscia (810 m) et descend à Funtana di i Vignenti (504 m).

Dans l’Eglise de Corscia il y a 4 sceaux de Salomon et ensuite deux lunes qui se font face, une lune ascendante et une descendante.

 Segnu di Salomone

A Bococagnu, D-ieu ne manie pas d’espèces à Chabbat

Le proverbe Dans le village de Bocognanu 20 kilomètres plus au sud dans la petit région de Celavu, à coté de Tavera (un mot hébreu qui signifie incendie), où les gens s’appellent Salomon ou Jacob de patronyme Memmi… on dit :

Diu ún  paga micca tutti i sabati, ma da  u rapellu.

D.ieu  ne paye pas tous les samedis (sic) mais il donne le rappel

Les enfants apprennent à lire avec le sceau de Salomon et on marque tous les outils des bergers et les louches à lait de la maguen David. Ici un joug de vache du 19ème siècle :

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La sagesse de Salomon en Castagniccia, église de Carchettu

Dans l’église de Carchettu dans l’ancienne pieve d’Orezza, en Castagniccia on trouve d’étranges témoignages.

La statue du roi Salomon domine au-dessus de l’autel :

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Et cette inscription dans cette église baroque dédiée à sainte Marguerite construite par des artisans locaux de la Castagniccia aux 17e siècle :

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« Marguerite au plus haut des cieux, avant la Lumière, porte de Sion »

on trouve aussi un Salomon et un Jean l’évangéliste sur la chaire en bois.

U CONTU DI SALOMONE dans le Niolu

Voici un extrait d’un document rare écris dans les années 198O écrit en langue Corse à partir des traditions orales des pastore et paesani enseigné aux très jeunes pé i paesani é i pastore qui illustre ce que je dis :

Ce code oral lié à la vie de la lune structure toute la vie des bergers et des cultivateurs, il s’agit non pas d’us et coutumes mais d’une véritable croyance.

La tradition orale des bergers du Niolu U CONTA DI SALOMONE ,U FA é L’INFA di a LUNA parle de  » l’action de la lune dans la vie quotidienne « di i nostri Paese ». « E credenza nantu u Fattu di a Luna » (les croyances sur l’action de la Lune ) . » L’isula sana, a populu fattu, ùn à ché una voce : Una Luna ,qui dice? «  (l’ile entière, le peuple rassemblé , n’a qu’une seule voix : la Lune , que dit-elle ? ) -« Chi Prova Crede é chi ùn Prova ùn Crede « Celui qui applique cette croyance  Croit , celui qui ne l’ applique pas ne Croit pas « .

Le plus étrange dans ce document est l’attention que font ces bergers et paysans à un décompte très précis du calendrier, à la luna nova e vecchia aux jours fastes et néfastes d’un calendrier rythmé par le rythme de la lune.

Nous avons maintenant de sérieuses raisons de croire que cette croyance, sans doute ancestrale dans le Niolu vient des juifs ou tout au moins a été interprétée par eux avant de se fondre dans le culte chrétien.

Pourquoi Salomon ? l’explication par un autre marrane : Spinoza

Un marrane, le philosophe Spinoza dans son Traité théologico-politique sous titré : CONTENANT PLUSIEURS DISSERTATIONS où l’on fait voir QUE LA LIBERTÉ DE PHILOSOPHER NON SEULEMENT EST COMPATIBLE AVEC LE MAINTIEN DE LA PIÉTÉ ET LA PAIX DE L’ÉTAT MAIS MÊME QU’ON NE PEUT LA DÉTRUIRE SANS DÉTRUIRE EN MÊME TEMPS ET LA PAIX DE L’ÉTAT ET LA PIÉTÉ ELLE-MÊME, (voir ici : http://www.spinozaetnous.org/telechargement/TTP.pdf ) écrit à Amsterdam mentionne Salomon, figure du sage, prudent, de philosophe, celui qui donne accès à la science naturelle, celle qui dépend de la seule idée ou connaissance de Dieu permettant la « vraie éthique » et à la « vraie politique ». (T.T.P. p. 205.). Il définit la science de Salomon (cité 39 fois !) comme une philosophie naturelle qui rapporte à D-ieu l’inconnu dans la nature.

La science naturelle de Salomon est aussi appelée science de Dieu, c’est-à-dire science divine, science extraordinaire. Les Psaumes parlent aussi des cèdres de Dieu pour en exprimer la prodigieuse hauteur. Dans Samuel (chap; XI, vers, 7), pour signifier une crainte extrême, il est dit: « Et une crainte de Dieu tomba sur le peuple.  » C’est ainsi que les Juifs rapportaient à Dieu tout ce qui passait leur portée, tout ce dont ils ignoraient alors les causes naturelles. (Pg 17)

Spinosa rend un vibrant hommage à Salomon de plusieurs pages que nous ne pouvons ici que citer :

« Je veux parler de Salomon, et l’on sait assez que sa prudence et sa sagesse sont célébrées dans l’Écriture plus encore que sa piété et son caractère de prophète. Ce sage roi dit en ses Proverbes que l’intelligence humaine est la source de la vie véritable, et que le plus grand des maux, c’est l’ignorance. Voici ses propres paroles (chap. XVI, vers. 23) : « La source de la vie, c’est l’intelligence de celui qui est le maître de l’intelligence, et le supplice des esprits aveugles est dans leur aveuglement même [1] . » On remarquera ici que, par le mot vie, employé dans un sens absolu, il faut entendre en hébreu la vie véritable, ainsi qu’on en trouvera la preuve évidente dans le Deutéronome » (pg 47-49)

En hébreu Dieu est Emet, Vérité. Celui qui le comprend par son intelligence est un juste.

Salomon est aussi défini par lui comme un prophète qui « excellait entre les hommes par sa sagesse », ces « prophètes se distinguaient par une vertu singulière et au-dessus du commun, qu’ils pratiquaient la vertu avec une constance supérieure, enfin qu’ils percevaient l’âme ou la volonté ou les desseins de D-ieu » (pg. 20), « Salomon, Isaïe, Josué, etc., quoique prophètes, étaient hommes, et rien d’humain dès lors ne leur était étranger » (pg. 27). ; « personne, dans l’Ancien Testament, n’a mieux parlé de Dieu selon la raison que Salomon, dont les lumières naturelles surpassaient celles de tous les hommes de son temps » (Pg 29). « Salomon : enseigna que les biens de la fortune ne sont que vanité (voyez l’Ecclésiaste), que rien dans l’homme n’a plus de prix que l’entendement, et que la plus grande des punitions, c’est d’en être privé (Proverbes, chap. XVI, vers. 23). » (Pg. 29-30)

Il est donc possible que pour les marranes privés du judaïsme et méfiants face au christianisme, la figure de Salomon faisait juge de paix. Se remettre au calcul des cycles de lune revenait à s’intégrer dans la loi véritable, celle du cosmos et de son calendrier luni-solaire.

Il est probable que les références constantes dans ces églises à Solomon au-dessus de l’autel), à la maguen David, à la luna nova é la luna vecchia et au calendrier rappelait au fidèle le judaïsme au nez et à la barbe des autorités ecclésiastiques probablement complices (Le christianisme est structurellement un syncrétisme avec les cultures qu’il rencontre, grecque, indienne, africaine, etc…).

Il est probable que ces éléments étranges évoquent une forme d’âme marrane scindée, une double allégeance, que décrit très bien Yirmayaou Yovel. L’essentiel restant de maintenir la vraie tradition, celle du CONTU DI SALOMONE.

La Lune dans le judaïsme

Le temps se dit Zémane en hébreu le judaïsme est fondamentalement une sanctification du temps. La lune en est un des principaux indicateurs. (Lire l’article du Rav Haïm Harboun qui suit sur ce sujet :  LE TEMPS JUIF)

La lune dans la Genèse

Berechit dit vayomer Elohim Yeei meorot : « D-ieu dit: « Que des astres apparaissent dans l’espace des cieux, pour distinguer entre le jour et la nuit; ils serviront de signes pour les saisons, pour les jours, pour les années » « Astres ou luminaires » en hébreu se dit « haMa’or » – מאור, de la racine Aour, lumière.

Une lumière que le Créateur a créé en premier au iom ehad, « jour UN ». « Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres, il les appela Nuit. Il fut soir, il fut matin, jour UN (yom ehad). » (Gn 1, 5)

Les DEUX luminaires qui servent à inscrire l’homme dans le temps proviennent de l’unité primordiale. « Pour régner le jour et la nuit, et pour séparer la lumière des ténèbres. Dieu considéra que c’était bien » (Gn 1, 16). Il sont une bénédiction pour l’homme.

Le passage du UN au deux, de la lumière aux astres (mehorot) du jour et de la nuit permet de « séparer » pour générer, de passer du singulier au pluriel, de UN au DEUX. Ainsi nait la génération ; et le temps propre à l’homme.

La lune dans la tradition juive

Le judaïsme est une sanctification du temps qui fait coïncider l’instant fugace de l’homme avec l’éternité de l’Eternel. Est juif celui qui sanctifié le temps et prends le joug des cieux (règne de D.) la torah (Torah vemitzvot).

Dans le judaïsme, la journée commence le soir à l’arrivée de la Lune… car « Il y eut un soir, il y eut un matin. » (Gn 1, 5.8.13.19.23.31).

Comme la lune meurt et renaît à tous les 29 jours, elle est le symbole de la naissance, du perpétuel recommencement du temps. Elle symbolise la vie qui se renouvelle sans cesse, la Création.

La lune est si importante dans le judaïsme que le mot « mois » n’existe pas en hébreu. « Mois », se dit « lunaison » yérah… qui vient de yaréah qui signifie « lune » (Ex 2,2) ou l’on parle de Roch Hodesh pour désigner le premier jour du mois, la « nouvelle lune » qui vient de roch « la tête » ou « au commencement » (ex : Be-rechit) et de de l’adjectif hadach qui signifie « nouvelle » en hébreu (Ex 23,15), sous-entendu : « de la  lune ».

À l’époque du second Temple, on annonçait la Nouvelle Lune de nuit : deux témoins, après avoir scruté le ciel, allait l’annoncer au Sanhédrin qui proclamait officiellement la nouvelle lune et on propageait cette nouvelle par des sémaphores (feux allumés) sur des hauteurs de Jérusalem à toute la diaspora comme en la Babylonie (d’où le second jour de fête en diaspora, pour être sur du délai).

Pour célébrer Chabbat, la fête des fêtes, le vendredi soir, on attend la lune et 3 étoiles dans le ciel, de même pour sa sortie (Havdala) , le samedi soir.

L’heure de la prière est toujours en relation avec le ciel. Netz (le lever du soleil, 6h48 aujourd’hui à Paris) ou l’on doit dire chaarit (l’office du matin) et La chkia (21h00) qui détermine le coucher du soleil et 15 minutes plus tard, l’heure ultime de minha (prière de l’après midi).

Calendrier

Ces prières à heure fixe ne sont obligatoires que pour les hommes. Pourquoi pas les femmes ? parceque la femme, dont le corps est marqué par le cycle lunaire est considérée comme parfaite car naturellement lié au cycle de la Lune.

Ce jour là on bénit la lune, mais aussi à la sortie du Chabbat par la Birkat halévana. (bénédiction de la lune)

L’année est rythmée par les douze mois lunaires une pratique d’origine babylonienne. Mais la différence de 11 jours entre l’année lunaire et l’année solaire est comblée en ajoutant à tous les 2 ou 3 ans, un mois de plus au dernier mois de l’année : le mois d’Adar.

Les grandes fêtes de pèlerinage, d’origine agraire : Souccot (fête des Tentes), fête de l’engrangement des récoltes ; et Pessah (Pâque), qui tombe au mois de Nissan (Nissan vient du sumérien nisag qui signifie « prémice » des récoltes)… tombent toujours une pleine lune.

La Lune dans la Cabbala

Le Zohar résume :

« Lorsque la Lune était unie au Soleil, elle était lumineuse, mais dès qu’elle s’est séparée du soleil et qu’il lui fut assigné la charge de ses propres hôtes, elle réduisit son statut et sa lumière. “D-ieu fit les deux grands luminaires” (Genèse 1:16). Le mot “fit” signifie l’expansion et l’établissement du tout. Les mots “les deux grands luminaires” montrent qu’au départ ils étaient associés et égaux, symbolisant le nom complet de IHVH Élohim… Le mot “grand” montre qu’à leur création ils furent sanctifiés du même nom et accédèrent ensemble à la même dignité. La lune cependant n’était pas à l’aise avec le Soleil et en fait se sentait mortifiée par lui. La lune dit, “Où paissent tes moutons ?” (Cant des Cant 1:7). Le Soleil dit, “Où les fais-tu se reposer à midi ?” (Cant des Cant 1:7). Sur ce, Dieu lui dit, “Va et diminue-toi”. Elle se sentit humiliée et dit, “Que je ne sois pas celle qui se voile elle-même” (Cant des Cant 1:7). D-ieu dit alors “Va et suis les traces de ton troupeau”(Cant des Cant 1:8). Sur ce, elle se diminua afin d’être la tête des rangs inférieurs. À partir de cette époque, elle n’eut plus de lumière propre, mais reflète sa lumière du Soleil. Au départ ils étaient égaux, mais ensuite elle se diminua parmi tous ses rangs à elle, bien qu’elle reste leur chef ; car une femme ne jouit d’aucun honneur si elle n’est en conjonction avec son mari ». (Zohar, Berechit 19b-20a)

 

« La lune dit devant le Saint béni soit-Il : Est-il possible qu’un seul Roi se serve de deux couronnes en même temps ? Non, l’une à part et l’autre à part. Il lui dit : Je constate que tu désires être la tête des renards. Va et fais-toi petite, et bien que tu sois leur tête, tu seras diminuée par rapport à ce que tu étais. C’est ce que dit la lune : “Raconte-moi, ô toi que mon âme aime, où tu mènes paître le troupeau” (Cant des Cant 1-7), comment est-il possible pour toi de diriger le monde avec deux couronnes en même temps. “Où tu le fais gîter à midi” (Cant des Cant 1-7) : la Lune en effet n’est pas apte à briller et il t’est impossible de diriger le monde avec deux couronnes ensemble, avec la lune et le soleil – qu’est-ce que la lumière de la lune à midi ?

” Pourquoi serais-je comme une errante ? ” (Cant des Cant 1-7). Alors je serai moi enveloppée à midi, lorsque la lumière et l’ardeur du soleil iront augmentant. Je serai couverte de honte devant lui et je ne pourrai pas servir devant Toi. Quant à Toi, comment pourrais-Tu diriger en te servant de deux couronnes à la fois ?

Le Saint béni soit-Il lui dit : Je t’ai comprise ! Va et fais-toi petite, « Si tu ne le sais, ô la plus belle d’entre les femmes » (Cant des Cant 1-8), car tu as dit qu’il m’était impossible de conduire le monde avec deux couronnes à la fois, va et fais-toi petite, tu seras donc la tête des renards.

” Sors donc sur les talons des brebis” (Cant des Cant 1-8) : sors et sois la tête de ces foules et soldats d’en bas, fais-les paître et conduits-les et sois roi de tous les êtres inférieurs, dirige chacun d’eux comme il lui sied et règne pendant les nuits. Bien sûr, sors et fais-toi petite, telle est la chose qui te convient” ».

Zohar sur le Cantique des Cantiques, collection « Les Dix Paroles », traduction Charles Mopsik, Verdier 1999.

 

 שִׁיר, לַמַּעֲלוֹת:
אֶשָּׂא עֵינַי, אֶל-הֶהָרִים–    מֵאַיִן, יָבֹא עֶזְרִי.
Cantique des degrés. Je lève les yeux vers les montagnes, pour voir d’où me viendra le secours.
עֶזְרִי, מֵעִם יְהוָה–    עֹשֵׂה, שָׁמַיִם וָאָרֶץ. Mon secours vient de l’Eternel, qui a fait le ciel et la terre.
אַל-יִתֵּן לַמּוֹט רַגְלֶךָ;    אַל-יָנוּם, שֹׁמְרֶךָ. Il ne permettra pas que ton pied chancelle, celui qui te garde ne s’endormira pas.
הִנֵּה לֹא-יָנוּם, וְלֹא יִישָׁן–    שׁוֹמֵר, יִשְׂרָאֵל. Non certes, il ne s’endort ni ne sommeille, celui qui est le gardien d’Israël.
יְהוָה שֹׁמְרֶךָ;    יְהוָה צִלְּךָ, עַל-יַד יְמִינֶךָ. C’est l’Eternel qui te garde, l’Eternel qui est à ta droite comme ton ombre tutélaire.
  יוֹמָם, הַשֶּׁמֶשׁ לֹא-יַכֶּכָּה;    וְיָרֵחַ בַּלָּיְלָה. De jour le soleil ne t’atteindra pas, ni la lune pendant la nuit.
  יְהוָה, יִשְׁמָרְךָ מִכָּל-רָע:    יִשְׁמֹר, אֶת-נַפְשֶׁךָ. Que l’Eternel te préserve de tout mal, qu’il protège ta vie!
  יְהוָה, יִשְׁמָר-צֵאתְךָ וּבוֹאֶךָ–    מֵעַתָּה, וְעַד-עוֹלָם. Que le Seigneur te garde au départ et au retour, maintenant et pour l’éternité!

Psaume 121

 

 

 

 

[1] Cette expression : le maître de l’intelligence, est un hébraïsme. Celui qui possède une chose ou qui la contient dans sa nature est dit le maître de cette chose. C’est ainsi qu’en hébreu on appelle l’oiseau le maître des ailes, parce qu’il a des ailes ; et de même, l’homme intelligent est le maître de l’intelligence, parce qu’il est doué d’intelligence. (Note de Spinoza.)



« Quand il voit que le monde est si coupable et qu’il mérite la destruction, l’Eternel se déplace Lui-même du trône de la Justice à celui de la Miséricorde » (Talmud)

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Nous sommes entrés ce mardi soir dans le mois d’Elloul qui nous conduit à Roch Achana et aux 10 jours redoutables. C’est la période des Selihot (de sliha’, « pardon »), dites avant l’aube.

Au cœur de nos ténèbres

Un jour j’ai vu mon maître pleurer et ne pas arriver à finir de prononcer ces mots un jour de Kippour, les mots d’une prière qu’on appelle le Vidouy qui consiste à énumérer ses fautes. Il les disait pour nous tous en cet instant.

L’ambiance de ce moment où nous étions solidaires et anéantis autour de ce vieil homme est resté à jamais gravé dans mon esprit. Massé Avot… siman levanim.

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Une autre fois j’ai vu une femme russe se faufiler comme une ombre et prier contre le kotel, dans le fouilles (Photo DL).  Il y avait chez elle une intensité extrême. Elle faisait littéralement « exister D ». Personne ne sait prier et c’est toujours « la  première fois ».

Chacun de ces mots de la prière du Vidouy répétés depuis un millénaire au moins dit une partie tragique de nous-mêmes à laquelle nul ne peut échapper :

« De grâce Eternel notre D. et D. de nos pères, que Te parvienne notre prière et n’ignore pas notre demande, notre Roi, car nous ne sommes effrontés et obstinés pour dire devant Toi Eternel notre D. et D. de nos pères que nous sommes des justes et n’avons pas fauté, mais nous avons fauté, péché et T’avons offensé nous et nos pères et les membres de notre maison : Nous avons été coupables, nous avons trahi, nous avons volé, nous avons médit, et calomnié nous avons détourné, nous avons fait le mal, nous avons fauté avec préméditation, nous avons été violents, nous avons mêlé le mensonge et la fourberie, nous avons donné de mauvais conseils Nous avons menti, nous avons été coléreux, nous avons raillé, nous nous sommes révolté, nous avons rebelles à Tes paroles, nous avons outragé, Nous nous sommes dépravés. Nous avons péché, nous T’avons outragé. Nous avons altéré, nous T’avons été hostiles. Nous avons affligé père et mère, nous avons été entêtés, nous avons fait le mal, nous nous sommes corrompus, nous avons commis l’abominable, nous nous sommes fourvoyés et nous nous sommes raillés nous nous sommes égarés de Tes mitsvot et de Tes lois de droiture et cela ne nous a rien rapporte, et Toi Tu Es juste pour tout ce qui s’abat sur nous car Tu fais la vérité et nous avons commis le mal »

Evidemment nous pouvons être complètement écrasés par cette réalité de notre obscurité fondamentale. Nous sommes les rois pour échapper à tout un tas d’actes généreux (mitsvot) qui ne nous semblent pas si importants que cela à la réflexion, pour regarder les grandes qualités de nos conjoints mais surtout leurs petits défauts, quand nous n’avons pas, à D. ne plaise ! une femme que nous aimons tendrement et une (ou deux !) maîtresses passionnément… Nous savons nous organiser pour faire tomber notre prochain qui a déjà bien du mal à marcher, pour écraser des proches parce que nous n’avons jamais guéri de nous sentir trop petits, pour dire du mal et tuer à distance ce qui nous fait peur, ce lachon ‘hara qui à la différence d’un 11,43 peut tuer à bien plus longue portés que n’importe quelle arme. Quant aux mensonges que nous nous racontons à nous même toute la journée… nous ne les comptons plus… jusqu’à ne plus savoir nous-même où nous en sommes sur nous-mêmes, etc… l’âme humaine et son imagination à faire le mal est un puit sans fond de détresse et de malheur, nul n’en est indemne et la reconnaissance de notre volonté au mal est le premier pas du retour (techouva).

 

« L’Eternel est mon refuge: comment pouvez-vous le dire : « Comme un oiseau, Fuis vers la montagne? » (Ps 11)

Mais pendant que nous nous activions sans scrupule Ribbono Chel Olam, le Maître du Monde est resté patient.

« Tu Es D. de bonté lent à la colère Maître de la clémence, la grandeur de Ta miséricorde et de Ta bonté Tu Te souviendras aujourd’hui pour la descendance de tes proches, comme Tu l’as montré à l’humble jadis, ainsi qu’il est écrit dans Ta Torah, l’Eternel descendit par la nuée et se tint là avec lui, il l’appela par son Nom, Eternel et il est dit. »

Mais à qui sait descendre au fond de lui et s’accepter comme tel et reconnaitre sa faute, à l’Anaw (humble d’une racine qui signifie courbé) comme Moïse « l’homme le plus humble que la terre ait porté », Ha Kadoch ou baroukh ou, D. le Saint béni soit-Il, révèle son Nom dans le Vayavor.

« L’Eternel passa (Vayaavor) devant lui et Il proclama : Eternel ! Eternel ! l’être éternel Tout puissant, miséricordieux, clément, lent à la colère, grand en tendresse et en vérité, Il garde Sa grâce à deux mille générations, supporte les offenses et les rebellions, les fautes et les efface. Miséricordieux et clément nous avons fauté devant Toi aie pitié de nous et sauve-nous »

Aussitôt Moïse s’inclina jusqu’à terre et se prosterna. (Ex 34, 6-8)

A Kippour nous lisons 26 fois le Vaya’avor (2 x 13). En cette phrase de la Torah sont condensés les 13 attributs de la miséricorde de D. ses 13 noms, 13, la valeur numérique du mot EHAD (UN).

Le Talmud dit que l’Eternel s’enveloppa dans un Talit et que Moïse ne vit que le nœud des teffilines sur sa nuque. Il montra ainsi à Moïse le rituel de la prière.

יהוה  1 – « Éternel »

יהוה  2 – « Éternel »

Moise répète 2 fois « Éternel ». Nos sages nous ont dit que le premier fait référence à D.ieu envers l’homme qui a fait techouva après la faute. Celui-ci retrouve le D. d’avant la faute. L’Eternel est sans rancœur.

אל    3 – « D.ieu tout Puissant »

El désigne D. dans sa puissance, une puissance d’amour

רחום    4  – « Miséricordieux »

RaHaMim a la même racine que ReHeM (l’utérus) qui est l’organe qui donne la vie, D. est comme une femme qui donne la vie, pur don.

Johanan dit au nom de R. Jose: Comment savons-nous que le Saint, béni soit-il, dit-il des prières? Parce qu’il dit: « Je les amènerai sur ma montagne sainte, Et je les réjouirai dans ma maison de prière; Leurs holocaustes et leurs sacrifices seront agréés sur mon autel; Car ma maison sera appelée une maison de prière pour tous les peuples » (Is 56, 7) On ne dit pas, ‘leur prière’, mais ‘Ma prière’; Ainsi on apprend que le Saint, béni soit-Il, dit des prières. Qu’est-ce qu’il prie ? – R. Zutra b. Tobi a dit au nom de Rab: «Que ce soit Ma volonté que ma grâce supprime ma colère et que ma miséricorde prévale sur mes autres attributs, afin que je puisse traiter avec mes enfants avec miséricorde et, En leur nom, et qu’on ne tiennent pas compte de la limite de la justice stricte ». (TB Berakkot 7a)

 

 

Rabah a dit au nom de Rab: «Le jour se compose de douze heures; Au cours des trois premières heures, le Saint, béni soit-il, s’occupe de la Torah, pendant les trois suivantes, il siège pour le jugement sur le monde entier, et quand il voit que le monde est si coupable qu’il mérite la destruction, il se déplace Lui-même du trône de la Justice au trône de la Miséricorde… » (TB Avoda Zara 3b)

Nos Sages ont enseigné (Yoma 86a) que le repentir est si grand qu’il atteint le Trône de gloire

וחנון      5– « et gracieux »

Le mot HaNoun est proche de HiNam en hébreu (la gratuité). Dieu fait grâce et rien en l’y oblige c’est l’évènement absolu.

ארך אפים   6 – « lent à la colère, longanime », D. est La Patience qui laisse le temps de se repentir, Il nous donne notre chance.

רב חסד  7   – « Grand en grâce »

ואמת     8 – et d’équité, de vérité.

נצר חסד לאלפים  9   –  « Il conserve sa grâce des milliers de générations », au minimum 2000 puisque c’est un pluriel dit Rachi. (2000 x 20ans = 40 000 ans au minimum). 40 le chiffre éternel.

נשא עון     10– « Il supporte la faute »

ופשע    11  – « Il supporte la rébellion »

וחטאה    12  – « (Il supporte) le péché »

D.ieu supporte les « hataa » fautes commises par légèreté ou inadvertance.

ונקה    13  – il innocente, « nettoie »

Ces 13 attributs de clémence ne peuvent être récitée par un individu seul, elles nécessitent la présence d’un Minyan, les dix hommes juifs qui forment l’assemblée. Moïse tout seul les entends car il est le chaliah tsibour « l’envoyé de l’assemblée » qui dit la prière au nom de tous, au service du peuple et non de ses intérêts privés, quand il prie c’est l’ensemble d’Israël qui prie.

La techouva a été créé avec le Trône de Dieu et le nom du Machiah pendant les six jours de création (maassé Berechit) dit le Talmud.

Nous ne nous appuyons pas sur nos propres mérites pour changer… tout simplement car nous n’en avons pas. Rahamana liba bayé, « Le Miséricordieux demande le cœur » en araméen, D. ne veut que le cœur. Nous ne pouvons-nous appuyer que sur notre faiblesse et les mérites de nos pères. Massé Avot Siman levanim, « les actes des pères sont des signes pour leurs enfants ». La prière dit :

« Calme Ta colère à cause de l’amour d’Abraham, à cause du sacrifice d’Isaac, à cause de la pureté de Jacob ».

Pourquoi ?

Pourquoi dit-on cela ? Pour que nous changions et que nous ne nous contention pas de la contrition mais réparions nos fautes. Pourquoi nous énumérons les noms du Miséricordieux ?

“Sois semblable à Lui : de la même façon qu’Il est clément et patient, sache faire preuve de patience et de tolérance ” (Shabath 133 b).

 

« Rabbi Hama bar Hanina a dit : De la même façon que la Bible nous dit de Dieu qu’Il a donné des vêtements à des hommes qui n’en avaient pas (Gn 3), nous devons donner des vêtements à ceux qui n’ont pas les moyens de s’habiller ; de la même façon que la Bible nous dit de Dieu qu’Il a rendu visite à quelqu’un qui souffrait (Gn 18, 1), nous devons rendre visite aux malades ; de la même façon que la Torah nous dit de Dieu qu’Il a procédé à une inhumation (Dt 36, 6), nous devons rendre les derniers devoirs aux défunts. » (TB Sota 14 a)

De la même façon que l’Eternel est patient avec nous, a fait preuve de clémence envers Israël, nous devons nous montrer patients, longanimes, tolérants envers nos semblables.

« La Torah exige l’adhésion du cœur » (Sanhédrin 106 b)

 

La techouva, l’arme absolue

Le pouvoir de la techouva est ultime, créé à la fondation du monde car elle permet de transformer le mal en bien. « Là où se tient le baal techouva, même les justes parfaits ne sauraient tenir » dit le Talmud. L’homme a été créé au lieu de son pardon dit le Talmud. C’est paradoxal.

Nous sommes créés à l’endroit où se trouve notre pardon nous rappelle le Rambam.

C’est une tradition acceptée par tous que l’endroit même où David puis Salomon placèrent l’Autel, la grange de Aravnah, est à l’emplacement de l’Autel construit par Abraham pour y sacrifier Isaac, et aussi le lieu où Noé construisit un autel en sortant de l’Arche, l’autel même où Caïn et Abel apportèrent leur offrande, le lieu où Adam fit une offrande après avoir été créé, et c’est de cet endroit là qu’il fut créé. Nos Sages ont enseigné : » l’homme fut créé de l’endroit où il trouverait son pardon ».(Rambam, Lois de la Maison d’Election, chapitre 2, 2).

Nous sommes créés quand nous rendons les armes. « L’Eternel est le Juste, il aime ce qui est juste: quiconque est droit contemplera son visage » (Ps 11,7)

Celui qui ne descend pas ne peut aller capter la lumière au fond de son puits.


« Si la relation sexuelle n’est pas accomplie avec beaucoup de désir, d’amour et de liberté, la Chekhina (présence divine) n’y est pas présente » (Cabbale, 13ème siècle)

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Kosher Sex

Quel est le « secret » de la relation conjugale ou plutôt de l’union sexuelle des conjoints ? C’est le sujet de l’ Iggeret ha-Qodech, la Lettre sur la sainteté, écrite non pas par Nahmanide comme on le dit parfois, mais plus probablement par Rabbi Joseph ben Abraham Gikatila (1248-1325), un éminent cabaliste disciple d’Abraham Abulafia, en Castille vers la fin du 13eme siècle. Nous avons déjà parlé de Joseph Gikatila  à propos du mariage juif.

Rembrandt-La fiancée juive-Mains-DidierLONG

Rembrandt, la fiancée juive, Photo Meïr Long, Rijksmuseum, Amsterdam

Connue sous d’autres titres, notamment « Les Relations de l’homme avec sa femme » ou encore « Le Dais nuptial », cet opuscule qu’il était de coutume d’offrir aux nouveaux mariés est l’un des plus beaux textes de la Tradition juive sur le couple. Un des plus mystiques aussi.

L’ Iggeret ha-Qodech expose en six chapitres le « secret » (sod en hébreu) de la relation conjugale ou plutôt de l’union sexuelle des conjoints.

Il ne faut pas oublier en la lisant que le secret (sod) est le quatrième niveau d’interprétation de la Torah pour le Kabbalistes. L’acronyme Pardes (paradis) signifiant ces niveaux de lecture : pechat (sens littéral), remez (allusion/ insinuation), derach (interprétation, midrache), sof (le Secret) : niveau ésotérique et métaphysique de révélation des réalités surnaturelles, secrètes et mystérieuses qui se cachent tout en se révélant. Ce sof est le vrai en jeu de la lettre, il est lié à la cosmogonie mystique de la Kabbala, ce que l’auteur appelle le « secret des chars célestes » (massé Merkaba) qui étaient unis l’un à l’autre à l’image d’un mâle et d’une femelle ». Pour la cabbale les mondes d’en haut et d’en bas sont en interactions (logique platonicienne émanatiste) et l’homme par le tikoun a la capacité de réparer ce monde cassé. Il co-participe de l’acte de création par son action bonne ou mauvaise. L’acte sexuel juste dans certaine conditions vise donc rien moins qu’à préparer l’engendrement du Messie.

Comme le résume Charles Mopsik :

« Dans cette doctrine perçue comme l’héritage de la nation d’Israël, la théologie et l’anthropologie ne s’opposent plus : elles sont les deux facettes d’une unique réalité, dont le strates communiquent d’un bout à l’autre de la chaîne de l’être, depuis l’Origine primordiale, la première sefira jusqu’à la semence humaine porteuse de l’avenir de l’histoire de l’homme, de cette image de Dieu qui, par l’engendrement, collabore avec lui dans ‘oeuvre de création » (Introduction, Pg 18)

Ce texte nous rappelle que le judaïsme n’est ni un idéalisme ni un matérialisme. Le corps y est le lieu de l’âme et l’union des conjoints le temple où se manifeste la Chékhina (la présence divine).

Iggeret ha-Qodech

« Sache que la conjonction de l’homme avec sa femme comprend deux modes. Le premier mode : cette relation est quelque chose de saint et de propre lorsque la chose se passe comme il convient, au temps convenable et avec une intention convenable. Que nul ne pense qu’une relation convenable comporte quoi que ce soit de vil et de laid, que D. pardonne une telle idée, car la relation convenable est appelée « connaissance ». Et ce n’est pas sans raison qu’elle porte un tel nom, comme il est dit :

‘‘ Elkana connut Hanna sa femme ‘’ (I Sam 1, 19).

וַיֵּדַע אֶלְקָנָה אֶת-חַנָּה אִשְׁתּוֹ

En voici le secret : quand la goutte de semence se répand dans la sainteté et la pureté, elle émane du lieu de la connaissance et du discernement qui est le cerveau. ll va de soi que si la chose ne comportait pas une grande sainteté, la relation [conjugale] n’aurait pas été appelée ‘‘connaissance’’. »

[…]

« Mais nous qui sommes du parti des fidèles de la sainte Torah, nous croyons que le Nom, béni soit-Il a tout créé d’après le décret de sa sagesse et qu’il n’a rien créé qui recèlerait du vil ou du laid. Et si nous avions dit que la relation [conjugale] est quelque chose de vil, il en résulterait que les organes sexuels” sont des organes répugnants, or c’est le Nom qui les a créés, comme il est dit : ‘‘ C’est Lui qui t’a fait et qui t’a établi ‘’ (Deut. 32, 6). Et nos sages disent, dans le traité Houlin (56b), que le Saint béni soit-Il créa en l’homme des organes structurés. Ils disent aussi dans le Midrach Qohélet (Ecclésiaste Rabba 2, 14) , à propos des mots : ‘‘ cela aussi a déjà été fait ’’  (Eccl. 2, 12) : Nous en déduisons que Lui et son tribunal considérèrent chaque organe en particulier et établirent chacun d’eux sur sa base. Or si les organes sexuels sont des choses viles, comment le Saint béni soit-Il a-t-Il pu créer quelque chose qui comporte une tare, une infamie et un défaut ? Si c’était le cas, Ses œuvres ne seraient pas parfaites. »

[…]

« La relation [conjugale] est donc une réalité d’une grande élévation lorsqu’elle est conforme à ce qui convient. Ce grand secret est le secret des chars [célestes] qui étaient unis l’un à l’autre à l’image d’un mâle et d’une femelle. Et si la chose avait comporté quoi que ce soit d’ignoble, le Seigneur du monde n’aurait pas ordonné de façonner et de placer leurs effigies clans le plus saint et le plus pur des lieux, situé sur une fondation très profonde“. Garde ce secret et ne le révèle à personne, sauf à qui en serait digne, car de là tu aperçois le secret de l’élévation d’une relation [conjugale] convenable. »

[…]

« Vous qui avez des yeux, regardez et voyez si une chose à laquelle le Nom, béni soit-il, est associé comporte quoi que ce soit de vil ! En conséquence, le rapport de l’homme a sa femme, lorsqu’il convient, est le secret de l’édification du monde et de son habitation, et [l’homme] devient par lui un associé du Saint, béni soit-Il, dans l’œuvre du commencement. C’est le secret de ce que disent nos sages (TB Soth 17a), que leur mémoire soit une bénédiction :

« Quand l’homme se joint à sa femme dans la sainteté, la Chekhina [présence de D.] est entre eux selon le secret de Ych (homme) et Ichah (femme) », et aussi : ‘‘Avant que je te forme dans la matrice, je te connaissais’’ (Jr 1, 5), c’est encore le secret de : ‘‘Consacre-moi tout premier-né’’ (Ex 13, 2). Et ce que les sages ont dit : ‘‘S’ils s’échauffent, la Chekhina se retire de leur sein ’’, correspond au secret de ‘‘feu feu ‘‘ (éch éch), c’est le Secret de : ‘‘Les méchants sont dévoyés dès la matrice ’’(Ps 58,  4). Comprends bien cela. »

[Note de DL : Il s’agit d’un jeu de mot avec les lettres. L’homme est Yich (masculin) et la femme Icha (féminin). Selon un midrach fameux, ce qui les réunit c’est Yah (l’Eternel). Quand on retire D. (Yah) de leur relation il reste ech, le feu. Ils se détruisent par l’incendie destructeur (Cf la passion) la relation devient une fournaise d’enfer au lieu que chacun de se réchauffe dans une flamme d’amour qui les dépasse.]

[…]

« Nos maitres ont attiré notre attention à ce sujet dans la Guemara Berakhot (Fol 20a, et aussi Baba Metsia 84 a): ‘‘Rabbi Yohanan avait l’habitude d’aller s’asseoir aux portes de la maison de bain (tebilah). Il disait : Quand les filles d’Israel en sortiront, elles me regarderont et auront ainsi des enfants aussi beaux que moi.’’ Réfléchis à cette grande vision ; ce Hassid fait savoir ici que quand une femme, au sortir du bain, pense à sa beauté et s’unit a son époux, cette pensée qui est dans son imagination sculptera la forme de l’enfant selon l’image qu’elle se représente ; il en résulte que l’imagination est la grande cause de la forme de l’enfant et de ses qualités, comme nous l’avons expliqué. Puisqu’il en est ainsi, la représentation mentale et la pensée déterminent l’enfant à être juste ou méchant. »

[…]

« Il convient donc que l’homme engage sa femme par des paroles appropriées, certaines évoquant la volupté, d’autres évoquant la crainte du Ciel. Qu’il converse avec elle au milieu de la nuit ou à l’approche de son dernier tiers, comme nos maitres disent dans le traité Berakhot (3a et Nédarim 20a) : ‘‘Lors de la troisième veille, la femme converse avec son époux et le nourrisson tête le sein de sa mère ? Qu’il ne la pénètre pas contre son gré et qu’il ne lui fasse pas violence.’’ »

[…]

« Pour conclure : lorsque tu te verras toi-même disposé à faire usage de ton lit, fais en sorte que la disponibilité de ta femme soit en accord avec la tienne et ne te dépêche pas de satisfaire ton désir et d’éveiller sa force, afin de rendre ta femme réceptive. Introduis-toi par la voie de l’amour et du consentement de façon qu’elle émette sa semence la première (voir Niddah 31 a et 71b), pour que sa semence soit comme la matière et ta semence à toi comme la forme. »

[…]

« Parce que si la relation sexuelle n’est pas accomplie avec beaucoup de désir, d’amour et de liberté, la Chekhina n’y est pas présente. Cela parce que son intention a lui est le contraire de son intention a elle et que son esprit n’est pas d’accord avec le sien. ll ne faut pas se quereller avec elle ni la frapper à propos du rapport sexuel, comme nos maitres disent dans Yoma :

‘‘Comme le lion rugit et dévore sans honte, l’homme inculte frappe [sa femme] et [la] pénètre sans éprouver de honte.’’ En revanche, il sied d’attirer son cœur par des paroles de grâce et de séduction, et par d’autres choses convenables et apaisantes, afin que tous deux aient une même intention, dirigée vers le Ciel. ll ne faut pas non plus pénétrer la femme quand elle est endormie, parce qu’il n’y a pas eu accord unitaire des deux et que sa pensée n’est pas en accord avec ta pensée. Mais il faut la réveiller en manifestant bienveillance et désir, comme nous l’avons dit. Pour conclure : lorsque tu te verras toi-même disposé à faire usage de ton lit, fais en sorte que la disponibilité de ta femme soit en accord avec la tienne. »

[…]

« Réfléchis au secret que nous avons introduit dans ces chapitres et lorsque tu te seras conduit comme nous te l’avons appris, je te garantis que tu engendreras un fils juste et fervent, sanctifiant le Nom. D. dans Sa clémence dessillera nos yeux par l’éclairage de sa Torah, il nous fera mériter d’accéder à Lui par les secrets de Sa Torah, et d’engendrer des enfants prêts à le craindre et à le servir. Amen et Amen. »

L’ Iggeret ha-Qodech citée ici est publiée par les éditions Verdier dans la traduction du regretté Charles Mopsik Verdier nous ne pouvons que conseiller sa lecture complète.

http://editions-verdier.fr/livre/lettre-sur-la-saintete/


D’où viennent les Selihot ? Un manuscrit de Selihot du 9ème siècle dans la « bibiothèque murée » de Dunhuang en Chine

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Le plus ancien manuscrit babylonien de Selihot
9ème siècle, grotte de Mogao, Chine.

Quand le sinologue Paul Pelliot arriva aux grottes de Mogao en Chine le 25 février 1908, un coin désertique en bordure du désert du Gobi, il était loin d’imaginer qu’il découvrirait dans ce monastère tibétain sur la route de la soie dans la vallée aux mille bouddhas et aux 492 temples bouddhistes un véritable trésor de manuscrits écrits en chinois écrits du IVe au XIVe siècle , en tibétain, en ouïghour, en sogdien, en sanscrit et en hébreu.

Vallée de Mogao

En février-mars 1908, Pelliot achète pour 500 tael (100 euros) à un moine taoïste, une partie des manuscrits de Dunhuang. Celui-ci les avait découverts dans la grotte murée n° 17 des grottes « des mille bouddhas » de Mogao.

Parmi eux on trouve ce manuscrit des Selihot du 9ème siècle. Sans être allé là bas je connais un peu le bouddhisme tibétain pour avoir échangé pendant huit ans avec des moines de  l’école Karma Kagyu et rencontré le Dalaï Lama à Toulouse en 1994 ( une photo que j’ai faite à l’époque)

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DL Moine

Une photo de moi à l’époque

Tandis que la tradition des piyyoutim se développe autour des académies de Galilée le rituel des Selihot (supplications) apparaît dans le Seder  (« Ordre », Rituel ) du Gaon Amram ben Sheshna,  (mort en 875) chef de l’académie  de Soura à la fin du 9e siècle. Cet ouvrage est une responsa aux académies d’Espagne sera la base des sidourim de Maïmonide et de Saadia Gaon et des sidourim  séfarades et ashkénazes.

S’appuyant sur l’autorité de son prédécesseur Cohen Tzedek ben Abimaï, Amram prescrivit au départ de réciter les seli’hot au petit matin des dix jours redoutables (entre Roch Achana et Kippour), une tradition qui s’est étendue au mois d’Elloul dans le monde séfarade.

 

 


Pray for Florida !

Chana Tova 5778 !

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Chana Tova

Un repas en forme de jeux de mots

Le soir pour le Seder (« ordre » : repas rituel) nous allons manger divers mets : dattes, haricots blancs, poireau, betterave, courge, pomme au miel…

Le Talmud, (Kreitot 6a), rapporte au nom de Abayé : « on consommera, le jour de Roch Hachana, Kra VéRoubia, Karti, Silka, Vétmaré ». De nombreuses traductions ont été données à ces différents aliments ; entre autres, respectivement : citrouille ou courge, haricots ou trèfles, poireau, betteraves ou épinards, et dattes.

Il s’agit comme dit le livre d’Ezéchiel  :

« Et il me dit:  »Fils de l’homme, mange ce que tu trouves là, mange ce rouleau et va parler à la maison d’Israël. » J’ouvris la bouche, et il me fit manger ce rouleau. Et il me dit:  »Fils de l’homme, tu nourriras ton ventre’ et rempliras tes entrailles de ce rouleau que je te donne » ; je le mangeai et il devint dans ma bouche aussi doux que du miel. »… Et l’esprit m’emporta et j’entendis derrière moi le bruit d’un grand tumulte:  »Bénie soit la gloire de l’éternel en son lieu! » » (Ez 3, 1-3)

Dans Manger le livre: Rites alimentaires et fonction paternelle, mon ami Gérard Haddad raconte ce que signifie cet étrange rite :

« Au cours de ce repas, on consomme symboliquement une série de mets. C’est le déchiffrage de ce « repas totémique » qui va me mettre en présence d’un phénomène inattendu : à savoir qu’il y a une opération psychique, à peu près jamais vue, à savoir que l’homme mange de l’écriture. Tous ces fragments d’épinards, d’ail, de datte, etc., n’ont pour rôle que d’apporter les phonèmes de leur nom. »

Nous allons donc manger des mets et des mots :

Les « dattes », (תמרים), liées au mot תם : « terminer » on dit donc la malédiction : qu’il y ait une fin à nos ennemis, ceux qui nous haïssent et tous ceux qui nous veulent du mal. (dans la pensée juive les « ennemis » sont autant les malfaisants qui nous guettent que nos mauvaises pulsions)

Les petits haricots blancs (רוביאלוביא), liés aux mots רב : « nombreux » et לב : «cœur»… pour que nos mérites se multiplient et que Tu nous prennes à cœur.

Le « poireau » (כרתי), lié au mot כרת : « couper », « abattre (un arbre) »… pour que soient abattus nos ennemis.

Le mot « Betteraves »(סלקא) est lié au mot סלק  qui signifie « partir », « disparaître » … pour que disparaissent nos ennemis.

La « courge » (קרא) liée au mot קרע : « déchirer » et aussi קרא : « annoncer », « énoncer »… pour que le mal de notre verdict soit déchiré, et que nos mérites soient énoncés devant Toi..

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La « grenade » aux supposés 613 grains (autant que de préceptes-misvoth de la Torah)… pour que nous soyons remplis de mitsvot comme la grenade [est remplie de grains].

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La « pomme et le miel » (תפוח בדבש) …pour  une année bonne et douce comme le miel. 

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Et enfin l’étonnante tête de poisson ou de bélier… un jeu de mot à elle toute seule en cette tête (rosh) de l’année (ha Shana) alors qu’on dit : « Puisse être Ta volonté, Éternel notre D.ieu et D.ieu de nos pères, que nous soyons à la tête et non à la queue. » … cf. les premiers seront les derniers etc…

Étrange midrash alimentaire, étrange rite paternel du judaïsme qui nous renvoie à la voix originaire.

‘Lorsque les Israélites se saisissent de leur chofar, le Saint béni soit-Il, change de trône: il quitte celui du jugement pour occuper celui de la miséricorde’

La Mitsva est d’écouter le Chofar à a synagogue le jour de Roch Achana. Le chofar est cette corne de berger (corne de bélier) qui permet, comme en Corse, d’appeler le troupeau pour le rassembler. Il s’agit de retourner (techouva) vers D-ieu au sens physique et spirituel.

Yom Terua’h (le jour de la sonnerie) ainsi que l’appelle le Torah, Roch Achana, marque le premier des 10 jours redoutables entre Roch Achana et Kippour, le 1er des 10 jours de repentance. Le Chofar appelle à la repentance, la techouva.

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« Bienheureux le peuple qui connaît le Son du Chofar ! Ils marchent, ô Éternel, à la Lumière de Ta face ! » (Psaume 89, 16)

Le livre des Nombre 10, 9 dit que D-ieu se souvenait de son peuple Israël engagé dans le combat lorsqu’il percevait le son du chofar… Et le midrach (Lévitique rabba 29, Genèse rabba 56 et Rosh Achana 16a) commente:

“Juda bar Nahmani a commenté en ces termes, au nom de Resh Laqish:  Elohim monte en fanfare (teru’a), YHWH au son du cor (shofar) (Ps 47, 6). Lorsque le Saint béni soit-il monte pour prendre place sur le trône du jugement c’est pour rendre un verdict, ainsi qu’il est dit: Dieu monte en fanfare… Mais lorsque les Israélites se saisissent de leur chofar, le Saint béni soit-Il, change de trône: il quitte celui du jugement pour occuper celui de la miséricorde, ainsi qu’il est dit: D-ieu (monte) au son du cor. Son cœur est empli de miséricorde et il leur pardonne. Quand cela a-t-il lieu? Le premier jour du 7ème mois.”

Le soir de Roch Achana nous faisons Tachlikh : nous jetons un caillou dans un cours d’eau. Ce sont nos péchés.

“Elohim monte en fanfare (teru’a) Achem au son du cor (chofar)” (Ps 47, 6)

 


« Les juifs en Corse ? C’est de la pipette, un mythe ! Ils n’ont jamais existé »

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Les juifs en Corse, un mythe ? 

Corse

Le matin de Roch Achana de l’an 5778, Corse Matin a décidé de nous faire savoir, sous la plume d’un certain Ghjilormu Padovani, son chef d’agence à Ajaccio comme on peut le lire dans l’édition papier de Settimana  (gpadovani@corsematin.com) (voir tout en bas), que les juifs en Corse étaient un mythe à détruire : « Les juifs en Corse, la destruction d’un mythe »… on passe sur les fautes d’orthographe…

Corse matin 2

Et par un malheureux concours de circonstances on trouve en dessous de ce titre qui appelle à la « destruction » la photo de la synagogue de Bastia avec un homme de notre communauté en train de faire la bénédiction pour mettre son châle de prière. Il est l’un des descendants des 744 juifs arrivés à Ajaccio en 1915… qui n’ont rien d’un « mythe » mais font partie de la société Corse où ils sont nés après y avoir été accueillis par toute la population dont les admirables instituteurs d’Ajaccio de l’époque qui ont pris sur leur propre paie pour les vêtir…
Puis on lit : « la forte influence des juifs en Corse est historiquement fausse »… ce qui peut bien-sûr être débattu… mais ce qui est absolument certain c’est que le vocabulaire sur « l’influence » des juifs dans une société est clairement situé historiquement et politiquement pour qui les mots ont un sens…. Il faut dire que rappeler aux juifs leur place marginale dans la société pour mieux en souder une identité imaginaire avec des arguments fantasmagoriques est une constante depuis… Augustin d’Hippone !

L’article papier continue sur le même ton avec l’intertitre : « Vous êtes juif ? ». On comprend peu à peu qu’ Il s’agit de faire comprendre au lecteur que la Corse serait la seule île de la méditerranée sans « influence juive » en s’appuyant sur le mythe de noms purement locaux et un historien très respectable mais qui n’est en rien un spécialiste des marranes. Il s’agit donc de « détruire le mythe », mais pour établir quel autre ?…

90% des noms Corses se retrouvent en Italie…

En réalité, en dehors de quelques occurrences rares, les noms « uniquement corses » sont pour le coup un vrai « mythe ». 90% des patronymes corses se retrouvent à Gênes et en Italie d’où bien souvent ils proviennent… Si l’on examine les 100 noms les plus fréquents dans l’île (entre 100 et 700 inscriptions dans l’annuaire corse) seulement une dizaine d’entre eux sont absents ou très rares dans l’annuaire italien (moins de 10 inscriptions). Inférer ou non de la présence ou non de patronymes d’origine juives pour en tirer des conclusions définitives sur « les juifs en Corse » et leur « influence » est donc juste une plaisanterie en dehors d’un vrai travail généalogique comme je l’ai montré dans Mémoires juives de Corse. Parfois il y a eu importation et parfois un développement local.

De plus il est faux de dire que « les noms Corses viennent directement de prénoms » , c’est seulement vrai pour une (grande) partie d’entre eux on tourve aussi des toponymes, des noms issus de la nature, etc…, je viens d’un village où il n’y a que des Valli (ma famille), des Tafani (les taons) et des Galluchi (les coqs)… Lisez la Légende des noms de famille de Jean Chioboli chez Albiana un ouvrage autrement plus sérieux !

L’article ferraille contre le mythe juif à partir des patronymes sans aucune preuve. Il y a bien eu des Padovani à Livourne et dans les communautés juives italiennes comme beaucoup d’autres noms juifs tirés de villes : Padovani, Padova, Massa, Rogliano, en Ligurie, etc… Il suffit de consulter les archives juives (voir ci-dessous) pour le savoir, on y trouve de nombreux Padovani dont l’un d’eux Elishama Meïr est rabbin de Bozzolo en Lombardie en 1816-17, un autre Mosé est rabbin à Massa entre 1763 et 1768… d’autres à Livourne. Ajaccio a été fondée l’année de l’expulsion en avril 1492 par la banque Saint Georges avec des familles venues de la Riviera ligure et on trouve dans la région des Padovani. Pour le seul XVIIIe siècle la liste des seuls rabbins est impressionnante :

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Source : Asher Salah : Rabbins, écrivains et médecins juifs en Italie au XVIIIe siècle.

Le village de Zucharello… que l’article pense typiquement Corse (il existe en fait aussi une montagne qui s’appelle ainsi)… est en fait aussi un petit village médiéval de Ligurie.

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La répétition des noms de villages en Italie et en Corse peut être soit une évolution parallèle d’un même phonème sur les deux bords de la méditerranée ou… la réplique d’un village par des migrants qui en étaient issus. C’est ainsi que fut fondée Ventimiglia la Nuova (la nouvelle Vintimille), Porto-Vecchio, par des habitants de Ventimille et des villages de la côte Ligure en 1578. (voir ici, en italien). Il est probable que Rogliano en Corse soit dans le même cas. La ville de Rogliano dans les Abruzzes abrite des juifs depuis le Moyen Age (XIe siècle) et certains Rogliano en Corse savent qu’ils viennent d’Italie au XVIIè siècle.

Quant aux Giacobbi il faut savoir qu’au XVIe siècle de nombreuses personnes en Italie comme Jacopo de Barbari (1445-1516) s’appelaient Jacob, tout en étant parfaitement chrétiens !… Donc l’équation Jacob = Juif, est juste une anachronisme ou un amalgame qui court dans certains milieux… ou une blague de Louis de Funès dans Rabbi Jacob.

Un patronyme ne prouve rien en terme de religion ou d’appartenance ethnique en dehors d’une généalogie.

Mais il reste parfaitement est vrai que des Jacob dés le XVIème siècle à Bastia sont juifs et on en a même la trace dans les Archives de Gênes. Ainsi un certain Jacob, fils d’Aaron identifié comme juif apparaît dans une lettre à l’Office en Corse des prottettori di San Giorgio de Gênes le 24 mai 1515 qui  demandent pour lui un laisser-passer permettant d’ :

« autoriser le médecin Jacob, fils de Aron, de vivre à Bastia et dans d’autres places pour y pratiquer sa profession ».

 

(Source : Archives Secrètes de Gênes, Primi Cancellieri di S. Giorgio, busta 16, Rossana Urbani e Guidi Nathan Zazzu, The jews in Genoa, pg. 95)

Il est donc faux de dire que le prénom Jacob était uniquement une erreur de notaire.

Mais évidement comme l’article est un article à charge il ne s’encombre pas de ce genre d’une discussion critique. Pour ma part ce qui m’a le plus étonné c’est de trouver des patronymes et des usages marranes non seulement sur les côtes et dans les régions des villes génoises mais dans l’intérieur de l’île, à Corte par exemple. Ces personnes sont simplement venues me voir avec leur histoire…

Corse Matin peut-il nous expliquer dans sa prochaine édition d’où vient le patronyme Memmi de Corscia par exemple. (« Mon fils » en langue berbère, patronyme juif très répandu en Tunisie, Albert Memmi, etc… ). A moins qu’il s’agisse du diminutif de Gugliemo devenu un pluriel par un notaire qui aimait appeler les corses par leur petit nom en bas latin d’église ??? ou l’affectueux « Mimi »  en vieux toscan par un notaire pressé ?

D’où vient le nom Sanguinetti très répandu dans l’île qui est en réalité aussi un nom de famille israélite du nord-est de l’Italie et le nom du rabbin de la communauté de Messine en 1492 ?

Sanguinetti2Sanguinetti

Etc, etc… etc…

On pourrait en discuter à perte de vue… comme je l’ai montré dans mon livre Mémoires juives de Corse… dont l’auteur ne semble même pas avoir entendu parler après son 5ème tirage ! … les noms et surtout les homophonies à qui ont peut faire dire ce que l’on veut ne prouvent rien en dehors d’une généalogie ou de traditions familiales pas forcément nommées ni immédiatement reconnaissables comme juives.

Plutôt que d’inférer du latin le mieux serait donc quand même de demander aux Giaccobi eux-mêmes… une dame Giacobbi allumait les bougies le vendredi soir m’a confirmé mon ami André Campana… et toutes ces personnes soit disant « mythiques » venaient voir le président de la communauté juive de Bastia en déclinant leur « origine juive »… il y a 70 ans au moment des élections… et non pas « à une trentaine d’années tout au plus » comme croit le savoir notre article. Il est vrai que la politique en Corse tient parfois du mythe !

La longue mémoire juive de Corse

J’ai montré que les homophonies de patronymes ou les noms de lieux ne ‘prouvaient’ rien sans la généalogie, les rites et les traditions familiales, culinaires, etc… et que les coutumes d’allumer des bougies le vendredi soir, de graver des maguen David sur les outils de berger dans le Niolu (photo), de ne pas se faire photographier, de ne pas compter les gens, d’offrir des cédrats aux alentours de Souccot, le sceau de Salomon et les traditions des bergers du Niolu de calendrier lunaire (U Contu di Salumone), le fait de poser des pierres sur les stèles à la vierge, de couvrir les miroirs dans la maison d’un défunt, etc … ces rites typiquement juifs se portaient fort bien en Corse, le rite de l’ocjhu qui au delà d’un phénomène méditerranéen se retrouve dans son processus chez les juifs du Maroc, le Cacavellu qui est le gâteau de Pourim au Maroc… ces traditions orales et pratiques sont bien plus précises que d’obscure versions latines de noms improbables non documentées ou des étymologies imaginaires… surtout elles racontent une influence métissée de mémoires juives dans la culture de notre île que la population connait et qu’un juif traditionnel reconnait immédiatement, des faits dont les « historiens » devraient se saisir pour les expliquer au lieu de crier au mythe quand ils ne savent pas.

2017-08-02-13.12.00.png.png

Joug de boeuf du XIXè siècle, Niolu, Segnu di Salomone

A moins qu’on renonce au roi Théodore[1] et à Pascal Paoli qui vivaient en amitié avec les juifs à Livourne, Londres puis en Corse (Le roi Théodore meurt chez un boutiquier juif à Londres en 1756) au point de les appeler dans l’île pour y créer une market place; à moins qu’on ignore le rôle des juifs et des corses dans le commerce du corail en méditerranée (voir lettre de Boswell à Paoli), à moins qu’on ne qualifie de mythe le fait que la Corse n’aie pas donné de juifs aux nazis en 40 (un seul par erreur). A moins que je ne jette à la poubelle toutes les émouvantes lettres de témoignages qu’on suscités mes livres, on aura du mal à penser un corse sans les juifs… la généalogie de la lente formation de l‘âme corse, maintenant que nous avons perdu la mémoire orale de nos anciens qui plongeait dans le nuit des temps, me semble tout au contraire d’un intérêt capital si nous ne voulons pas mourir comme Nation. L’appauvrissement d’une identité dans quelques signes ou des prénoms en fait un folklore, hors la tradition Corse est comme la tradition juive bien plus puissante, vivante parce qu’orale. La vraie mort c’est l’oubli dit l’Izkor (souviens-toi) à Kippour.

« En lisant ce qui suit (un commentaire de la paracha Chekalim sur mon blog qui dit qu’il est interdit chez les juifs de compter des hommes) j’ai été surpris et ça m’a rappelé un évènement qui m’était arrivé quand j’avais 10 ans environ :

Nous étions à Evisa dans les années 50 et la famille, mon père, ma mère, ses sœurs, mes cousins et cousines, mes frères et sœurs étaient réunis chez ma Grand’mère, Zia Antonietta Colonna… épouse de mon grand-père Etienne Ceccaldi. On devait mettre le couvert autour de la grande table et il fallait compter le nombre de convives pour mettre les couverts en nombre suffisants. Et je me suis mis à compter en pointant les participants du doigts… « Un, deux, trois, quatre, cinq… » à 5, ma grand-mère m’a arrêté et elle m’a dit très exactement « ce que tu comptes ce sont des humains et pas de moutons, on peut compter les moutons… mais les hommes on ne les compte pas car ils sont … d’une nature différentes des animaux et des objets… »
J’ai à l’époque cru que cela relevait de la superstition, avant d’en comprendre tout le sens profond.

Cordialement
Etienne CECCALDI

Le fait est que grâce à Internet, aux témoignages, la mémoire juive de Corse se réveille, des associations se créent, des gens s’intéressent à notre histoire pas si étrange et parfois la mémoire de notre île revient. Et cela devrait interroger n’importe quel homme ou femme un peu éveillé.

L’anamnèse de la mémoire

La Corse n’a rien d’une exception. Ce réveil d’une mémoire juive enfouie, marrane, est d’une telle ampleur de par le monde (Brésil, Mexique, Majorque, Sicile, Calabre…) qu’un Institut universitaire s’est créé en Israël à Netanya pour le suivre l’Institute for Sefardi and anoussim Studies. Je dois dire que depuis mes Mémoires juives de Corse beaucoup ont pris cette piste et remontent leur propre histoire. De fait, on ne voit pas par quel miracle la Corse serait la seule île de la méditerranée qui n’aurait jamais vu un juif… et comme partout il y a eu des mélange et une assimilation des marranes. Leur réveil au bout de plusieurs siècles comme au Brésil ou à Majorque est banal.

Marranes

Communauté Marrane, Brésil, août 2017

Je comprends que cette mémoire juive finalement peu nombreuse mais bien réelle soit déstabilisante. Mais après tout on peut fort bien chanter avec ferveur le Salve Regina tout en admettant que la personne invoquée est une juive du nom de Myriam. La plupart des textes qui sont lus partout dans les églises de Corse chaque dimanche depuis au moins le XIIème siècle sont des textes originaux en hébreu écrits par des juifs qui parlaient l’araméen une langue cousine de l’hébreu et que nous parlons encore dans certaines prières comme le Kaddish que nous n’avons pas « perdu » comme le croient les journalistes du Monde.

Gênes et les juifs

La Corse a été colonisée par Gênes pendant 4 siècles de 1358 à 1768 … et ces 4 siècles sont aussi ceux de la persécution et de la fuite des juifs d’Espagne en 1391, 1492 puis jusqu’au XVIIème siècle… de cette Sefarad (Espagne) où vivait un demi-million de juifs. On ne peut pas lire l’histoire de Corse comme celle d’une île fermée où se serait constituée une identité immuable. Il suffit de se plonger un peu dans les archives de Gênes pour comprendre que notre île était au croisement des grands empires, Turcs, Génois ou Aragonais depuis le Moyen Age… Les drapeaux Corse ou Sarde portent la trace de cette influence aragonaise (tête de maure) sur toute la méditerranée. Il se trouve que Calvi, Bastia, Ajaccio fondée en 1492, Bonifacio… furent remplis de génois et donc très probablement de conversos en fuite qui arrivaient d’Espagne à Gênes et en Ligurie alors que de nombreux Corses étaient soldats en Italie. Tout se passa via la Banque Saint Georges qui administrait la Corse, contrôlait les flottes (Yosef haCohen dans La Vallée des larmes en 1560 nous confirme le rôle clé des marins génois dans le transfert des juifs). Gênes était le banquier des couronnes de Castille et d’Aragon. Les juifs arrivèrent donc par milliers à Gênes et dans les villages de Ligurie. Ainsi en 1492 le duc Hercule Ier d’Este à Modène offre l’asile dans ses États aux Juifs expulsés d’Espagne, en provenance de Gênes, ils arrivent en flot continu du Portugal… ils sont 5000 à la fin du XVIème siècle… dont la famille Sanguinetti (voir ici). En Espagne on chassa les juifs pour consolider une identité nationale peu assurée d’elle-même… Pourquoi les marranes s’implantèrent-ils en Corse et se fondirent-ils dans la population, tout simplement parce que ne veillait pas l’Inquistion qui établit des ghettos en Italie qui, contre toute attente, permirent au juifs qui avaient déjà perdu toute tradition depuis plusieurs générations de se rejudaïser grâce à des rabbins. En Corse les Marranes s’assimilèrent… tout comme beaucoup d’autres génois. Il suffit de consulter les Archives de Gênes pour cela.

Désormais les témoignages affluent et des historiens sérieux devraient se pencher sur ce sujet. La Nation Corse et son âme sont riches de multiples influences et c’est ce qui en fait toute la grandeur. « La Corse fabrique des Corses » dit Edmond Simeoni très justement. Des associations comme Terra-Eretz s’emploient à renforcer les liens entre la Corse et Israël, et, il me semble que les peuples Juif et Corse, si particuliers, devraient au contraire, comme ils l’ont fait tout au long de leur longue histoire, développer plutôt leur fraternité.

La version papier du journal nous promet la suite du feuilleton dans un article le 29 septembre… Le jour où commence Kippour.

Corse matin

[1] Quand le 15 mars 1736 Théodore de Neuhoff débarque à Aléria il a promis aux juifs de Livourne et de Tunis de pouvoir y construire leur propre ville


Pasquale Paoli et les juifs, un projet économique et spirituel à la naissance de la Nation Corse

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Paoli

Il est bon de poursuivre notre réflexion sur les origines de la Nation Corse pour comprendre les liens entre les Juifs et la Corse. Tout le monde sait que Paoli s’est appuyé sur les échanges économiques de corail contre des armes avec les juifs de Livourne; mais ce qu’on sait moins c’est que c’est aussi une profonde réflexion religieuse et spirituelle qui a conduit Pasquale Paoli, U Babbu, le père de la Nation Corse, à identifier le destin du peuple Corse avec celui du peuple juif. Je m’appuie ici sur les travaux d’historiens connus, Francis Pomponi et Michel-Vergé Franceschi

On parle généralement de la facette économique (Paoli avait compris que sans indépendance économique l’île ne pourrait vivre comme Etat) mais c’est bien une réflexion religieuse comme le montre Francis Pomponi qui conduisit tout autant la vie de Paoli et de ses compagnons.

Paoli, homme des Lumières,  se confie en réalité comme il le dit lui-même en la « Providence », non pas celle des évangiles mais celle qui guide le peuple d’Israël son modèle. Il vit dans le monde des Prophètes du rouleau d’Esther et des Maccabées en révolte :

Il est impossible de en pas croire que Dieu interpose immédiatement sa puissance pour rendre la Corse libre […] Je n’ai jamais perdu courage parce que je me suis toujours confié dans la Providence.

Le commerce du corail avec les Juifs

On sait que Paoli a concédé aux juifs de Livourne le droit de pécher le corail sur les côtes corses. Les Bonifaciens et les Ajacciens, jusqu’au massacre des corailleurs en 1817,  vont travailler avec les juifs.

Il faut dire que les corailleurs cap corsins comme Tomasino Lenche (Linciu) de Morsiglia au XVIeme siècle (250 pêcheurs répartis sur 50 navires vers 1550) travaillent déjà avec la compagnie du corail à Marseille.  Car dés la seconde moitié du 14e siècle, la communauté juive de Marseille, qui compte entre 1 000 et 2 000 individus, soit environ 10 % de la population totale de la ville a créé la Compagnie du Corail et exploite cet « or rouge » entre Provence, Catalogne et Sardaigne (voir ici). Les Linciu diversifient leurs activités et deviennent des hommes d’affaires étaient donc intermédiaires dans le commerce entre Alger et Marseille. (Voir Michel Vergé Franceschi, le Corail en Méditerrannée, edition A. Paizolla 2004); Comme le montre Juliette Sibon, à cette époque :

« Le latin et l’hébreu sont les deux langues des affaires qui transcendent les frontières politiques de l’espace considéré. Les écrits hébreux ont force probatoire devant la justice du prince et il n’est pas rare que même les transactions entre chrétiens et juifs soient uniquement consignées en hébreu. « 

A Marseille comme à Livourne les Corses font partie des élites dans lesquelles ils se sont fondues. Paoli est lui-même un grand voyageur.Comme le souligne Michel-Vergé Franceschi :

« A l’époque ou Jean-Baptiste Franceschi (1607-1673)un Corse, était le grand échevin de Marseille le corps municipal phocéen comptait de nombreux juifs dont qui avaient fui la péninsule ibérique en leur temps »

Paoli ou le roi Théodore qui veulent faire de la Corse une Market place, ce qui aboutit à la création de l’Ile-Rousse, comme ils l’ont observé avec leurs amis juifs de Livourne. Il faut dire que les Cap Corsins ne vivent pas que du corail mais aussi du grand commerce international de la soie comme les Porrata de Morsiglia. Beaucoup vivent à l’étranger comme Andrea Gaspari, Conseiller de Philippe II Roi d’Espagne.

Mais au delà de cet aspect économique, ce qui est rarement raconté c’est que leur projet n’était pas qu’économique mais religieux.

Ou l’on retrouve des Jacob juifs à Bastia…

On trouve dans les listes du recensement cap corsin  de 1667 des Abra (Abraham), Abramo Mariani , et certains Abramo comme Abramo Mariani de Rogliano ( ), se retrouvent comme parrain sur les registres de Baptême de Rogliano le 5 janvier 1547, … « Abraham » ne prouve rien , mais il est vrai que cet homme porte un prénom mais aussi un nom juif (Mariania) avec en plus un nom de village corse homonyme d’une village des Abruzzes où se trouve une communauté juive depuis le 11ème siècle : Rogliano. Mais surtout un témoignage à un baptême qui ne prouve absolument puisque le 29 avril 1525 :

« Pietri I dargo, un juif espagnol de Cadix mentionne Giovanni Baptista baptisé à Bastia et fils d’un médecin juif. »

(Source : Archives Secrètes de Gênes, Notaio Antonio Pastorino, filza 45 , citée par Rossana Urbani e Guidi Nathan Zazzu, The jews in Genoa pg. 96)

On trouve aussi dans les listes du recensement cap corsin  de 1667 des Jacobi … Il est vrai qu’on porte à l’époque chez les Calvinistes des noms de la Bible, ils sont plus étonnants en Corse franciscaine… peut-être s’agit-il simplement de marranes comme ce Benedetto de Murta (baruch de la ville de Murta en Ligurie) , médecin à Bastia, « auparavant juif » qui apparaît dans les archives du Notaire chancelier Giacomo Imperiale de Terrile en février 1532. (Source  : Notaire-Chancelier Giacomo Imperiale de Terrile, liasse 44, 1532. Diversorum. Cité par Antoine-Marie Graziani, Vistighe Corse, guide des sources de l’histoire de la Corse dans les archives génoises, Epoque moderne 1483-1790, Tome 1, Volume 2, Editions Alain Piazzola, Archives départementales de la Corse du Sud, Ajaccio, 2004. Pg. 303.)…

Il est vrai que des Jacob à Bastia au miliey du XVIème sicèle sont juifs. Ainsi apparaît dans une lettre des prottettori di San Giorgio à l’Office en Corse le 24 mai 1515 qui  demandent :

« d’autoriser le médecin Jacob, fils de Aron, de vivre à Bastia et dans d’autres places avec sa famille sans restrictions et de pratiquer sa profession ».

(Source : Archives Secrètes de Gênes,Primi Cancellieri di S. Giorgio, busta 16, citée par Rossana Urbani e Guido Nathan Zazzu, The jews in Genoa pg. 95)

Medieval-Medical-Experiments

Guido da Vigevano, un médecin italien au XIVeme siècle,
ouvrage décrivant la clinique de la trépanation,
on reconnait le chapeau pointu (pinsutu) des juifs.

Il est fort probable comme le notent Guido Nathan Zazzu et Rossana Urbani, que ce Jacob soit le père de Giovanni Baptista alias Jean-Baptiste dont la famille s’est probablement durablement implantée à Bastia contre la conversion au christianisme depuis le XVIème siècle au moins…

Mais il est aussi vrai que les Giacomo s’appellent Jacobus et que Jacobi est le génitif de Jacobus (Jacobi = « le fils de Jacobus »). Donc on ne peut en réalité trancher, ni affirmer qu’aucun Jacob n’est juif de manière péremptoire.

Ce qui reste sûr c’est que les cap corsins travaillaient avec le juifs et que des juifs sont arrivés en Corse. Ce que semble parfaitement savoir l’évêque de Bastia Monseigneur Mari qui demande dans une Missive du 7 mai 1686 qu’on expulse les juifs de Gênes en Corse avec l’appui du pape.

 « Monseigneur De Mari, évêque de Bastia en Corse, parlant au nom du Pape, apprécierait que tous les juifs vivant encore à Gênes soient déportés. ».

(Source : Rossana Urbani et Guido Nathan Zazzu, The Jews in Genoa, t. II : 1682-1799, Studia Post Biblica, Leyde, Brill, 1999, pg. 509, document 1005.)

Et Paoli s’est appuyé sur ces échanges économiques entre la Corse, Marseille, la Catalogne, la Ligurie depuis plusieurs siècles. Et la suspicion de prénoms juifs en Corse n’est pas un « mythe » mais une tradition orale basée sur des faits réel.

« Nous sommes actuellement étendus sur la Patrie pour la ranimer, comme le prophète Elisée » – Pasquale Paoli

Mais le plus intéressant en arrière plan de cette réflexion économique et qui, du coup raconte « l’âme corse » c’est le rapport de Paoli, et de son entourage de prêtres  comme le chanoine Erasme Orticoni son maître spirituel et un des fondateurs du nationalisme naissant des Corses, au peuple juif identifié opprimé comme le peuple corse.

La libération de la Corse n’est rien moins que la lutte de Judas Maccabée contre les grecs qui ont rendu impur le Temple de Jérusalem. On peut se moquer de ces gens mais au moins ils savaient lire la Torah et lui attribuer un auteur…. fait assez rare pour l’époque ! une lecture probablement préparée par des années de compagnonnage de Paoli et des insurgés Corse en exil tout comme de Théodore de Neuhoff avec les juifs  à Livourne.

En 1736 le chanoine Albertini de Carpineto voit en Théodore de Neuhoff rien moins qu’un Nouveau Moïse. Il déclare :

 » Pour moi je le crois (le roi Thoédore) comme un nouveau Moïse, c’est à dire le libérateur d’un peuple non moins esclave que le peuple juif, libérateur envoyé du ciel, car dans une situation aussi desespérée que la notre aujourd’hui, personne d’autre que le ciel ne pouvait nous délivrer. »

Et en 1738 le chanoine Orticoni se réfère au Livre d’Esther qui a toujours été la grande référence des marranes : Esther délivre son peuple d’un pouvoir tyrannique.

On lira ci après l’excellent article de Francis Pomponi dans la Revue Fora N°4 de 2009 qui raconte cela avec précision :

Corses et Juifs Pomponi 1

Corses et Juifs Pomponi 2

Corses et Juifs Pomponi 3



Les cédrats de Souccot déjà en vente à Porto-Vecchio !

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Dans une semaine la fête des Etroguim (Souccot) !  Déjà en vente à Porto-Vecchio au Spar, route de Bonifacio ! …. (photo de notre ami Philippe Gazaniol). Ils ont leur queue et ils sont de pied franc! donc ils sont cacher !

Le cédrat c’est le symbole du coeur, de celui qui étudie et pratique de bonnes actions, de l’universel.

Que tes filles et des tes fils soient inscrits dans le Livre de Vie ô mon île ! Baroukh Achem mimekomo !

Cédrats Corse

 


Contes de sefarad, La Légende du rabbi ben Levi

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Le rabbin Ben Levi, le chabbat, lisait un livre de la loi, dans lequel il est dit : « Personne ne peut regarder Ma face et vivre ». Et, en lisant, il a prié que D-ieu donne à son fidèle serviteur cette grâce de le voir avec ses yeux de mortel et de ne pas mourir.
Une ombre est venue soudainement sur la page, et levant ses yeux, qui devenaient faibles avec l’âge, il vit l’Ange de la Mort debout devant lui, debout, tenant un épée nue dans sa main droite.
Le rabbin Ben Levi était un homme juste, mais il sentit dans ses veines un froid de terreur. Avec une voix tremblante, il dit : « Qu’est-ce que tu fais ici ? ». L’ange répondit : « Le temps approche où tu dois mourir par le décret de Dieu ». « Quoi qu’il arrive lui dit le vieil homme, laisse mes yeux de chair voir ma place au paradis ». « Et bien dit l’Ange, viens et vois ». Rabbi ben Levy ferma le livre saint, et se levant et relevant sa tête grise il dit : « Donne-moi cette épée ». L’ange sourit et se hâta d’obéir. Puis il le conduisit vers la cité céleste, le plaça en haut des remparts où le Rabbi Ben Levy vit de ses propres yeux de vivant sa place au paradis.
Alors dans la cité de D. le Rabbi descendit avec l’épée de l’ange de la mort, et les rues furent parcourues par un vent soudain de quelque chose que là on ignore, que les hommes appellent la mort.
Alors que l’Ange restait à l’extérieur en criant : « Reviens ! » la voix du rabbin lui répondit: « Non ! Au nom de D-ieu, que j’adore, je jure que je ne viendrai pas ! »
Alors tous les anges ont crié : « O Saint, voici ce que le fils de Lévi a fait ! Le royaume des cieux est pris par la violence, et en ton Nom refuse que cela n’arrive ! Le Seigneur a répondu : « Mes anges, ne vous inquiétez pas, est-ce que le fils de Lévi a brisé sa promesse ? Laissez-le rester, et de ses yeux de mortel, regarder ma face et qu’il ne meurt pas encore. »
Derrière le mur, à l’extérieur, l’Ange de la Mort a entendu la grande voix, et a dit dans un souffle haletant : « Rends-moi l’épée et laisse-moi m’en aller ». Sur quoi le rabbin s’arrêta, et répondit : « Non! Tu as déjà assez causé d’angoisse parmi les fils des hommes ». Et quand il se tu, il entendit le terrible mandat du Seigneur qui résonnait dans les airs : « Rends l’épée ! »
Le rabbin baissa la tête dans une prière silencieuse ; Puis il a dit au terrible Ange : « C’est promis, aucun œil humain ne verra plus cela, mais quand tu prendras les âmes des hommes, on ne te verra plus, et avec une épée invisible, tu feras l’appel du Seigneur ».
L’ange repris son épée et s’évanouit dans l’ombre, il erre depuis sur terre sans qu’on le voit.
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Légende tirée de Talmud de Babylone Berakhot 51a.


Commentaire Psychologique de la Torah

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le-rabbin-aux-mille-viesAprès la vie du Rabbin Haïm Harboun à lire et à relire :

>>> PDF: Haim Harboun, le rabbin aux mille vies (extrait)

Achetez le livre en ligne >>> ici 

J’écris un long « Commentaire psychologique de la Torah » à partir de l’enseignement du Rav Haïm Harboun et du Talmud qui paraîtra en 2018.
Freud est une goutte d’eau par rapport à l’enseignement des Hakhamim sur l’âme humaine !

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Conférence du Rav Elie Lemmel hier soir à la syna : « Dépasser la culpabilité »
Trés psy et passionnant ! tout un programme en ce temps de Kippour… (Yamim Noraïm) !


La vraie nature de la Techouva

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Par le Rav Chlomo Haïm Hacohen Aviner – chelita – en 5757 (1997). 


1. La Techouva : a priori ou a posteriori ?

D’après nos Sages, la Techouva aurait été créée avant le monde, avant toute présence humaine. A première vue, puisqu’il n’est de faute sans présence humaine, la Techouva semblerait inutile.

Mais surtout, l’homme a été créé faillible, tel qu’il est susceptible de faire des erreurs et de fauter. “Il n’existe pas de juste sur terre qui fasse le bien sans jamais fauter”. La Thora ne cache pas qu’à plusieurs reprises, Moïse lui-même a commis des erreurs ; le peuple juif s’est rendu coupable d’une faute extrêmement grave avec le veau d’or. Aucun être n’est exempt d’erreurs, d’où la nécessité de la Techouva, sorte d’issue de secours. Selon un adage célèbre : “C’est la Loi qui créé la faute”, autrement dit, sans Loi, sans mitsvot, sans interdit, il n’y aurait pas de faute ! Grande habileté du fondateur de christianisme auteur de cette phrase. Mais le Mal est le Mal, ce n’est pas la Loi qui l’engendre. Le Mal est Mal dans son essence, que nous le comprenions ou non. Il est admis que le vol est de l’ordre du mal, il nous faut comprendre que profaner le Chabbat relève également du mal.

2. Le mérite du ‘Ba’al Techouva’

La Techouva, cet acte qui nous permet de nous décharger de tout ce Mal qui nous accable sans relâche permet une purification. Mais la Techouva est plus que cela.

Le terme de Techouva, intraduisible en français si ce n’est pas le terme de ‘Retour’, comporte un relent négatif. S’il s’agit d’un retour, c’est qu’on a fait fausse route et qu’il faut revenir sur soi, réparer ce qu’on a détérioré. Si on peut détériorer, on peut également réparer. C’est donc un processus a posteriori de l’âme. Des dégâts ayant été commis, il importe de restaurer la situation telle qu’elle était au départ. Certes, il aurait été préférable qu’il n’y ait pas d’erreur, de faute et que la Techouva ne soit pas nécessaire. C’est donc après coup que les dégâts ayant été commis, il faut s’efforcer de les réparer.

Nos Sages ont précisé que “là où se tiennent les Ba’alé Techouva, les Tsadikim guemourim ne sauraient se tenir”, conférant ainsi un avantage au Ba’al Techouva par rapport à celui qui est toujours demeuré dans la voie droite. Cette opinion est en fait l’objet d’une controverse dans le Talmud. Selon l’un des Sages, le Ba’al Techouva est effectivement supérieur au Tsadik gamour, au Juste parfait, alors que d’autres présentent une opinion contraire en affirmant que “toutes les promesses des prophètes ne concernent que le Ba’al Techouva ; quant à ce qui attend le Tsadik gamour, aucun œil ne l’a contemplé”, pas même l’œil prophétique qui perçoit le lointain de l’histoire mais est dépassé par la réalité du Tsadik gamour [Berakhot 34b]. Ce qui signifierait que le monde que les prophètes nous promettent et nous présentent, c’est un monde qui appartient aux Ba’alé Techouva et qui est construit par eux. Mais le monde des Juifs intègres est un autre monde.

Une controverse dans le Talmud, ne signifie pas que les propos soient divisés entre le vrai et le faux, entre lesquels il faudrait choisir. De toutes les controverses qui surgissent dans le Talmud, il est écrit : “celles-ci et celles-ci sont des paroles du Dieu vivant” [‘Erouvin 13b]. La réalité est complexe, elle présente différents aspects, différentes facettes, différentes lumières. Chaque opinion fait apparaître une facette de la réalité. Chacun perçoit une couleur, un aspect, et ce sont les propos de tous nos Sages ensemble qui constituent la vérité.

Et ce sont les propos de tous nos Sages dans leur ensemble qui forment la réalité. Il est bien évident par ailleurs que chacun des Sages connaissait l’opinion de l’autre, d’autant qu’elles procèdent de la même argumentation. Elles se fondent d’ailleurs toutes deux sur le même verset.

suite ici


Gmar hatima tova

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DSCN7312

Rabbi Eliézer a dit :
Fais téchouva un jour avant ta mort. »
Ses élèves lui demandèrent :
« Un homme connaît-il le jour de sa mort ? ».
Rabbi Eliézer répondit :
« À plus forte raison, qu’il fasse téchouva aujourd’hui de peur qu’il mourra demain.
Ainsi, tous ses jours seront en téchouva. (TB Chabbat 153a)

La Guémara poursuit :

Parole de Rabbi Yo’hanan ben Zakaï :
« À quoi cela ressemble-t-il ?
À un roi qui convia ses serviteurs à un festin mais qui n’en a pas fixé l’heure. 


Le rendez-vous avec la Joie

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Il y a bien 40 ans que je n’avais pas construit de cabane avec mon frère jumeau !

Ah! qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être UN (iahad : UN)! C’est comme l’huile parfumée sur la tête, qui découle sur la barbe, la barbe d’Aaron, et humecte le bord de sa tunique; comme la rosée du Hermon qui descend sur les monts de Sion; car c’est là que Dieu a placé la bénédiction, la vie heureuse pour l’éternité. (Tehilim 133)

Souccot, la fête de la Joie

Chaque année le 15 du mois de Tichri (mercredi soir) nous fêtons l’engrangement. A cette occasion nous fabriquons des cabanes (Soucca) d’où la fête de Souccot appelée « le temps de notre joie » qui dure sept jours.

Les dons de la nature sont l’œuvre de D. mais à force de recevoir la grâce il nous arrive de faire des grâces. Alors nous quittons notre maison et nous construisons un espace fragile, ouvert pour que nous redevenions accessibles. Il est vrai que Kippour nous a préparés à cette vulnérabilité. D. nous a conduit dans des tentes au désert. Cette fête de cabanes nous rappelle notre condition d’errant au désert.

Le Talmud parle à l’infini de la dimension de la Soucca. Cette réflexion et la mitsvah cette construction physique sont une façon de structurer l’espace. Nous vivons dans l’espace et celui-ci peut devenir non pas une demeure qui reflète le pouvoir ou la richesse ou la surface de la personne, mais un lieu d’accueil. La vie s’enclot pour vivre qu’on pense à la membrane de la cellule, à l’habit qui nous permet de communiquer à la maison… trois interdits (faire une maison, un habit, du pain… qui correspondent à la fabrication de la tente de la rencontre ou D. habitait au désert) qui structurent les melakhot (interdits du Chabbat). La Soucca comme le Chabbat est structuration fondamentale de l’existence. Le toit doit laisser passer la lumière celle du ciel. Un coté doit être ouvert pour accueillir. La Soucca c’est le Hessed, l’Amour Universel.

L’Universel et le particulier

Souccot est la fête universelle par excellence. On offrait alors au Temple 70 taureaux pour les 70 nations de la terre. Une manière de dire que si D. a choisi Israël ce n’est pas parce qu’il est le D. d’Israël mais le D. de l’humanité. Ce que nous juifs symbolisons pour tous à Souccot.

A Souccot on lit la Haftara des prophéties de Zacharie :

« L’Éternel sera Roi sur toute la terre ; en ce jour, l’Éternel sera un et unique sera son nom ». (Zac 14, 9).

… un verset que nous disons à la fin de chacune de nos prières. La soucca permet de réunir la famille et les amis, Israël et les Nations, le loulav réunit les espèces (saule, myrte, palme, cédrat). Souccot est la fête de l’Unité ET de l’universalité. Etrange paradoxe. Incompréhensible à vue humaine.

Le Rambam éclaire ce ‘ehad (UN) des peuples dans son Michné Torah :

Malgré tout, les pensées du Créateur du monde sont impénétrables pour l’homme, notre conception et notre pensée sont différentes de la sienne. En effet, toutes ces choses-là concernant Jésus le nazaréen, et l’Ismaélite qui vint après lui [Muhammad], ne sont venues qu’afin de préparer le chemin pour le roi Messie, pour améliorer le monde entier à servir Dieu ensemble : Alors je transformerai les peuples d’un langage commun pour que tous invoquent le nom de l’Eternel et le servent d’un cœur unanime. Moïse Maïmonide, Mishné Torah (Lois des Rois 11, 4).

Le rendez-vous avec la Joie

Nos maîtres de mémoire bénie venaient danser au Temple à Souccot, à l’occasion de la cérémonie de la libation d’eau. On puisait de l’eau à la source de Gihon qui était versée sur l’autel, afin d’obtenir la grâce divine pour les pluies comme nous le demandons aujourd’hui dans les ochiana. Sans eau pas de récolte et pas de vie.

Cette cérémonie était une fête pour les femmes et se déroulait dans le l’azarat nashim (la partie du Temple réservée aux femmes). On y jouait de la flute (TB Soucca 5,1)

« Celui qui n’a pas vu la joie de Sim’hat Beth Hachoéva n’a pas vu de joie de sa vie. » (TB Soucca 5 ). On trouve la trace de cela dans le Livre d’Isaïe :

וּשְׁאַבְתֶּם-מַיִם, בְּשָׂשׂוֹן, מִמַּעַיְנֵי, הַיְשׁוּעָה

Vous puiserez de l’eau avec allégresse aux sources du salut » (Is 12, 3)

Que cette joie t’habite cher lecteur, chère lectrice !


La Soucca de la Reine Hélène était-elle cachère ?

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La guemara parle au Traité Soucca d’un personnage pittoresque, la Reine Hélène. Personne d’autre à ma connaissance ne s’appelle Hélène dans le Talmud… et pour cause, les Hellènes ce sont les grecs, les étrangers à Israël… cette reine était d’origine hellénistique. Essayons de comprendre de quoi il s’agit.

Soucca1

L’espace de la Soucca et le temps de l’amour

Il s’agit d’un passage où les sages se demandent ce que doit être la taille d’une Soucca. Dans la première Michna qui commence le traité Soucca. Un tana[1] anonyme dit que le toit doit être à moins de 20 coudées [2] du sol, donc moins de 8 mètres du sol. Mais selon Rabbi Yéhouda (135-170, tana de la 5ème génération, élève de Eliézer Ben Horkanos, Rabbi Akiba, Rabbi Tarfon et d’autres sages de Yavné), même au delà « elle est parfaitement valable ». Cependant  les deux tanaïm invalident une soucca « qui n’a pas  dix paumes (largeur d’un poing fermé )[3] de haut (80 centimètres[4]) qui n’a pas trois parois ou qui a plus de soleil que d’ombre », etc…

La guemara (qui commente en araméen la Michna en hébreu s’empare) de l’affaire… et repart très curieusement de la discussion sur l’erouv (un espace privatisé entre plusieurs familles) à chabbat dans Erouvin[5]. Pourquoi ? probablement parce que l’interdit de la construction d’une maison (le mishkane) est un des trois principes structurant les interdits de chabbat (mélakhot), avec ceux concernant les habits et la fabrication du pain correspondant à la socialité et à la nourriture.

Notre grand risque est de croire qu’une maison ce sont des murs (solides et qui défient le temps), la soucca nous rappelle que le seul but d’une maison est de créer une espace de vie et d’accueil, de convivialité familiale et avec nos amis. Nous sommes de nomades, des passants provisoires en ce monde.

Réfléchir à une maison (la Soucca) revient à réfléchir à ce qui s’y passe et non points au batiment provisoire, à la maison en temps que carrefour de relations familiales et espace d’accueil (la maison). Et si les hakhamim discutent si longuement… pourquoi mois de 20 coudées ? Parce que, dit la guemara, la soucca doit avoir un toit transparent pas trop loin pour qu’on puisse « en prendre conscience » au moment où celui-ci fait de l’ombre. Puis elle ajoute qu’au-dessus de 20 coudée il s’agit d’une maison en dur et donc plus une soucca. Pour Raba l’habitation dans la soucca renvoie aux temps messianiques (2b). Puis après la discussion sur la hauteur on passe à celle de la superficie minimale (20 coudées par 20 coudées), l’in dit qu’on doit pouvoir y installer une table, un autre que les gens de l’antiquité mangeaient allongés sur un lit, un autre encore qu’il suffit d’y passer la tête et une partie du corps, tec… Une intense discussion donc sur l’espace et le temps qui concerne moins des calculs pointilleux qu’une réflexion de fond sur les catégories fondatrices et structurantes de l’anthropologie humaine que révèle la maison comme espace symbolique.

La maison c’est l’homme. Les différents lieux de la maison sont les fonctions humaine : manger, dormir, se reproduire… la maison nous « enveloppe » et crée un espace de liens des membres qui forment ensemble une « famille » réunie comme on réunit les espèces du loulav : palme, saule, myrte, Cédrat, qui représentent Tout Israël. (photo). Son intérieur révèle beaucoup de l’intérieur de ses habitants . Notre désordre intérieur correspond souvent à un désordre physique. La décoration d’une maison raconte notre histoire familiale avec ses mythes et ses secrets. Posséder une maison fait parfois partie de l’estime de soi pour un couple, au delà de la reconnaissance sociale. Alors camper dans une tente avec un toit qui laisse passer la lumière c’est tout un programme !

Soucca Meïr2

Nous pensons spontanément dans l’espace en terme de taille et de grandeur mais la vraie grandeur est spirituelle, intime, d’amour. Quand on relativise l’espace on peut comprendre la vraie réalité spirituelle, et éventuellement l’Incommensurable.

Nous ne cessons-nous de répéter depuis Roch Achana et Kippour :

Vaya’vor Adonai al panav, vayikra: Adonai Adonai El rahum v’hanun erekh apayim v’rav hesed v’emet, notzer hesed la’alafim… « La Divinité passa devant lui et proclama: « ADONAÏ est l’Etre éternel, tout puissant, clément, miséricordieux, tardif à la colère, plein de bienveillance et de vérité, il conserve sa faveur à la millième génération ». (Ex 34, 6-7)

L’espace que révèle la cabane renvoie au temps de l’amour. L’inscrire dans notre vie la prolonge sur mille générations… c’est le symbole de la soucca provisoire, une réalité d’amour. Venons-en à la Reine Hélène.

La Reine Hélène

Vient un long passage (ci-dessous) qui nous parle de la Reine Hélène et de sa Soucca, dont le toit était bien au dessus de 20 coudée de hauteur ! Bref non seulement elle n’est pas cacher mais ce n’est pas une soucca mais un palais ! Et Rabbi Yehouda demande : « Une reine aurait-elle l’habitude de s’asseoir dans une petite soucca ? »… Pas cachère? Pourtant les Sages de la Torah y allaient dit la guemara. Et un autre rétorque : une femme n’est pas soumise aux obligations de la soucca (liée au temps). Mais un autre affirme : elle avait sept garçons et donc l’un d’entre eux devait avoir au moins treize ans, et donc était soumis à cette règle, imposée aux hommes… Alors casher ou pas ?

Talmud Soucca Reine Hélène

Qui donc peut donc être cette הלני המלכה, Reine Hélène dont nous parle le Talmud ?

La reine Hélène, d’Abiadène, une province sous domination perse proche du Tigre, (nord de l’actuelle Syrie, ancien Kurdistan) est une convertie au judaïsme vers l’an 30. Elle embrassa la religion juive avec ses fils Monobaz et Izatès et une partie de sa cour . Son royaume fut le seul à porter secours aux juifs lors du conflit avec Rome qui aboutira à la première guerre judéo-romaine et au massacre de 70 (25% de la population de Judée fut assassinée) et à la destruction du Temple. Son sarcophage découvert en 1860 dans les tombeaux souterrains des rois de Jérusalem est exposé au Louvre. Il porte une double inscription, gravée à la hâte, mentionnant en hébreu et en araméen « la reine Tzada » plus connue sous le nom d’Hélène, reine d’Adiabène.

Tombe de la reine hélène

détail

Hélène d’Adiabène possédait une palais à Jérusalem à l’poque du second Temple et on pet penser que la vie sous la Soucca en était assez loin :

palace-of-adiabene-empress-helena

(source : Musée d’Israël, Jérusalem)

Hélène d’Adiabène était connue pour sa générosité. Le Talmud parle des présents importants que la reine a donnés au Temple de Jérusalem. La Michna (Yoma 37 a) rapporte que la reine consacra un candélabre d’or au Temple, qui fut placé au-dessus de la porte conduisant à la Cour d’honneur « lorsque le soleil se levait ses rayons étaient réfléchis par le chandelier et tout le monde savait que c’était le temps de lire le Chema ». (Yoma 37b; Tosefta Yoma 82)… Dans le Talmud (Baba Batra 1 et 11) son fils est crédité d’avoir sauvé Jérusalem de la famine (du moins selon Rachi).

Selon le Rabbi Yehoouda  » la Reine Hélène (et ses sept fils) suivaient en tous points les instructions de sages », Ils étaient strictement observants des enseignements des Hakhamim nous dit le traité Soucca.

Ceci est confirmé par une michna du traité Nazir. La Reine Hélène est l’une des rares personnes identifiées par son nom dans le Talmud comme étant devenue une Nazire par trois fois :

MISHNAH . SI UN HOMME NAZIR DE LONGUE DURÉE A TERMINE SON TEMPS ET ENTRE ALORS DE LA TERRE [D’ISRAËL], L’ECOLE DE SHAMMAI DIT QU’IL EST UN NAZIRITE POUR TRENTE JOURS, MAIS CELLE D’HILLEL DIT QUE SON NAZIRAT RECOMMENCE COMME AU DÉBUT. IL EST DIT DE LA REINE HÉLÈNE QUAND SON FILS (IZATES) S’ÉTAIT ENGAGÉ DANS L’ARMÉE QU’ELLE A DIT: «SI MON FILS REVIENT VIVANT DE LA GUERRE JE SERAI NAZIRE POUR 7 ANS.  SON FILS EST REVENU VIVANT DE LA GUERRE ET ELLE A OBSERVES LE NAZIRAT PENDANT 7 ANS ; À LA FIN DES 7 ANNÉES, ELLE EST MONTEE EN TERRE D’ISRAËL, ET L’ECOLE D’HILLEL A DÉCIDÉ QU’ELLE DEVAIT ÊTRE NAZIRE POUR 7 ANS DE PLUS. VERS LA FIN DE CETTE PÉRIODE, ELLE A CONTRACTE UNE IMPURETÉ RITUELLE, ET ELLE A DONC ÉTÉ NAZIRE POUR VINGT-UN ANS [LA PÉRIODE A RECOMMENCE, 7 FOIS 3 = 21 ] . R. JUDAH A DIT: ELLE N’A ÉTÉ NAZIRE QUE 14 ANNÉES… (TB Nazir 19b)

Il est donc intéressant de constater que la guemara du Traité Souccot nous présente comme exemple du juif observant en cette fête universelle, non pas un homme mais une femme (qui n’est pas astreinte aux mitsvoth positives liées au temps comme celle de demeurer te manger dans la Soucca à partir du 15 Tichri). Non pas un juif mais une prosélyte sincère qui respecte scrupuleusement les décisions des sages.

Le plus étonnant est que Talmud dit :

« Les sages ses fils étaient assis dans une Soucca de plus de seize coudées carrées (la soucca doit avoir 49 paumes carrés au moins), les autorités rabbiniques de l’époque ne lui ont adressé aucun reproche bien que ses fils fussent assis à coté d’elle » (TB Soucca 2b)

Les fils sont qualifiés de Sage (Rakhamim) et elle est assise parmi eux. Ce qui désigne l’étude en langage talmudique.

Je ne connais qu’une autre « femme assis parmi les Sages » dans la Talmud , il s’agit de Berouria la fille ainée de Rabbi ‘Hanania Ben Téradyone devenue la femme de Rabbi Meïr, une femme savante qui  « étudiait 300 Halakhot en un seul jour nuageux » dit le traité Pessahim (62 b).

Hélène est donc comme Ruth l’archétype du guyour. Grand honneur à cette femme !

Etrog Meïr

[1] Les Tanaïm – תַּנָּאִים (répétiteurs) étaient des maîtres de la loi orale. Le tana était le maître qui enseignait la Torah à l’époque de la Michna. Il faisait partie du Sanhédrin, l’assemblée des rabbins qui discutaient la loi et ses applications pratiques.

[2] Amah, אמה : Une coudée = Longueur de l’avant-bras. Distance séparant le coude du médium « Une coudée vaut six palmes » et Rachi précise « c’est l’avis de Rabbi Meir qui dit toutes les coudées étaient de longueur moyenne » (TB Soucca 5b). Entre 40 et 57,6 cm environ.

[3] Sit, סיט : largeur d’un poing fermé.  De 8 à 9,6 cm. Unité utilisée pour la mesure des tissus.

[4] Choul’han Aroukh Ora’h ‘Haïm 633, 8

[5] Erouv signifie mélange ; les différents domaines se confondent et sont comme mélangés pour devenir un seul grand domaine.

– dans le temps (érouv Tavchiline) il s’agit de prolonger un temps avant une fête pour cuisiner pour le chabbat qui suit.

– dans l’espace, Durant Chabbat, il est interdit de transporter quoi que ce soit du domaine privé vers le domaine publique ou vice versa, il s’agit de créer un espace entre plusieurs maisons, où l’on peut porter en faisant un érouv (symbolisé par un fil).



Hochana Rabba : le verdict

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Aujourd’hui nous fêtons Hochana Rabba (הושענה רבּה, la grande délivrance) qui est le septième jour de la fête de Souccot. Le jugement rendu à Roch Hachana et consigné à Yom Kippour est scellé et entre en vigueur.

lulav-and-etrog-sukkot

 

De quelle Toute-Puissance l’Eternel est-il le nom ?

Et quiconque aura survécu, parmi tous les peuples qui seront venus contre Jérusalem, devra s’y rendre chaque année pour se prosterner devant le Roi, l’Eternel-Cebaot (D. des armées), et pour célébrer la fête des Tentes. Et celle des familles de la terre qui n’irait pas à Jérusalem pour se prosterner devant le Roi, l’Eternel-Cebaot (D. des armées), celle-là ne sera pas favorisée par la pluie. Que si la famille d’Egypte n’y monte pas pour faire ce pèlerinage, elle non plus ne sera pas indemne; mais elle subira le fléau dont l’Eternel frappera les [autres] peuples, pour n’avoir pas fait le pèlerinage de la fête des Tentes. Tel sera le châtiment de l’Egypte et le châtiment de toutes les nations qui ne feraient pas le pèlerinage de la fête des Tentes. (Zacharie 14, 16-19)

Le Midrach des théhilim commente : « [Guidé par les paroles de tes lèvres, j’observe les actions des hommes, les voies des gens violents.] Affermis mes pas dans tes sentiers, pour que mes pieds ne glissent point. » (Ps 17, 5)

« À Roch Hachana, tous ceux qui vont dans le monde passent devant Lui comme un troupeau et les enfants d’Israël passent aussi devant Lui avec ceux qui vont dans le monde. Les ministres (angéliques) des nations du monde disent [alors] : « Nous avons triomphé et remporté le jugement » et nul ne sait qui a triomphé, Israël ou les nations du monde…

Comme le premier jour férié de la Fête arrive et que tout Israël, grands et petits, portent leur loulav (branche de palme) dans la main droite et leur etrog (cédrat) dans la main gauche, tous savent immédiatement qu’Israël a remporté le jugement.

Comme arrive le jour de la Hochana Rabba, qu’on prend les branches de saule et qu’on fait sept processions pendant que le chantre de l’assemblée se tient tel un ange de Dieu, un Livre de Torah au bras, et que le peuple tourne autour de lui à l’image de l’autel … les anges du service divin se réjouissent et disent : « Les enfants d’Israël ont gagné, les enfants d’Israël ont gagné, le rejeton d’Israël ne mentira pas et ne regrettera pas ! » (Midrash Tehillim sur Psaume 17, 5)

Si nous « gagnons » en ce jour c’est évidement dans la guerre contre nous-mêmes, contre nos fanatismes de toute puissance qui nous font croire de manière infantile que le monde est à notre main et ne peut nous résister. La Toute puissance de D. annoncée à Roch Hachana, scandée à Kippour celle le du Roi, l’Eternel-Cebaot (D. des armées), n’a rien à voir avec nos rêves de Toute puissance, avec les armes et armées humaines. Si nous nous mettons à genoux pour prier à Kippour pour la seule fois de l’année (le cœur des prières quotidienne se dit Amida « Debout ») c’est pour tomber de notre arrogance.

La Toute puissance de l’Eternel c’est la puissance du Clément, Miséricordieux, Lent à la colère, Plein d’amour et de vérité. Une « puissance » contre laquelle les chars ne peuvent rien. Une puissance qui nous désarme, nous rend vulnérable aux autres. Nous pouvons enfin baisser la garde et enfin leur parler, car ce n’est pas nous qui assurons notre vie mais Celui qui nous la donne à profusion dans l’eau et la pluie qui sont la Vie. Sans ce Chalom comment célébrer la joie ?

De la joie

« Vous serez joyeux, en présence de l’Éternel votre D.ieu, pendant sept jours » (Lv 23, 40-43),

Souccot est la fête de notre joie. La Sim’hat Beth Hachoéva, est la « Joie du Puisement de l’Eau ». L’habitude à la synagogue est de faire des hoshianot autour de la Tebah avec le loulav pour supplier et demander la pluie.

Loulav

Hoshana-Rabbah

Hochana Rabba, Bernard Picart (1673-1733), Synagogue portugaise d’Amsterdam.

Le Mishna Roch Hachana 1, 2 ajoute :

« Lors de la Fête, le monde est jugé sur l’eau »

Le Talmud dit :

« Celui qui n’a pas vu la joie de Sim’hat Beth Hachoéva n’a pas vu de joie de sa vie. » (TB Soucca 5 )

Non seulement nous sommes les hôtes de la création mais en plus nous serions bien incapables d’en faire tomber une goutte de pluie en cette saisons des pluies d’hiver qui commence (Souccot marque le début de la saison des pluies). Quant à détruire notre écosystème au lieu de de veiller sur lui avec amour pour nos enfants, nous avons déjà largement œuvré en ce sens.

La fête de l’eau était à l’époque du second Temple, une fête pour les femmes dans la cour des femmes du Temple. On y jouait de la flûte (TB Soucca 5,1)


Le livre de la Genèse raconte-t-il vraiment les premiers instants de l’univers ?

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Suit ici une réflexion inspirée des enseignements des Rav Haïm Harboun et Rav Nathan Mrejen

Nous avons lu hier la Paracha Berechit. Quand on demande aux gens ce que raconte le Livre de la Genèse ils répondent souvent « la Création du monde »… ce qui n’est pas faux. Mais de quelle création parle-t-on ? des premiers instants de l’Univers que décrit aussi la théorie scientifique du big bang ? Mais alors dans ce cas qui faut-il croire la science ou la Torah ? Peut-on faire une lecture de ce texte comme un reportage du commencement de l’Univers ?

big bang

Qu’est ce qui a été créé en premier ? « Qui a commencé ? »

Une célèbre page de la guemara du traité Haguiga s’étonne « Lors de la création il a créé le ciel puis la terre » comme le dit le premier verset de la Torah « Au commencement lorsque D. créa les Cieux et le terre » alors qu’il est dit plus loin dans l’ordre inverse « Le jour où l’Éternel D. fit la terre et le ciel il n’y avait encore aucun arbuste des champs… » (Gn 2,5). Pourquoi cette incohérence logique ? Pour nous prévenir, bien sûr! disent les Hakhamim de ne pas opérer une lecture littérale.

D’après l’école d’Hillel la terre a été créée en premier, à quoi les disciples de Chammaï qui pensaient que le Ciel a été créé en premier. A quoi les disciples d’Hillel répondaient : « d’après vous on bâtit l’étage et après la maison ? » (TB Haguiga 12a)… Mais selon les autres Sages tout a été créé en même temps comme les deux mains de D-ieu car « Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied : quelle est la maison que vous pourriez me bâtir, le lieu qui me servirait de résidence ? Mais, tout cela, ma main l’a créé ! » (Is 66, 1-2) à rapprocher de : « C’est ma main qui a fondé la terre, ma droite qui a étendu les cieux. Je leur adresse mon appel : aussitôt ils se présentent ensemble.(Iakhdav) » (Is 48, 13).

Rachi le célèbre Maître de Troyes, vigneron au Moyen-Age ajoute :

« Au commencement, Eloqim créa » Ce texte demande, en fait, à être explicité. C’est comme nos maîtres l’ont expliqué : Le monde a été créé pour la Tora qui est appelée « le “commencement” de Sa voie » (Michée 8, 22), et pour Israël qui est appelé « le “commencement” de Sa moisson » (Jr 2, 3). Mais si tu veux l’expliquer selon le sens littéral, fais-le ainsi : Au commencement de la création des cieux et de la terre, alors que la terre était tohou et vohou et que les ténèbres…, Elohim a dit : « que la lumière soit ! » Ce texte ne vient pas nous donner l’ordre de la création, nous dire que ces éléments ont été créés en premier. Si tel était le cas, le texte aurait dû porter barichona (« en premier lieu »), car on ne rencontre jamais le mot réchith dans la Bible sans qu’il soit lié au mot suivant. Exemples : « Au commencement (beréchith) du règne de Yehoyaqim » (Jr 26, 1), « le commencement (réchith) de son royaume » (infra 10, 10), « les prémices (réchith) de ton blé » (Devarim 18, 4). Ici, de même, tu dois expliquer : « Au commencement, Elohim créa… », comme s’il était écrit : beréchith bero, « au commencement de l’acte de la création », à rapprocher de : « au commencement (te‘hilath) où Hachem parla à Osée » (Osée 1, 2), c’est-à-dire : « au commencement de la parole adressée par le Saint béni-Soit-Il à Osée, Hachem dit à Osée. ». […] Force est donc d’admettre que le texte ne nous enseigne absolument pas l’ordre chronologique de la création (Gn rabba 1, 6, Lv rabba 36,4)

Bref le fait de penser la création comme précession historique est une erreur. Ce n’est pas de cela que le texte parle.

Alors comment résoudre ce paradoxe originel ?

Le paradoxe originel

Rabbi Yossé dit que l’expression amayim, « les eaux » vient de chécham mayim, c’est-à-dire une forme contractée de ech et maïm le feu et les eaux.

La création contient donc en son principe des opposés comme l’eau et le feu, des paradoxes qui ne sont pas contradictoires du point de vue du Saint, béni soit-Il mais pas réconciliable du point de vue de la nature ou de la logique humaine.

L’enseignement de Rabbi Akiba propose que chamayim et arets sont les noms du Saint, béni soit-Il. Comme si la nomination originaire se référait à une unité originaire paradoxale incompréhensible pour l’homme qui ne peut la penser qu’en terme de confusion, lui qui vit non pas dans le monde de l’UN mais dans celui de la séparation, du langage, condition de possibilité et d’intelligibilité et aussi nostalgie de l’unité perdue (cf Babel).

Le traité Haguiga se demande pourquoi les scélérats comme les justes profitent de la lumière en ce monde alors que D. a séparé la lumière des ténèbres. Et il explique que D. l’a mise en réserve à l’usage des justes pour les temps à venir (TB Haguiga 12a). La création est donc une réalité paradoxale « qui n’a pas encore eu lieu » mais qui va advenir lors de la délivrance. Une sorte de processus entre le début et la fin du monde qui renvoie l’homme non pas à l’origine ou à la fin mais à son présent, l’histoire où il peut choisir la lumière ou les ténèbres à chaque instant.

J’ai reçu un enseignement du Rav Mrejen à ce sujet.

« C’est pourquoi l’homme (ich) quitte son père et sa mère, il s’unit à sa femme (ichto) et ils ne font qu’une seule (ehad) chair » (Gn 2, 24) : Il s’agit d’un paradoxe du masculin et du féminin qui désirent s’unir pour réaliser l’Unité (ehad) de éternelle et qui se repoussent comme les pôles opposés d’un aimant. ich et icha qui sans le Yah deviennent Ech, le feu destructeur. Paradoxe étrange car sans la femme l’homme ne peut se comprendre, laissé à sa solitude. Nous y reviendrons.

Haguiga 12a

Celui qui lit littéralement la Torah est juste un malheureux

Et rabbi Yossé rapporte ensuite une baraïta : « Malheur aux créatures qui voient et ne savent pas ce qu’elles voient qui se tiennent debout et qui ne savent pas pourquoi elles se tiennent debout, la terre sur quoi repose -t-elle ? Sur des colonnes puisqu’il est dit « il fait trembler la terre sur ses bases et ébranle les colonnes qui la supportent » (Job 6, 9). Ces colonnes sont sur l’eau puisqu’il est dit : « Pour Celui qui étend la terre sur l’eau » (Ps 136, 6).

A la Renaissance Le Maharcha[1] indique que Yossé commence son enseignement par la mot « Malheur » parce qu’il déplore le « malheur » qui consiste à croire en une description physique de la nature alors que le but de ce texte est de révéler le fondement spirituel de l’univers. En quoi est-ce un « malheur » ? Parce que l’oubli de cette reconnaissance de la profondeur spirituelle de l’univers conduit à l’absence de prise de conscience de la responsabilité de l’homme qui consiste à changer le monde.

J’ai reçu un autre enseignement du Rav Mrejen à ce sujet : ce qui est curieux c’est qu’après avoir créé les réalités spirituelles de la terre (erets) et des cieux (achamaïm) :

« Dieu fit l’espace, opéra une séparation entre les eaux qui sont au-dessous et les eaux qui sont au-dessus, et cela demeura ainsi. Dieu nomma cet espace le Ciel. Vayiqra Elohim laraqia chamaïm. (Gn 2, 7-8)

Pourquoi alors que les Cieux (chamaïm) et la Terre (erets), réalités spirituelles , ont été créées, le  Raqia doit il être « nommé »  chamaïm, « les Cieux »? Comme si on n’avait pas compris… Parceque l’homme a besoin de la nomination pour attribuer un sens spirituel à la réalité, pour considérer ce monde selon son élévation spirituelle, pour penser par allégorie.

Dit en d’autres mots : celui qui s’assimile au monde des choses considère la réalité et les autres comme des choses et en devient une. C’est ce qu’on appelle l’idolâtrie.

Si je ne vois les femmes que comme des proies sexuelles je deviendrai un objet sexuel et je ne pourrai pas comprendre la féminité ni la richesse sentimentale d’une relation réelle et pas fantasmatique. Si je ne considère les autres que comme des objets sociaux rapportés à leur surface financière je perdrai la gratuité sans laquelle aucune relation vraie n’est possible. Si je considère les autres comme des objets de ma séduction ou de mon pouvoir je serai réduit à mon rôle de maître ou d’esclave, d’objet sous la main ou de tyran inaccessible te je ne serai jamais libre, etc…. Et le sexe, l’argent ou le pouvoir ne sont que des catégories de l’idolâtrie parmi d’autres…

On est déterminé par la manière dont on regarde le monde. L’homme qui voit et vit ainsi ne peut donc qu’être malheureux puisqu’il n’accomplit pas sa vocation spirituelle, ce pour quoi il est fait, ce pour quoi l’Eternel l’a rendu contemporain de Lui-même par amour.

J’entends déjà un de mes enfants me poser la question « Mais alors qu’est-ce qu’il y avait ‘avant’ la lumière et les ténèbres ?»

L’Etat originaire : la solitude

Berechit explique ce qu’il y avait ‘avant’ : « Or la terre n’était que solitude et chaos; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de Dieu planait à la surface des eaux. » (Gn 2, 2). Rachi commente :

Tohou et vohou Tohou signifie « étonnement, stupéfaction », l’homme étant frappé d’étonnement et de stupeur en présence du vohou.[2]

Les deux mots hébreux tohu et bohu son treliés par et. Tohu signifie « inhabité, inhabitable, le désert ». Comme il est écrit :

« Il le rencontre dans une région déserte, dans les solitudes (tohu) aux hurlements sauvages; il le protège, il veille sur lui, le garde comme la prunelle de son œil. » (Dt 32, 10)

Le second mot bohu ne se rencontre que trois fois dans la Torah il et est donc difficile à définir, il est toujours lié à tohu.

Rachi décrit ce réalité comme stupéfiante. « Tohou et vohou Tohou signifie étonnement, stupéfaction, l’homme étant frappé d’étonnement et de stupeur en présence du vohou. »

L’homme est donc interloqué, sans voix face au chaos qu’il est avant la parole de D. Sans D. sa vie est un « désert où hurle la solitude »

C’est de cette agitation que la femme vient le tirer, comme une réalité paradoxale sans laquelle il ne peut trouver sa propre signification.

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul »

Le couple humain est une réalité paradoxale en quête de l’unité originaire et qui sans elle se repousse et se détruit. « L’Éternel-Dieu dit: « Il n’est pas bon que l’homme soit isolé; je lui ferai une aide digne de lui. » » (Gn 2, 18). L’homme est en danger sans son vis-à-vis. Il risque de se croire pouvoir réaliser l’unité de Dieu. Il lui faut une femme avec il va pouvoir réaliser l’unité le ehad qui est en Dieu.

Le Zohar déclare :

« Un homme seul, ou une femme seule, n’est que la moitié d’un corps » (Zohar III 7b, 109b, 296a)

Et les Hakhamim disent :

« L’épouse d’un homme est comme son propre corps. » (Talmud Menahot 93b, Bekakhot 35b).

 

« Une aide qui soit face à lui Si l’homme a du mérite, elle lui sera une aide. S’il n’en a pas, elle sera contre lui et le combattra » (Beréchith rabba 17, 3. et Yevamoth 63a).

Le Tohu Bohu c’est donc « l’avant » de la création et du couple humain. Un espace de confusion sans vis-à-vis (lumière/ ténèbre ; haut/ bas ; jour/ nuit ; terre/ eau ; homme/femme…) donc sans signification.

Berechit ne raconte pas les premiers instants de l’univers mais comment chacun de nous peut ici et maintenant choisir d’advenir en ce monde comme un être humain dans la avoda hachem, en couple.

Tohu Bohu

[1] MaHaRCHA (initiales de Morénou Harav Rabbi CHmouel Aidels – « Notre Maître Rabbi Samuel Eidels ») Rabbi Chemouel Ben Yeouda Halevy Edel de Pologne (1555-1631). Commentaire du Talmud intitulé Hidouchei Maharcha (Hidouchei signifiant « Nouvelles Explications par »).

[2] Et Rachi ajoute « En français médiéval : « estordison ». Vohou signifie vide et solitude. La face de l’abîme A la surface des eaux qui étaient sur la terre. Et le souffle de Elohim planait Le trône de la majesté divine se tenait dans les airs et planait à la surface des eaux grâce au souffle de la bouche du Saint béni soit-Il et par Sa parole, comme une colombe qui plane sur son nid (Gn rabba 2, TB Haguiga 15a). En français médiéval : « acoveter ». »

 


« le « H’erech » (le sourd), le fou et l’enfant »

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En discutant avec mes amies Gabrielle et Deborah Portnoï, toutes deux CODA (Children of deaf adult : enfants entendants de parents sourds), dont la langue des signes est la langue maternelle, et qui ont créé l’association  « La parole aux sourds » et militent dans l’association des sourds juifs de leurs parents (ACSJF) :

Alors qu’une autre amie, Nurith Aviv cinéaste franco israélienne qui est en train de réaliser une film sur la langue des signes qui sortira ce printemps aprés Langue sacrée langue parlée, Traduire…

… je voudrais résumer ce que dit la Halakha à ce sujet pour éviter des contresens. Ceci est contenu dans le traité ‘Haguiga 2b.

« le « H’erech » (le sourd), le fou et l’enfant »

Dans le Lévitique 19,14 il est écrit:

« Tu ne peux pas insulter le sourd. »

La traduction française est imprécise, il faudrait plutôt dire: « Tu ne dois pas prendre le sourd à la légère. »

 

Talmud HAGUIGA 01Talmud HAGUIGA 02

Que peut on en conclure ?

Que désigne le H’erech ?

L’expression qui assimile « le « H’erech » (le sourd), le fou et l’enfant », du Talmud disant qu’ils ne sont pas soumis aux Mitsvot ne signifie pas qu’un juif muet ou un sourd ou un sourd-qui ne sait pas parler est exclus d’Israël.

Le contexte est celui-ci : la mitsva dans le judaïsme doit être une action consciente de l’homme qui permet de sanctifier le temps c’est-à-dire de prendre conscience de sa valeur, de le fixer pour être vécu de manière vivante. Elle s’oppose au fait de tuer le temps, d’oublier dans l’addiction, etc…

Le H’erech ne correspond pas à des caractéristiques physiques mais à un état d’inconscience, celui de l’enfant, du fou, de celui qui serait complètement coupé des autres et qui de ce fait ne peut témoigner de manière responsable dans un beit Din ou une assemblée en prière.Le « H’erech » celui qui n’entend pas et ne parle est comparé au fou ou à l’enfant parce qu’il n’est pas en possession de ses moyens de conscience.

C’est pour cela que le talmud distingue le « H’erech » qui parle mais qui n’entend pas (le sourd), ainsi que celui entend mais qui ne parle pas (le muet), tous deux considérés comme des gens de parfaite constitution en tous points parce qu’ils ne comprennent pas une situation.

Selon Rachi, il est préférable d’utiliser la langue des signes plutôt que de lire sur les
lèvres.

Le Talmud dit dans le traité Guitin 59a dit :

« Quand le sourd fait un signe, nous pouvons le lui rendre. »

Le sourd dans le contexte antique

Cette discussion du 3ème siècle doit être replacée dans le cadre de l’ancien Droit romain, selon lequel le sourd ou le muet ne pouvaient faire de testament sans la permission du Prince ou se marier de peur que le ou la sourd(e)- muet(te) ne comprenne pas les charges et les devoirs du mariage. Il s’agissait d’un préjugé qui pensait que le sourd-muet ne comprenait pas.

Ler Choul’han Aroukh dit que le sourd-muet qui connaît la langue des signes ou le
sourd qui parle peut tout à fait compléter le minyan (Choul’han Arou’h, Ora’h ‘Hayim 55,8)

L’avis du Rav Ovadia Yossef

Le Rav Ovadia YOSSEF (1920-2013) zal , la plus haute autorité orthodoxe séfarade, dans Chou’t Yéh’avé Da’at vol.2 chap.6 dit que selon le strict Din, il est possible de s’appuyer sur les décisionnaires qui autorisent de compter dans le Minyan un sourd-muet qui a étudié dans une école spécialisée. Parce qu’il est conscient.

 


Commentaire psychologique de la Torah : le déluge et l’ivresse de Noé, l’alliance noachide

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chagall-arche-de-noe

Marc Chagall, L’arche de Noé, 1961-1966

La banalité du mal[1]

« L’Éternel vit que les méfaits de l’homme se multipliaient sur la terre, et que le produit des pensées de son cœur était uniquement, constamment mauvais; et l’Éternel regretta d’avoir créé l’homme sur la terre, et il s’affligea en lui-même. » (Gn 6, 5-6)

Les dernières lignes de Béréchith nous parlaient de la victoire du mal ; de l’étendue qu’avaient prise les forces de l’instinct. Le mal absolu s’était banalisé sur terre.

L’inconséquence était la règle du comportement : l’idée de Dieu était présente à l’esprit des hommes, mais reléguée dans un coin de la conscience, elle ne dictait plus les mobiles de l’action quotidienne. L’unité dans la conduite faisait complètement défaut et seules les règles individuelles, des valeurs personnelles régissaient l’action des hommes. Dieu était l’objet de vénération réservée aux prières du jour de repos, mais Il n’avait rien à voir avec les préoccupations journalières. « Nos Rabbins ont enseigné : La génération du déluge n’a aucune part dans le monde à venir. […] Nos Rabbins ont enseigné : La génération du déluge s’est élevée hautainement à cause du bien que le Saint, béni soit-Il, leur a prodigué. » résume le Talmud (TB Sanhédrin 108b). La confusion d’avant le déluge est décrite par les Hakhamim comme un mélange de ce que Dieu avait séparé, un retour à la confusion du tohu bohu originaire :

Car toute chair avait corrompu son chemin sur la terre. R. Johanan a dit : Ceci enseigne qu’ils ont fait copuler des bêtes et des animaux, des animaux et des bêtes; et tous ceux-ci ont été mis en rapport avec l’homme, et l’homme avec eux tous. (TB Sanhédrin 108b)

La tragédie de Babel est celle d’une confusion incestueuse. Seul un homme dépourvu de tout esprit mondain et entier dans sa pensée et ses actes pouvait entreprendre, par son exemple de réveiller le monde endormi. Cet homme sera Noé.

Dès le premier verset notre sidra on nous le présente : Ich tsadiq tamim haya bédorotav ; eth haélohim hithalèkh Noa’h : il était un homme pieux qui avait le courage d’aller jusqu’au bout de ses opinions, de marcher avec Dieu toujours et partout.

« Voici les générations (tolédot) de Noé. Noé fut un homme juste, intègre (tamim), entre ses contemporains (ses générations (dor); il se conduisit selon Dieu. » (Gn 6, 9)

Pourquoi les générations (tolédot) de Noé ? Parce que, souligne Rachi, Berchit Rabba (30, 6) nous dit que les générations laissées par le juste ce ne sont pas ses enfants mais ses bonnes actions. Comme on donne à ses enfants on ne devrait jamais se retenir de commettre une bonne action. Ainsi qu’il est écrit, « Le souvenir du Juste est une bénédiction » (Michée 10, 7).

Quelles luttes pour pouvoir résister au courant ! Quelle force de caractère pour supporter les railleries des puissants de l’heure ! Noé lui-même, pose sa foi en digue devant les flots de la violence déchaînée.

Au : « Il y avait un homme juste et intègre parmi ses contemporains, et Noé marchait devant Dieu : Noa’h Ich tsadiq tamim haya bédorotav ; eth haélohim hithalèkh Noa’h » répondra, avec les mêmes mots, le « Marche devant moi et soit intègre : Ithalek lefanaï veyié tamim » (Gn 17, 1) adressé comme un ordre par Dieu à Abraham.

Noé est donc un juste dans sa génération mais d’une justice relative par rapport à ses contemporains, pas un absolu. Rachi dit qu’à l’époque d’Abraham « il aurait compté pour rien » et le Talmud abonde :

Johanan a dit: Dans ses générations, mais pas dans les autres générations. Resh Lakish soutenu: [Même] dans ses générations – combien plus encore dans les autres générations. R. Hanina a dit : Pour illustrer le point de vue de R. Johanan, à quoi cela peut-il être comparé? A un tonneau de vin couché dans une voûte d’acide : à sa place, son odeur est parfumée [par rapport à l’acide]; ailleurs, son odeur ne sera pas parfumée. R. Oshaia a dit : Pour illustrer le point de vue de Resh Lakish, à quoi cela peut-il être comparé ? À une fiole d’huile de nard située au milieu des détritus : si elle est parfumée là où elle est, combien plus au milieu des épices ! (TB Sanhédrin 108 a)

Pourquoi le déluge va-t-il durer 40 jours ? Parce que c’est la durée de la formation d’un fœtus humain nous rappellent nos sages (Berechit Rabba 32, 7). Dieu enclot donc dans l’arche une famille humaine et ses enfants et sept couples d’animaux purs et deux impurs pour faire renaitre l’humanité corrompue par le péché c’est-à-dire qui s’est conduite de manière mortelle pour elle-même. « La catastrophe nous est présentée comme une reconstruction » souligne Hirsch[2].

Pourquoi sept couples de quadrupèdes et d’oiseaux mâle et femelle (7, 2.3) emmenés dans l’arche ? Parce que selon Ibn Ezra ce nombre est indépendant du système décimal.

Puis pourquoi sept jours d’attente avant les 40 jours et 40 nuits du déluge ? Dans le Talmud de Jérusalem (TJ Moed Katan 3, 5) Rabbi Zeira demande :

D’où sait-on que Dieu a tenu sept jours de deuil pour le monde ? De ce qu’il est dit : « Il arriva au bout de sept jours que les eaux du déluge furent sur la terre » (Gn 7, 10)

Noé est un second Adam ancêtre d’une nouvelle humanité, certes il est un « juste parfait » un ish ha-adama (Gn 9, 20) qui règne sur la terre comme Joseph en Egypte remarque le Zohar, un juste qui a lui-aussi échappé à la corruption de son entourage (symbolisée par le désir de la femme de Putiphar), mais il reste cependant pas un juste qui n’a pas joint le michpat, la clémence, à sa justice comme Abraham. Joseph avait besoin d’un appui pour le soutenir il « marchait avec Dieu » alors qu’Abraham marchait « devant Dieu » sans besoin de soutien souligne Rachi.

Le mot téba n’est employé que deux fois dans la Torah remarque Elie Munk, pour parler de l’arche de Noé et du berceau de Moïse (Ex 2, 3). Il s’agit à chaque fois de « sauver de la mort le rédempteur de l’humanité – et le rédempteur du peuple élu » [3], le futur prophète de l’alliance avec l’humanité et avec Israël ».

Noé sauve sa famille et sa peau mais pendant les 20 ans de la construction de l’arche il ne convaincra pas ses contemporains à l’instar d’Abraham intercédant pour Sodome, ou de Moïse implorant le pardon pour le peuple quitte à être effacé du livre de Dieu (Ex 32, 32) regrette la tradition qui lui reconnait néanmoins le mérite d’avoir sauvé le genre humain.

L’holocauste de Noé et la culpabilité existentielle

Cain et Abel avaient déjà offert pour l’un les fruits de la terre et des premiers nés de leur bétail .

 Caïn présenta, du produit de la terre, une offrande au Seigneur, et Abel offrit, de son côté, des premiers-nés de son bétail, de leurs parties grasses. Le Seigneur se montra favorable à Abel et à son offrande, mais à Caïn et à son offrande il ne fut pas favorable; Caïn en conçut un grand chagrin, et son visage fut abattu. Le Seigneur dit à Caïn; « Pourquoi es-tu chagrin, et pourquoi ton visage est-il abattu? Si tu t’améliores, tu pourras te relever, sinon le Péché est tapi à ta porte: il aspire à t’atteindre, mais toi, sache le dominer! » »(Gn 4, 3-7)

Dieu avait agréé le sacrifice d’Abel et pas celui de Caïn et la tristesse de Caïn avait conduit au meurtre d’Abel. Quel est le péché de Caïn ? « Si tu t’améliores, tu pourras te relever, sinon le Péché est tapi à ta porte: il aspire à t’atteindre, mais toi, sache le dominer! » (Gn 4, 7) : de ne pas avoir su résister à sa pulsion violente, refusant de s’améliorer, de travailler sur lui-même. Les « holocaustes » rédiment des péchés commis en pensée et pas en acte dit le Zohar. Le sacrifice est donc lié à la culpabilité.

L’initiative vient-elle de Noé ? de Dieu lui-même ?

Maimonide dans son Guide des égarés dit que chaque fois que Dieu réfléchit al libo (dans son cœur) « et Dieu se dit dans son coeur: « Désormais, je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme » (Gn 21, 7), comme lorsque Dieu « s’affligea dans son cœur (al libo) » (Gn 6, 6) d’avoir créé l’homme. Cela signifie que Dieu n’a pas envoyé de messager à l’homme pour réaliser une action.

Rachi défend l’opinion diamétralement opposée : « Noé s’est dit : si le Saint béni-soit-Il m’a ordonné de faire entrer certaines bêtes par sept ce ne peut être que pour en offrir en sacrifice (Berechit Rabba 34, 9). ». Le sacrifice n’est pas spontané, c’est Dieu qui l’a sinon ordonné au moins suggéré. Le sacrifice lui est agréable et l’Éternel le désire.

Entre culte spontané et service de Dieu ordonné on ne peut trancher. Dit en d’autres termes, le sacrifice peut probablement être conçu comme un acte spontané de l’homme pour racheter le sentiment de culpabilité inhérent à son existence, et dans le cas de Noé probablement lié aux millions de morts du déluge (« Pourquoi eux et pas moi ? »). Dieu méprise ces sacrifices comme le montreront les prophètes car ils relèvent d’une conception erronée de la justice qui ne conduit à aucune amélioration personnelle ou sociale. Mais ce sacrifice peut aussi être un service de Dieu selon la vue de Rachi, une action de grâce destinée à frustrer la violence primitive de l’homme, une capacité de renoncement pour désirer de manière libre : « le penchant du cœur de l’homme est mauvais dés son enfance (Yetser lev ha-adam ra) » constate la Paracha… mais celui-ci peut le vaincre.

L’ « odeur agréable » n’est pas celle d’un bon ragout car pour le judaïsme l’odorat est le sens le plus spirituel. Un midrach explique que, descendant de l’arche Noé contempla l’immensité du désastre et fondit en larmes. Son sacrifice serait alors une supplication envers Dieu pour épargner le monde à l’avenir. Le sacrifice de Noé serait donc le signe d’un dévouement gratuit et spontané de Noé envers Dieu, un acte spirituel.

Le monde suit son cours

Juste après le déluge Dieu dit :

« Désormais, je ne maudirai plus la terre à cause de l’homme, car les conceptions du cœur de l’homme sont mauvaises dès son enfance ; désormais, je ne frapperai plus tous les vivants, comme je l’ai fait. Plus jamais, tant que durera la terre, semailles et récolte, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit, ne seront interrompus. » (Gn 8, 21-22).

Selon Rabbi Itsak, avant le déluge il suffisait de labourer son champ une fois tous les 40 ans ! (Berechit Rabba 34, 13) et rabbi Chmoule Bar Nahman disait quand il souffrait de maux de tête : « voilà ce que nous devons à la génération du déluge ! ». Selon certains Sages l’apparition des saisons est la marque du temps post-déluvien. Une intéressante discussion d’astronomie du traité Berakhot (58b-59 a) sur le verset de Job : « Il crée l’Ourse, l’Orion et les Pléiades » (Jb 9, 9), montre que les sages pensaient que le déluge était du a un changement opéré par le créateur dans la disposition des étoiles :

« Car au moment où le Saint, béni soit-Il voulut amener le déluge sur le monde, il prit deux étoiles de Pléiades et amena le déluge sur le monde. Et quand il voulut le boucher, il pris deux étoiles de l’Ourse et le boucha.

– Il aurait dû lui rendre !

– Un puits ne se remplit pas de sa margelle. Ou bien un accusateur ne devient pas défenseur.

– Il aurait dû lui créer deux autres étoiles !

– « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (Qo 1,9)… » (TB Berakhot 59 a)

Bref : un puit ne peut se remplir de l’eau qui s’accumule sur sa margelle ; les étoiles qui avaient provoqué le déluge par leur absence ne sauraient être amenées au tribunal céleste pour mettre fin au cataclysme ; Dieu s’en tient en définitive à son œuvre de création originaire.

On peut tenter une hypothèse : le mal qui régnait avant le déluge était dû à une absence de prise de conscience du temps, de cette distraction des fins dernières a découlé l’addiction dans un monde de l’instantanéité et du plaisir immédiat maximisé et à jet continu. Cette absence de conscience de soi c’est l’idolâtrie, un rapport faussé au monde, réduit à sa factualité, à la bestialité et à la guerre.

Après le déluge, le monde fonctionne selon ses lois et Dieu n’y interviendra plus comme le signifie l’arc en ciel, signe de l’alliance de Dieu avec l’humanité, c’est-à-dire de la continuité du temps qui ne peut plus être interrompue par aucun maboul (déluge) ni hamas (violence). Le temps réglé par les astres et les saisons suit désormais son cours et chacun peut avoir mal à la tête ou s’enrhumer en son temps… Ce principe de stabilité est un fondement talmudique qu’énonce le Rambam : « Le monde suit son cours habituel », il est « interdit d’interagir dans le monde en espérant un miracle »[4].

 L’ivresse de Noé et l’annonce de la faiblesse humaine

Cependant Noé ne parviendra pas à conserver parfaitement intact sa témimouth, et il est probable que les huit personnes qu’il a sauvé dans l’arche, dont ses trois fils, ont quand même été touchés par la corruption du monde antédiluvien où ils ont vécu. Si Dieu a tenté de faire renaitre la vie sur terre après que les hommes l’aient détruit, cet anéantissement par l’homme de son environnement restant une possibilité actuelle, les 40 jours de gestation pour former un nouvel Adam n’ont semble-t-il que partiellement réussi.

Car suit le malheureux épisode où le seul juste de l’humanité finit ivre mort au fond de sa tente, probablement avec sa femme disent les sages. Un spectacle affligeant face auquel ses trois enfants vont avoir des attitudes différentes. La Torah si bavarde ensuite sur les noms des descendants de Noé est laconique sur cet épisode :

« Noé, d’abord cultivateur planta une vigne. Il but de son vin et s’enivra, et il se mit à nu au milieu de sa tente. » (Gn 9, 20-21)

Peu auparavant on nous avait précisé le nom « programmatique » des enfants de Noé :

« Noé engendra trois fils: Sem, Cham et Japhet. » (Gn 6, 10)

  • Sem-Chem, signifie « nom, renommée, prospérité ». Ce nom symbolise l’étude, la spiritualité, l’intelligence, la science, la Torah, les sémites.
  • Japhet vient de yofi qui signifie « la beauté ». Japhet est compris comme le père des grecs et des peuples indo-européens. Japhet c’est la séduction, la beauté, l’harmonie, l’art. Il sera l’ancêtre d’Abraham.
  • Ham, signifie « chaud », c’est la passion bouillonnante, l’impulsif, la force. Il engendrera Canaan. Les Sages ont vu en lui la force rusée qui conduit à la révolte contre Dieu en construisant la tour de Babel. Car de Ham descendra Nimrod, le roi qui construira la tour de Babel et les villes de Babylone et Ninive.

Alors que Noé va s’enivrer, Ham va voir la nudité de son père, et, au lieu de le couvrir il va sortir pour l’annoncer à ses deux frères. (Gn 9, 21-22). Le Talmud s’offusque profondément de ce qui apparait comme banal de prime abord.

En réalité l’acte de « découvrir la nudité[5] » désigne l’inceste dans le Torah : « Nul d’entre vous ne s’approchera de quelqu’un de sa parenté, pour en découvrir la nudité. » (Lv 18,6) Le commandement se fait encore plus précis : « Tu ne découvriras pas la nudité de ton père, ni celle de ta mère » (Lv 18,7). Le Talmud et la Tradition juive lisent donc cet acte comme un véritable inceste, le regard incestueux de Ham viole le père souverain puis en fait l’annonce. Le midrache affirme même que Cham aurait castré son père. On retrouvera ailleurs dans la Torah un cas d’inceste suite à l’ivresse : Lot est enivré et ses deux filles qui, ne trouvant plus d’hommes, en profitent pour coucher avec leur père (Gn 19, 30-38)

Sem et Japhet, quant à eux, vont protéger Noé, leur père, ce juste déchu et lui apporteront son manteau pour le couvrir en venant à reculons pour ne pas « découvrir sa nudité ». « Sem et Japhet prirent la couverture, la déployèrent sur leurs épaules, et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père, mais ne la virent point, leur visage étant retourné. » (Gn 9, 23).

Le roi est nu et le regarder est une malédiction pour Ham. Le fils de Ham, Canaan sera condamné à servit Sem et Japhet c’est la « malédiction de Noé ». Pourquoi ? parce que la dévalorisation du symbole paternel, aussi bas soit-il, conduit directement à la destruction de l’estime de soi de l’enfant. Celui qui voit son père détruit par l’alcool peut avoir du mal à incarner la fonction symbolique paternelle. Sem et Japhet vont se protéger de cette malédiction en ne regardant pas.

D’autres commentateurs ne verront pas une connotation sexuelle dans le regard sur la nudité de Noé. D’ailleurs l’ivresse n’est pas un interdit biblique. Ce que voit Ham c’est la pauvreté, la honte, l’humiliation de son père. On peut imaginer que ce fait abaisse l’image que Ham se fait de son père, il en découvre la faiblesse et cet affaiblissement est un affaiblissement psychique pour lui-même, une malédiction qui le déconstruit et que lui, le cadet annonce à ses frères, une révélation qui est probablement son erreur la plus grave car elle conduit à un affaiblissement de la fonction totémique paternelle.

La nudité naturelle pour Adam et Eve avant le péché et qui devient le symbole de leur fragilité après, au point de terroriser désormais Adam « J’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché » (Gn 3, 10), cette nudité qui ne signifie pas la seulement sexualité mais la faiblesse, la limite, qu’il faut cacher avec un manteau mais que Dieu voit quand même : « Le Seigneur Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit » (Gn 3,21), est brutalement annoncée par Ham qui ridiculise Noé.

La Torah met en parallèle Noé et Adam les premiers hommes des deux mondes.

Selon le psychanalyste Gérard Haddad les trois noms des enfants de Noé suggèrent trois types de subjectivité. Ham c’est celui qui rejette sa filiation ses origines en faisant boire son père (le talmud ajoute qu’il a forniqué avec lui). Il se condamne par son comportement. Chem c’est le Nom, le symbole de la rationalité, de l’étude. Sem et Japhet ne peuvent pas fonctionner de manière séparée car ils portent ensemble le manteau qui va recouvrir la nudité de leur père. L’alliance entre la réflexion logique, le science d’une part ; et d’autre part la beauté et l’harmonie des formes, l’art, est un idéal talmudique : Il faut qu’un jour Japhet viennent habiter dans le tente de Chem souligne Gérard Haddad[6].

On peut penser que ces trois subjectivités représentent le psychisme ordonné de l’homme, du « juste parfait » : quand la sensibilité est au service de l’intelligence et que toutes deux l’emportent sur l’émotion impulsive.

L’alliance avec l’humanité

Les descendants de Sem Cham et Japhet sont les 70 nations de la terre. Un chiffre symbolique qui représente toute la terre. Ce sont ces même 70 nations pour lesquelles 70 taureaux étaient offerts lors de la fête universaliste de Souccot. Israël sera la nation « une », particulière, séparée des 70 autres.

Mais l’alliance que fait Dieu n’est pas une alliance avec Israël mais avec l’humanité. Dieu est le Dieu non pas d’Israël mais de toute l’humanité.

Si Israël a sa loi, il ne demande pas pour autant au non-juifs d’y adhérer. L’alliance noachide a sa loi : les sept impératifs moraux qui, d’après la tradition juive, ont été données par Dieu à Noé. Une loi en sept points énoncée ainsi dans l’une des plus ancienne Baraïta (IIe s. de notre ère) :

« Nos Docteurs ont dit que sept commandements ont été imposés aux fils de Noé : le premier leur prescrit d’avoir des magistrats ; les six autres leur défendent :  le sacrilège;  le polythéisme;  l’inceste;  l’homicide;  le vol;  l’usage d’un membre de l’animal en vie ». (TB Sanhédrin 56 b)

Six commandements négatifs donc et un septième positif, l’obligation d’établir des tribunaux. Pourquoi des tribunaux ? Parce que sans tribunaux il n’y a pas de tsedaka, de justice. Noé est un tsadik de sa génération un juste. L’administration de la justice, signe l’existence de la loi noachique car sans tribunaux point de justice. Selon la Tradition juive, tout non-Juif vivant en accord avec ces sept lois est considéré comme un Gentil Vertueux et a sa part dans le monde à venir comme un juif. Les adhérents à ces lois sont souvent appelés B’nei Noah’ (Enfants de Noé) ou noachides[7].

Maimonide inscrit le don de la loi dans l’histoire. Il dit que les sept commandements noachide remontent à Adam. L’interdiction de manger de la chair d’un animal vivant, la cruauté, a été ajoutée pour Noé (Gn 9, 4) puis….

Quand Abraham a surgi, en plus de ceux-ci, il a reçu le commandement de la circoncision. Il a également ordonné les prières du matin. Isaac a séparé la dîme et ordonné un service de prière supplémentaire avant le coucher du soleil. Jacob a ajouté l’interdiction de manger le nerf sciatique. Il a également ordonné les prières du soir. En Egypte, Amram a réçu les commandements qui concernent d’autres mitsvot. En fin de compte, Moïse est venu et la Torah a été complétée par lui. (Maïmonide, Michné Torah Sefer Choftim, Melakhim Melakhim ouMilkhamot  9, 1)
Parfois ces sept commandements noachides sont réduits à un seul qui semble tous les contenir, l’abandon de l’idolâtrie ou polythéisme. Tout homme qui abandonne l’idolâtrie est juif :

Les familles se querellèrent l’une avec l’autre. La famille de Yehouda dit : C’est grâce à moi que Mordekhaï a pu naître, puisque David n’a pas tué Chim’i ben Guéra. Et la famillle de Binyamin dit : il vient de moi. […] Rabbi Yo’hanan dit : toujours il venait de Binyamin. Et pourquoi l’appelle-t-on yehoudi ? Parcequ’il a renié l’idolâtrie, car tout homme qui renie l’idolâtrie est appelé yehoudi (juif). (TB Méguila 13 a)

Maïmonide souligne la centralité du renoncement à l’idolâtrie, il explique dans le Guide des Egarés que « le but principal de la Loi est d’extirper l’idolâtrie »[8] et ajoute dans le Michné Torah[9] :

«  IV/ Le commandement qui proscrit l’idolâtrie a, à lui seul, la même importance que tous les autres réunis, selon le verset : ‘‘Quand, par erreur, vous n’aurez pas exécuté toutes ces ordonnances…’’ (Nb 15,22). La tradition nous a enseigné que ce texte vise l’idolâtrie. On en peut déduire qu’avouer l’idolâtrie revient à désavouer la Loi tout entière, tous les prophètes et tous les commandements dont ont été chargés les prophètes depuis Adam jusqu’à la consommation du monde, inversement, désavouer l’idolâtrie, c’est avouer la Loi tout entière, tous les prophètes et tous les commandements dont ont été chargés les prophètes depuis Adam jusqu’à la consommation du monde.

L’interdiction de l’idolâtrie est donc bien le commandement essentiel.

V/ Un Israélite pratiquant l’idolâtrie est assimilé sous tous les rapports au non-juif et non pas à l’Israélite qui se serait rendu coupable d’une transgression sanctionnée par la lapidation. Qui est passé au culte idolâtre a apostasié la Loi tout entière. De même les Israélites hérétiques ne sont plus à aucun égard, comptés pour Israélites. »

L’archétype biblique du rejet de l’idolâtrie n’est pas Noé mais Abraham. En lui seront « bénies toutes les familles de la terre » (Gn 12, 3), c’est à dire toutes les Nations. C’est pour cela que l’épisode de la tour de Babel suit immédiatement l’énonciation des 70 descendants de Noé.

[1] J’emprunte ce rapprochement avec Hanna Arendt à mon ami Gérard Haddad.

[2] Commentaire du rav S .R. Hirsch sur le Pentateuque, Tome 1, Berechith, Kountrass editions 1995, pg. 213

[3] Elie Munk, La voix de la Torah, la Genèse, Association Samuel et Odette Levy Nouvelle édition 2007, pg. 95.

[4] Maïmonide : Mishneh Torah, lois des rois, XII, 1

[5] Ervah, “nudité” : Lv 18, 6.7.8.9.10.11.12.13.14.15.16.17.18.19 et 20, 11. 17.18.19.20.21 et Ez 22, 10…

[6] Conférence Akadem, sept. 2013 en ligne.

[7] Le fondement halakhique antique de ce statut (Maïmonide, Michné Torah Sefer Choftim, Melachim 9, 1) a été analysé par Elia Benamozegh, rabbin de Livourne du XIXème siècle, dans Israël et l’humanité.

[8] Guide des égarés, III, 30.

[9] Michné Torah, Livre de la Connaissance, chapitre II, « Qu’il est interdit de rendre un culte à rien de ce qui est créé… », Traduction de Valentin Nikiprowetzky et André Zaoui (Le livre de la connaissance, Quadridge/PUF, 196, pg. 232.)


Lekh Lekha (va pour toi!) et l’émergence de la femme comme sujet

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Marc Chagall: Abraham pleurant Sarah.1931

Abraham et le monothéisme

Pour la tradition juive Abraham est la figure du croyant monothéiste, de celui qui confronté à de multiples épreuves n’abandonnera pas le monothéisme. Dieu demande à Abraham des renoncements de plus en plus importants : son pays, son village de naissance, son père : « Quitte ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle » (Gn 12, 1). Enfin son fils Isaac.

Sa démarche nous l’oppose à Nimrod constructeur de la tour de Babel mais aussi à son père idolâtre :

Le Midrach enseigne :

 » Nimrod, dit à Abraham : es-tu bien Abraham fils de Tèrah ?
– Sais-tu que je suis l’auteur de toutes les œuvres, du soleil, de la lune, des étoiles et des astres ? Les hommes sont issus de moi. Pourquoi as-tu détruit mon idole ?
À ce moment, le Saint béni soit-Il inspire Abraham qui répond :
– Que votre Grandeur me permette de répondre
– Parle !
– Depuis la création du monde, le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest. Ordonnez donc au soleil de se lever demain à l’ouest et se coucher à l’est. J’attesterai alors que vous êtes le maître du monde. De plus, si vous êtes l’auteur des êtres humains, vous devez connaître avec certitude toutes leurs pensées intimes. Dites-moi donc maintenant ma pensée et mes projets immédiats.

Nimrod, perdu dans ses pensées, caresse sa barbe. Abraham s’adresse à lui :- Ne soyez point surpris. Vous n’êtes nullement le maître du monde, mais plutôt le fils de Kouche. Et si vous étiez le maître du monde, pourquoi n’avez-vous pas sauvé de la mort votre père ? Mais, comme vous ne l’aviez point sauvé, ainsi serez-vous incapable d’échapper vous-même à la mort.

Aussitôt, Nimrod convoque Tèrah et dit :

– Quel traitement réserver à ton fils qui détruisit mes idoles ? Son châtiment serait de le brûler vif !

Mais Nimrod dit à Abraham :

– Prosterne-toi devant le feu et tu auras la vie sauve.
– Je me prosternerai plutôt devant l’eau qui éteint le feu
– Alors prosterne-toi devant l’eau !
– Si c’est ainsi, mieux vaut s’incliner devant les nuages qui supportent l’eau.
– Incline-toi devant les nuages !
– Alors mieux vaut s’incliner devant le vent qui disperse les nuages.
– Très bien, incline-toi devant le vent !
– N’est-il pas mieux de s’incliner devant Dieu qui maîtrise le vent ?
– Alors Nimrod, [s’emportant], dit : assez parler ! Je ne me prosterne, quant à moi, que devant le feu. Je t’y jetterai et que vienne ton Dieu te délivrer.
Aussitôt, on le fit sortir pour le jeter dans une fournaise ardente. Ligoté, enchaîné, placé sur une pierre, il fut entouré de toutes parts de bois ayant cinq coudées de longueur et cinq de hauteur qu’on eut bien soin de flamber.

À ce moment, tous les voisins et les concitoyens vinrent conspuer Tèrah, le frappant sur la tête : – honte ! humiliation ! Le fils que tu disais appelé à hériter ce monde et le monde à venir est en train de brûler vif par les soins de Nimrod !

Mais le Saint béni soit-Il, plein de clémence, descend et le sauve ! »

Abraham n’est pas une personne miraculeusement épargnée de l’idolâtrie dès avant sa naissance, Abraham c’est un homme qui s’arrache en conscience à un milieu baignant dans des croyances idolâtres. Abraham c’est celui qui est revenu de toutes les idolâtries :

Le Midrach s’étonne de ce prodige :

« Rabbi Chimône Ben Yohaï dit : Abraham, notre père, ne reçut d’enseignement ni de son père ni de son maître. Comment a-t-il appris la Tora ? Le Saint béni soit-Il lui a donné des reins aussi grands que des vases débordant de sagesse qui lui enseignaient la Tora et la connaissance durant toute la nuit. Rabbi Léwi dit : il apprit par lui-même la Tora. »

Et souligne l’aspect volontaire de la démarche d’Abraham qui s’oppose à tout son environnement culturel et religieux dans une Babylonie où le culte des astres était une évidence sans discussion :

« Abraham avait trois ans lorsqu’il sortit de la caverne [où l’avait caché son père pour le soustraire à la colère de Nimrod]. S’interrogeant sur le créateur du ciel, de la terre et de lui-même, il passe toute la journée, à adresser ses prières au soleil. Le soir, le soleil se couche à l’occident et la lune se lève à l’orient. Voyant la lune entourée d’étoiles, il se dit : voilà le créateur du ciel, de la terre et de moi-même ; ces étoiles sont ses ministres et ses serviteurs. Toute la nuit, il adresse donc ses prières à la lune. Au matin, la lune disparaît à l’ouest et le soleil se lève à l’est. Il dit : ces deux [astres] sont dépourvus de puissance. Un souverain est au-dessus d’eux, à Lui j’adresserai mes prières et devant Lui je m’inclinerai ! » (Midrach Rabbah sur Gn)

Le lekh lekha : « va pour toi », est une injonction : « pense par toi-même ! ». Cette libre pensée va de pair avec l’émergence de la nomination féminine, c’est-à-dire l’émergence de la femme comme sujet.

Et curieusement la sortie de l’idolâtrie, c’est à dire une manière de se référer au monde, à autrui et à dieu comme un moyen et non comme une fin en soi est liée à l’émergence de la femme comme sujet. Le vrai sujet de la paracha n’est pas Abraham mais Sarah.

De la nomination des femmes et de l’émergence de la femme comme sujet.

« Abram prit Saraï son épouse » (Gn 12, 5)

J’ai reçu un enseignement intéressant d’Ezriel Nathan, rabbin.

Celui-ci remarque que lors de la génération d’Adam le père du genre humain, la femme est nommée icha, d’un nom tiré de celui de l’homme, ich. « Et l’homme dit: « Celle-ci, pour le coup, est un membre extrait de mes membres et une chair de ma chair; celle-ci sera nommée Icha, parce qu’elle a été prise de Ich. » » (Gn 2, 23). Rachi en conclut que « nous apprenons d’ici que le monde a été créé avec la langue sainte, [étant donné que seule la langue hébraïque relie les mots « homme » et « femme » à une racine commune] (Beréchith rabba 18, 4).

De même dans le second récit de création c’est encore l’homme qui nomme la femme non pour elle-même mais comme une fonction de reproduction qui teinte son nom : « L’homme donna pour nom à sa compagne « Ève » [du verbe ‘haya, « vivre » : qui donne la vie à ses enfants] parce qu’elle fut la mère de tous les vivants. » (Gn 3, 20)

Pendant les dix générations suivantes qui vont jusqu’à Noé alors que la violence grandit sur terre, les femmes seront « des femmes de » mais sans jamais être nommées. Seules les descendantes de Caïn, Ada et Cilla, femmes de Lamec, sont nommées par la Torah (Gn 4, 19) mais dans une pure définition objectale et fonctionnelle : l’une assumant le rôle de fille à plaisir et l’autre la fonction de mère comme le présente Rachi qui condamne ces mœurs :

« Telles étaient les mœurs de la génération du déluge : l’une pour donner des enfants, et l’autre pour le plaisir. On faisait absorber à la seconde une potion destinée à la rendre stérile, on la parait comme une jeune épousée et on la nourrissait de mets succulents. Quant à la première, elle était humiliée et endeuillée comme une veuve. »

Lors de la génération de Noé, père de l’humanité après le déluge, la femme de Noé n’est pas nommée elle est seulement eéchet Noah, de même que « les trois épouses de ses fils », Sem, Ham et Yaphet. (Gn 7, 13).

On le remarque, jusque-là, le féminin n’émerge que comme fonction du masculin. Le monothéisme d’Abraham, le refus du mensonge idolâtrique signe l’émergence de la femme comme sujet et non plus comme objet à disposition de l’homme.

Car il va falloir attendre Abraham, après vingt génération depuis Adam, Abraham, le père de tous les peuples (av‘haam), pour qu’une femme soit nommée pour elle-même, de manière unique et sans « fonction ». C’est Saraï dont Dieu changera bientôt le nom en Sarah.

Quand Rachi commente : « Abram prit Saraï son épouse, Loth fils de son frère, et tous les biens et les âmes qu’ils avaient acquis (hanefech acher assou) à Harân. Ils partirent pour se rendre dans le pays de Canaan… » (Gn 12, 5)… il explique que cette expression signifie qu’ils avaient fait entrer ces âmes sous les ailes de la chekhina (Beréchith raba 39 14) et que Sara convertissait les femmes quand Abram convertissait les hommes.

On est donc, après ce lent murissement de l’humanité qui a conduit de transgression, en assassinat, en destruction massive (maboul = le déluge) résultat d’une perversion morale généralisée, puis d’une perversion proclamant l’abaissement de l’image du père avec ham, fils de Noé, une nouvelle étape de l’humanité. Dans une lente progression on est passé du père des humains, au père de l’humanité et avec Avram au père de toute l’humanité, capable de nommer sa femme comme son égale.

Le Talmud souligne l’universalisme d’Abraham comme de Sarah :

« Abram c’est Abraham (Chroniques 1, 27) : Au début il est devenu père [du seul peuple] d’Aram [av-Aram]et à la fin le il est devenu « père d’une multitude [av amon] de nations » (Gn 17, 5). Saraï c’est Sara ! Au début elle est devenue princesse de sa nation [Car Saraï signifie littéralement « ma princesse »], et à la fin elle est devenue princesse du monde entier (TB Berakhot 13a).

Le Talmud de Babylone (Meguila 14a) dit que ce nom avait une autre raison : sa grande beauté que les gens contemplaient. Ce que confirme et le texte et Rachi.

« Tharé le père d’Abraham a engendré trois fils Abram, Nacor et Harân » (Gn 11, 27). Hors il se trouve que « La femme d’Abram avait nom Sarai, et celle de Nacor, Milka , fille de Harân, le père de Milka et de Yiska.» (Gn 11, 29). Rachi affirme que :

Yiska c’est Sara, ainsi nommée parce qu’elle « voyait » (sokha) par l’esprit divin, et que tous « contemplaient » (sokhin) sa beauté. Ou encore : Yiska est à rapprocher de nesikhouth, qui suggère l’idée de noblesse, tout comme le mot Sara suggère celle de princesse.

Le Talmud (Meguila 14a) affirme qu’il y eu 48 prophètes et 7 prophétesses en Israël : Sarah, Myriam, Deborah, Hannah, Abigaïl, Houldah et Esther. La première des matriarches est donc aussi la seule qui sera définie comme une prophétesse (nevia), la mère de la prophétie dont Abraham, « qui lui était inférieur en prophétie », souligne Rachi, doit écouter la voix : « … tout ce que Sarah te dira, écoute sa voix ! » (Gn 21, 12). Etrange situation par laquelle le premier homme écoutant et obéissant à la voix de Dieu qui l’appelle doit d’abord écouter… celle de sa femme.

L’alliance avec Abraham

Nous trouvons dans cette paracha deux des trois formes d’alliance (bérith) entre Dieu et Israël.

Tout d’abord, on trouve l’alliance qui symbolise le lien de la terre d’Israël et l’Eternel. Celle-ci n’est pas un pays comme les autres, son influence spirituelle sur ses habitants est puissante. Dans notre sidra que nous trouvons la première forme de cette alliance entre la terre d’Israël et Dieu :

« Ce jour-là, l’Eternel conclut avec Abram un pacte en disant : Je donne à ta descendance ce territoire, depuis le torrent d’Egypte jusqu’au grand fleuve, le fleuve d’Euphrate… » (Gn 15,18)

La deuxième forme de l’alliance concerne chaque individu en Israël. Il s’agit de la circoncision (brith Mila). Abraham la subira a 99 ans et son fils Ismaël à 13 ans :

« Voici le pacte que vous observerez qui est entre moi et  vous,  jusqu’à ta dernière postérité : circoncire tout homme parmi vous » (Gn 17, 10)

Enfin, la dernière forme de l’alliance concerne l’ensemble d’Israël : le don de la Torah au Sinaï.

A part l’alliance conclue avec Noé après le déluge, Dieu ne fit d’alliance qu’avec Israël.

La sidra Lekh lékha, nous raconte le déroulement de cette « alliance entre les morceaux » (brith ben habétarim), la Torah nous indique le déroulement de cet acte.

 « Prépare-moi une génisse âgée de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. Abram prit tous ces animaux, divisa chacun par le milieu et disposa chaque moitié en regard de l’autre » Mais il ne divisa point les oiseaux. Les oiseaux de proie s’abattirent sur les corps, Abram les mit en fuite » [..] Puis voici qu’un tourbillon de fumée et un sillon de feu passeront entre ces chairs dépecées, Ce jour-là, l’Éternel conclut avec Abram un pacte » ( Gn 15, 9-10. 17-18)

Rabbi Yossef Albo dans son ouvrage Séfèr ha’ikarim, explique que l’alliance doit constituer un lien durable entre deux êtres au point de faire des deux une seule personne. Chacun des deux a le devoir de sauvegarder l’existence de l’autre comme la sienne propre. C’est la raison pour laquelle, les animaux sont coupés en deux.

Seule la mort sépare ces deux moitiés. Il en est de même pour les contractants de cette alliance.

Dans cet esprit, le partage évoque une réciprocité entre Dieu et Abraham. L’alliance élève en quelque sorte Israël au niveau de partenaire de Dieu, une alliance qui engage Dieu à l’égard des hommes si ces derniers respectent leur engagement.


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