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Channel: Meïr –מַעֲשֵׂה אֲבוֹת סִימָן לַבָּנִים
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Le brûlement du Talmud à Paris en 1242

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Un rabbin a suggéré que l’incendie de la cathédrale de Paris pouvait être la réponse divine aux 24 chariots de Talmud brûlés sur la place de Grève en 1242. L’idée que D-ieu joue avec des allumettes la veille de Pessah semble quand même improbable. Mais surtout les incendies de toiture d’églises sont banals au Moyen-âge: la cathédrale de Chartres a brûlé deux fois avant son inauguration; les Annales de saint Nicaise rapportent qu’en 1210 « l’église de Reims a brûlé en la fête de Saint Jean, devant la Porte latine », et on a du tout reconstruire, un nouvel incendie en 1481 détruit la charpente : une négligence des ouvriers a mis le feu dans les combles , Reims le 06 mai 1210, etc…. Mais revenons sur le « brûlement du Talmud », que s’est il réellement passé à l’époque ?

Être juif à Paris en 1240

En 1240 on est à l’apogée du Gothique[1]. Les portails de la cathédrale de Chartres viennent d’être terminés. A Paris, les arcs boutants à simple volée, une prouesse technique ! poussent depuis 10 ans les voûtes de Notre-Dame vers le ciel. Les beffrois sont réalisés depuis 10 ans. Grace à Louis IX, alias « Saint Louis », grâce à l’Université de Paris, Paris est le coeur intellectuel de la chrétienté du XIIIe siècle. L’an dernier, le roi acheté pour une somme considérable, la supposée couronne d’épines de la passion de Jésus à des marchands vénitiens.
Vers 1240-1241, le théologien allemand Albert le Grand est à Paris, il y enseigne les traductions des textes grecs et arabes et commence à travailler sur Aristote et Avérroès. Il décrit la Synagogue comme une femme aux yeux bandés. Son futur disciple, Thomas d’Aquin, l’ami théologien de Louis IX qui tentera bientôt de concilier la pensée d’Aristote et la foi chrétienne, à la suite de Moïse Maïmonide pour le judaïsme (qu’il appellera avec admiration »l’aigle de la Synagogue »), n’a encore que 16 ans, il est oblat bénédictin au Mont Cassin. en 1240 Juda al-Harizi vient de terminer la traduction latine du Guide des égarés que vont lire les scolastiques dont Thomas d’Aquin. Les tossafistes, la génération de disciples de Isaac ben Samuel l’ancien lui même disciple de Rabbenou Tam commentent Rachi en Champagne, en Allemagne, en Hongrie. En Espagne Moïse de Léon le rédacteur ou compilateur du Zoharver 1270 vient de naître à
Guadalajara. Le « Sefer Hassidim » de Juda le Hassid (Yehoudah ben Chemouel hê-’Hassid), somme des idées et traditions est le manuel piétiste des hassidim (pieux)
aschkénazim (allemands).

Les juifs circulent beaucoup dans entre les communautés de Bohème, d’Allemagne, de France et d’Espagne. Il n’est pas rare que ces tossafistes soient des convertis au judaisme comme Samson ben Abraham (le RASH) de Sens (1150-1230) ou Isaac ben Abraham le Jeune, son frère, rosh yechiva à Dampierre. Les écrits des tossafistes entre 1150 et 1250 définissent comment établir des relations avec les chrétiens. Les rabbins polémiquent contre l’adoration des images de la mère de Jésus et du crucifix, une idolâtrie.

Mais en ces années 40 du XIIIème siècle les juifs qui vivent dans les quartiers au pied de ces cathédrales rasent les murs…

Meïr ben Baroukh de Rothenburg (v. 1215 – 2 mai 1293) surnommé le Maharam (Morenou HaRav Meïr) et considéré comme le plus grand talmudiste de son époque est de passage à Paris pour assister à une disputatio entre juifs et chrétiens sur le Talmud. Il vient soutenir son ami Yehiel de Paris en mauvaise posture dans ce débat contre un de ses anciens étudiants chassé de sa yéchiva et devenu depuis franciscain qui veut en découdre. Le roi sera là. Un autre rabbin Tossafiste l’accompagne : Moïse ben Jacob de Coucy  qui a ramené des milliers de Juifs d’Espagne à le techouva (repentir).

Promenons nous avec eux dans les rues de Paris de l’époque.


Disputation entre clercs et rabbins.
Gravure sur bois de Johannes von Armsheim – 1483

Il faut imaginer un Paris réduit à l’île de la Cité réunie aux rives de Seine par deux ponts en bois sur des piles de pierre recouverts de maisons en bois. On paie pour passer. Le cardo maximus traverse l’île à l’emplacement de l’actuelle rue de la Cité. L’île Saint Louis est un pâturage accessible seulement à gué. Sur les rives du fleuve on trouve des clos (vignes) et les faubourgs. L’île de la Cité est couverte de maisons en bois, la cathédrale de pierre immense, contraste avec cet univers végétal en modèle réduit, on y construit depuis 1163 et pour 180 ans un monument de pierre de taille extra-ordinaire pour les yeux de l’époque.


Paris sous Philippe-Auguste.1 Échelle de 1/25 000

Philippe-Auguste a mis les faubourgs à l’abri des invasions en les faisant entourer d’une muraille crénelée, flanquée de tours dont la Tour de Nesle et de portes comme les portes de Bucci, Saint Michel et Saint Martin. Le quartier du Marais, zone inondable transformée en pâturages puis en cultures il y a un siècle est transformé en 1240 par l’ordre du Temple
qui y construit un prieuré fortifié à l’extérieur de l’enceinte de Philippe Auguste  au niveau de l’actuel square du Temple, des juifs y vivent déjà. Le Louvre tel que nous le connaissons, qui sera édifié par le petit neveu de Saint Louis (un Valois quand Louis XI ou Louis IX sont des Capétiens) est encore un simple fort. On rend la justice sur la plage de la rive de Seine, en Place de grève (aujourd’hui place de l’Hôtel de Ville) où l’on pend les criminels et où on brûlera le Talmud en présence du prévôt des marchands de Paris et du clergé en 1242. En 1310 y aura lieu le premier bûcher d’une « hérétique », brûlée vive, Marguerite Porette une simple mystique rhénane, une béguine, qui refuse de retirer son livre : Le miroir des âmes simples et d’acquiescer à son procès. Mais nous n’en sommes encore pas là.

Paris compte 110 000 personnes en 1200 (Londres 20 à 25000). Les juifs, minorité tolérée de marchands aisés et de tout petits préteurs, vivent dans l’île de la cité dans des rues qui partent de l’angle de la rue Colombe et de la rue Chanoinesse actuelle. Le cimetière juif se trouve rue Galande, du nom de l’ancien clos dit de Garlande (Etienne de Garlande favoris de Louis VI le Gros y possédait une vigne). Au gré du bon vouloir du roi de France les juifs sont régulièrement expulsés, rappelés, taxés. Des mesures ont été prises à partir de 1230 pour encadrer les « usures juives »: récupération du solde des dettes qui leur sont dues sous trois ans et interdiction de recouvrements ultérieurs (voir « Les juifs dans les chroniques du temps de Saint Louis » de Claire Soussen). En réalité les juifs sont des parias indispensables pour le micro crédit (ou usure) interdit aux chrétiens. En effet dans cette période d’intense développement des échanges, le support de ceux-ci par la monnaie et le crédit est indispensable. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont tous riches ! beaucoup en France sont vignerons comme Rachi, artisans ou tailleurs en Allemagne. On les reconnait immédiatement à leurs longues robes et à leurs chapeaux pointus – un moyen de les distinguer de la population chrétienne, tels qu’ils apparaissent sous les traits d’Anne et Joachim (Anna et Yoyakin) les parents de la mère de Jésus dont tout le monde sait alors qu’elle est juive, dés 1200 au trumeau et sur le linteau inférieur du portail de droite de la façade occidentale de la cathédrale .

Anne et Joachim, Cathédrale de Paris

Dans le tympan d’Anne à droite, on voit un rabbin enveloppé dans son châle de prière (talit), un rouleau de la Torah est posé sur la tebah, la lampe perpétuelle (Ner Tamid) brûle.

Joachim apporte en offrande au Temple : un agneau et Anne deux colombes. Il s’agit de la purification de la femme accouchée aprés 2 semaines, en 66 jours pour une fille :


 » Elle apportera au prêtre, à l’entrée de la tente de la rencontre, un agneau d’un an pour l’holocauste et un jeune pigeon ou une tourterelle pour le sacrifice d’expiation.  » (Lv 12, 6)

Dans la partie gauche du tympan on voit le mariage d’Anne et de Joachim avec un rabbin couvert de son talit qui tient la main du hatan (fiancé) et de la kala (fiancée), au milieu d’une assistance juive en chapeau pointu. La kala est amenée par la main par son père et sa mère.

Cette sculpture datée de 1150 réalisée à l’origine pour la Cathédrale Saint Etienne est installée là en 1200. Anne et Joachim apparaissent dans différentes scènes avec le chapeau pointu rendu obligatoire par décret royal au 13e siècle mais il ne sont pas ridiculisés, il y a une sorte de volonté de décrire la vie juive et tous ses détails bibliques. On est encore en 1150 dans l’ambiance naïve de la fin de l’art roman… il y a 90 ans en 1240, l’art et l’état d’esprit du siècle précédent.
Tout cela doit amuser nos deux rabbins érudits.

Les juifs font l’objet d’une tolérance (liberté de culte, sécurité des personnes et des bien) et occupent une place particulière à l’intérieure de la société de l’occident médiéval. Ils sont à la foi des témoins de l’ancienne Loi et de la vie de Jésus et en même appelés à se convertir à la nouvelle. La base de cette sociologie est avant tout théologique. Selon Pierre Damien (1007-10172) :

« les restes des Juifs sont épargnés pour que soit conservée la maison de la Loi… Par la langue hébraïque qui est répandue dans le monde entier, une garantie d’authenticité est donnée à la religion chrétienne » Pierre Damien, Epistolae, II, 13 (PL 144, 284-5).

Les juifs sont des témoins obsolètes et l' »ancien Israël » (vetus Israël) est appelé à bientôt se fondre dans le « vrai Israël » (verus Israël), l’Eglise; et le plus tôt sera le mieux, donc les conversions au christianisme sont encouragées sans relâche.
Ils sont protégés mais sommés de respecter l’Eglise, ils sont humiliés pour leur crime : avoir tué et nié Jésus, un Bernard de Clairvaux trouve tout cela normal. La condition des « fils de Caïn » ne saurait être égale à celle à celle des « fils d’Abel », résume Pierre le Chantre.

Depuis 1215 Le Concile de Latran a obligé les Juifs à porter « un habit ou un signe distinctif » : la rouelle de rotella (« petite roue ») , symbolisant les 30 deniers contre lesquels Judas aurait vendu Jésus, en tissu de couleur jaune, mais ce règlement ne s’appliqua pas en France. En 1267 le Concile de Vienne ordonne le port d’un chapeau particulier, le pileus cornutus en latin (bonnet pointu) jaune pistache mais il apparaît dés le XIème siècle sur les manuscrits comme un usage courant. En France, un Juif baptisé convainc Louis IX « Saint Louis » de rétablir l’usage de la rouelle en 1269 : « une pièce de feutre, ou de drap jaune d’une palme de diamètre, et de quatre de circonférence », à partir de 14 ans. Un geste que Louis IX opère un an avant sa mort pour ce roi qui est devenu de plus en plus antijuif. (voir détail ici)

Comment la « théologie de la substitution » et l’antijudaïsme médiéval en développement constant se sont inscrits dans la pierre vers 1240

Le tombeau des rois… où l’église est couronnée

Déjà en 1144, lorsque Suger, le théologien-architecte de la Lumière, avait inauguré la cathédrale de Saint Denis, le public tout esbaudi de cette « couronne de lumière autour du tombeau de Saint Denis » avait découvert un vitrail sur lequel Jésus ouvre les yeux de la Synagogue en lui enlevant un voile devant les yeux alors que de l’autre main il couronne l’église. Il s’agit d’un commentaire en verre de la lettre de Shaul le disciple de Gamaliel- alias Paul de Tarse, vers l’an 55 de notre ère : « Jusqu’à ce jour, quand on lit Moïse, un voile est jeté sur leurs cœurs (des juifs); mais lorsque les cœurs se convertissent au Seigneur, le voile est ôté » – 2 Cor 3.

A bon entendeur !

L’Eglise est donc couronnée par Jésus tandis qu’il ôte le voile qui couvre les yeux de la Synagogue aveugle à la révélation chrétienne.

Les « aveugles » n’ont donc qu’à bien se tenir dans ce monde rempli de statues étranges qui prétendent montrer au bon peuple le D-ieu invisible.

Alors que Bernard de Clairvaux (1090-1153) a interdit les statues et les diablotins de Cluny, à l’âge gothique, les statues et les images font un grand retour sur scène en ce siècle où les images sont les ingrédients de base d’un grand spectacle de masse !

La Synagogue ou les fleurs du mal

Les manuscrits, eux, véritables bandes dessinées oniriques, sont enluminés de commentaires explicites. Vers 1120, dans le Liber floridus (le Livre des Fleurs) du chanoine Lambert de Saint- Omer, un frêne pousse des branches vivantes sur la page de gauche (arbor bona) qui représentent l’église… et mortes sur la page de droite (arbor mala) qui figure la synagogue ; ailleurs dans le même livre c’est Jésus lui-même qui repousse la synagogue en précipitant sa couronne à terre. Une couronne, tiens pourquoi une couronne ?

Pour la petite histoire le bois de frêne est réputé au Moyen Age soigner… la surdité… (voir ici) … Mais depuis Pline la feuille du frêne … est aussi considérée comme un contrepoison contre les morsures de serpents. malheureusement le judaisme est une maladie sans remède.

Strasbourg, le triomphe de la reine-église couronnée

L’Eglise et la Synagogue donc. A Strasbourg en 1230, la guerre est déclarée…

Deux statues féminines placées au double portail sud de la cathédrale de Strasbourg se font face sous la forme de deux femmes de pierre dont l’une regarde le porche tandis que l’autre, les yeux bandés et la lance cassée, se détourne de l’entrée de la cathédrale : l’Eglise et la Synagogue. La coupe de l’eucharistie remplace le rouleau de la Loi, la croix brise la lance juive, l’Eglise est couronnée, pas la Synagogue. On trouve là le vieux thème récurrent de la théologie de la substitution où le verus Israël, le « véritable Israël » : le christianisme, remplace le vetus Israël, le « vieil Israël » , le judaïsme… Une logique théologique qui va conduire à enfermer les juifs dans des ghettos à la Renaissance puis à les expulser pour les remplacer par des chrétiens et à les tuer. Le registre théologique est désormais belliqueux. Avec les juifs c’est la guerre et on brise des lances et la couronne de la synagogue, son pouvoir, est jetée à terre brisée par les rois de France exécuteurs séculiers de l’Eglise.

Le message théologico-politique est clair : la synagogue doit laisser la place au Christ vainqueur et à son bras armé le Roi de France .

La sculpture n’est plus celle des naïves scènes romanes, mais de véritable persona sur le mode romain qui symbolisent des idées abstraites, comme les dieux tutélaires romains ou Athena personnifiant le peuple d’Athènes. L’Antiquité est de retour avec un programme sculpté théologico-politique fasciné par la Rome impériale.

La Synagogue, Cathédrale de Strasbourg

Reims, le triomphe de la royauté théologique

En 1241, A Reims, on est clairement dans une statuaire romaine. la Synagogue découronnée et déchue s’oppose à l’Eglise triomphante (1241), le calice eucharistique s’oppose aux tables de la loi, la couronne de la Synagogue tombe de sa tête :


Eglise, Cathédrale de Reims, 1241, (photo d’avant 1914)

Synagogue, Cathédrale de Reims, façade sud, 1241 (photo d’avant 1914)
actuellement au palais du Tau

Synagogue, Cathédrale de Reims, façade sud, 1241 (photo d’avant 1914)
actuellement au palais du Tau

A Paris la Galerie des 23 rois de Juda de 1210-1220 coupe la façade en deux carrés. Le mouvement qui commence à Paris dans les années 1210-1220 et consiste à s’approprier les rois d’Israël pour donner une légitimité à la couronne de France se poursuit à Chartes où l’on retrouve deux galeries de rois, dont la majorité date du début du XIIIe siècle, et ont été placées sur le pignon de la façade occidentale reconstruit au XIVe siècle (il y a 2 galeries de rois à Chartes -> source ). On trouve des galeries des rois sur les façades de quatre cathédrales françaises (Chartres, Paris, Reims et Amiens). à Reims, les rois de France couronnés. Les 22 statues de la cathédrale d’Amien datent, elles, de la première moitié du XIIIème siècle.

Galerie des rois Cathédrale d’Amiens

A Reims le mouvement est achevé, on trouve au centre de la galerie des rois du XIVème siècle (mais on trouve de nombreuses statues de rois à Reims dés le début du 13ème siècle), le baptême de Clovis entouré de sa femme Clotilde et de Remi. Elle renvoie au baptême de Clovis à Reims en 496 rapportée par Grégoire de Tours (539-94) dont Hincmar évêque de Reims de 545 à 582 a fait un mythe miraculeux. Selon certains récits un ange aurait donné à Hincmar l’huile (d’onction des rois et du messie-roi dans la Bible), devenue la Sainte Ampoule, pour le transférer aux rois de France, nouveaux David.
La sculpture fait donc référence à la cérémonie du sacre des rois de France et à la fondation mythologique de leur pouvoir biblique, célébrant l’alliance du sabre et du goupillon. Message : Les rois de France sont dans la lignée de ceux d’Israël et continuent leur oeuvre.

On est bien face à un programme théologico-politique d’affirmation de la légitimation religieuse des rois de France descendants de Philippe Auguste dont Louis IX sacré Roi à Reims en 1223 est le petit fils et dont sa mère, Blanche de Castille, lui chante les louanges… mais en affiliant Clovis et ses successeurs aux rois d’Israël on est bien aussi dans une recherche de légitimité par substitution dynastique. Le roi porte le titre de « Fils aîné de l’Église » à partir de Charles VIII (couronnée en 1484 à Reims) et bientôt la France sera « fille aînée de l’Eglise ».

Bien entendu il faut comprendre que Reims est en concurrence directe avec Saint Denis, tombeau des rois… pour savoir qui sera le plus royal. Dés 1241 les rois jeunes ou vieux pullulent sur la façade en concurrence à Saint Denis.

Reims

La théologie de la substitution a produit une royauté de substitution. Les juifs de la Vicus Iudaeorum devenue la rue des Gieux, puis la Rue de élus ! à deux pas de la Cathédrale et donc du pouvoir, où l’on trouve alors la synagogue et le mikveh d’une des plus florissantes juiveries de Champagne avec Troyes… n’ont qu’à bien se tenir.
(le « jardin des vivants » est Porte de Mars)

A partir de la « régularisation » de 1269, de Louis IX, les juifs seront « serfs du roi », c’est à dire soumis à l’arbitraire royal. Un « texte honteux » (selon l’expression de Jacques Le Goff –Saint Louis, pg. 807) qui sera immédiatement appliqué aussi par son frère Alphonse de Poitiers.

Chartres : la Synagogue définitivement aveugle

A la cathédrale de Chartes dans le Vitrail typologique de la passion au début de 1205-1215 la Synagogue a non seulement le sceptre brisé et perdu sa couronne mais elle est aveuglée par un serpent qui lui voile les yeux et par la flèche que lui décoche directement dans les yeux un petit personnage diabolique. De son coté l’Eglise debout est dans le gan eden fleuri de roses en portant une Jérusalem céleste.

La référence scripturaire de la couronne renversé et à Jérusalem est une lamentation de Jérémie :

«  Elle est tombée, la couronne de notre tête; malheur à nous, parce que nous avons péché! Ce qui nous déchire le cœur, ce qui obscurcit nos yeux, c’est de voir le mont Sion en ruines, foulé par les renards. » (Lam. 5, 16-17)

… allégorisée pour la sortir de son contexte. Car il y a encore des juifs à Jérusalem au XIIIème siècle mais surtout…. depuis 1187 et la bataille de Hattin, Jérusalem est aux mains des musulmans de Saladin qui… rend aux juifs le Kotel et leurs synagogues, dont l’accès leur avait été interdit par les Croisés et accorde le Saint Sépulcre aux chrétiens. Le Royaume latin de Jérusalem (1099-1187) est donc bel et bien terminé.

Cathédrale de Chartres, Passion typologique, vitrail 37.
(les deux panneaux droite et gauche sont d’époque : inventaire archéologique)

Strasbourg – 1285, la synagogue au serpent

Cinquante ans plus tard en 1285, sur le tympan du portail central de la façade occidentale de la cathédrale de Strasbourg, les figures allégoriques de l’Église et de la Synagogue réapparaissent, mais la synagogue n’a plus un bandeau autour de la tête mais… un serpent.

L’ensemble des portails est un grand programme théologique probablement imaginé par Albert le Grand.

Strasbourg, L’Eglise et la Synagogue (qui se détourne) sous la croix

L’aveuglement des juifs est devenu diabolique… de même à la cathédrale de Paris.

Paris : la « Synagogue de Satan »

Sur un contrefort de la façade de la cathédrale de Paris une curieuse statue attire le regard. C’est une jolie femme aux yeux bandés par… un serpent dont les vagues se confondent avec celles de sa chevelure. Sa couronne est tombée à ses pieds. Elle tient d’une main un bâton brisé tandis que de l’autre elle cache les Tables de la loi tête en bas, cachées sous son manteau.

La statue date en réalité… de la campagne de restauration dirigée par Jean-Baptiste-Antoine Lassus et Eugène Viollet-le-Duc entre 1845 et 1864, elle existait avant avec les yeux voilés et le serpent a été inspiré par Strasbourg (1285), fidèle à l’esprit de la fin du XIIIème et… à Viollet-le-Duc qui, comme à son habitude, force le trait.

La statue résume assez bien l’ambiance de l’époque pour les juifs, ces diables qui ont perdu la couronne de leurs rois d’antan et réfléchissent à l’envers.
La caricature du juif absente au Haut Moyen Age et jusque dans la statuaire romane clunisienne se développe d’abord dans les manuscrits et les chansons populaires seulement à partir de la première croisade (1095) avant de toucher la statuaire gothique. La femme altière et insoumise des années 1240 se transforme en femme diabolique à partir de la seconde moitié du XIIIème siècle.

On ne compte plus les représentations de la « Synagogue de Satan » selon les mots de l’Apocalypse de Jean à partir de la première croisade dans les manuscrits (voir ici)

Dans le Miracle de Theophile de Rutebeuf et Comment Theophilus vint à penitance de Gautier de Coinci, deux pièces de théâtre écrites en 1220 et 1260, le juif va jouer auprès de Théophile, coupable d’avoir « renié Dieu », le rôle d’un prêcheur satanique qui l’incite à persévérer dans le mal et proclame la puissance du diable (Gautier, v.472), opposée à l’impuissance de Dieu et de la Vierge… qui va finalement sauver Théophile. Le Juif vaniteux et luxurieux (Gautier, v.297) et bien sûr avare (v. 600), invoque le diable et comme il ne vient pas il répond « Abracadrabra » (Gautier, vv.160-8). Une formule qui est évidement un pastiche et une moquerie des bénédictions juives : Ha brakha dabra en hébreu : « la bénédiction a parlé ». Et évidement le diable apparaît !

La poésie et les chansons populaires des pèlerins vers Compostelle sont pleines de cet antijudaisme. Une chanson de l’abbé Hugues de Cluny dans le Liber Calixtinus de Saint-Jacques, une compilation de miracles reprise par un clerc de Vezelay vers 1140 brode sur un motif folklorique bien connu que celui de la transformation d’un être humain en âne la nuit du Chabbat :

 » Hue, hue, mon cheval
Pour demain aller en Crau
En Crau à Berre
Nous chargerons de la terre

Ma marraine m’a acheté
Une machine de cinq sous
Pour combattre le juif .

Le juif m’a combattu
M’a jeté sur l’âne bleu
L’âne bleu a regimbé
M’a jeté dans le fossé

Là y avait un gros poisson
M’a rongé tout le genou
 »

Source : Jean- Pierre Poly, « Le diable, Jacques le coupé et Jean des Portes, ou les avatars de Santiago » in Le diable au Moyen-Age,  Presses universitaires de Provence, 2014.

Dans le Breviari d’Amor (Bréviaire d’Amour !) de Maffre Ermengaud de Béziers (mort en 1422), écrit entre 1288 et 1292 sorte de petit guide d’amour courtois des troubadours qui tente d’uinifier l’amoour des clerc pour D-ieu et le fin’amor des troubadours, la plus vaste œuvre de toute la littérature romane de langue d’oc au XIVème sicèle, le Christ vainc le diable et l’Eglise la Synagogue à la tête coupée et aux yeux bien sûr baillonés.

l’Arbre d’amour du Bréviaire d’amour

Aveugles de tous les pays…

La métaphore de pierre de la Synagogue déchue et de l’Église triomphante est un leit motiv de l’architecture gothique, elle se retrouve dans les cathédrales de Reims,
Metz, Bordeaux, en Allemagne : à Bamberg, Worms, Magdebourg, Minden, Fribourg-en-Brisgau ; en Angleterre : à Rochester, Lincoln, Salisbury et Winchester… toutes ces statues de femmes allégories de la Synagogue aveugle, déchue, découronnée, à la lance brisée… s’opposent à la statue de femme de l’église victorieuse couronnée qui est leur vis à vis, dans de nombreuses cathédrales.


Synagogue, Cathédrale de Bamberg, achevée en 1237

A la fin du Moyen Age la Synagogue porte un diable noir sur ses épaules au pied de la croix (Bible historiée de Haguenau, XVème s.), … les juifs sont devenus une cinquième colonne perfide, l’incarnation du mal.

La couronne de la Synagogue est déchue face à celle de l’Eglise. Cet chute de la couronne de la Synagogue est encadrée par les rois de Juda de la Galerie des rois de la Cathédrale de Paris ou de Reims où le baptême de Clovis est au centre. L’identité théologico-politique française mythique du vrai Israël (verus Israël) qu’est l’Eglise se construit sur la négation du vetus Israël, le « vieil Israël » obsolète qu’est la Synagogue et les juifs réels. La théologie de la substitution est à l’oeuvre.

Louis IX, le roi chrétien

En ces années 1240 la situation n’est donc pas réjouissante pour les juifs de France. Et si les plus grandes autorité de leur temps se déplacent à la disputatio de Paris c’est parce que tous les indicateurs sont au rouge.

Louis est un capétien, un homme énergique et à la justice cruelle comme l’est l’époque (il fait percer au fer rouge la langue des ‘blasphémateurs’). Il a le caractère et la foi de sa mère Blanche de Castille qui disait : « Mon fils, je vous aime bien, mais j’aimerais mieux vous voir mort que coupable de péché mortel. ». Blanche de Castille qui a brisé la révolte des grands barons, conduits par le duc de Bretagne, les comtes de Champagne et de Boulogne. Les juifs sont de empêcheurs de tourner en rond à convaincre ou vaincre, un détail dans son projet.


Blanche de Castille et son fils Louis IX (en haut, Bible de Saint Louis, Tolède)
réalisée entre 1226 et 1234 pour le roi Louis IX de France, à la demande de sa mère Blanche de Castille

Louis le pieux est surtout le fils de Robert II le pieux, le fils d’Hugues Capet, le roi de l’an 1000. Louis IX connait par sa mère cet héritage d’un homme qui a eu le génie d’appuyer son autorité sur l’église, d’où son sobriquet de « pieux ». Robert le pieux a réorganisé la vie monastique des trois grandes abbayes de la région parisienne (Saint Denis, Saint Maur, Saint-Germain-des-Prés )… mais il est aussi celui qui a expulsé les juifs de France trois siècles avant Philippe le Bel en 1306 et appuyé le pogrom contre les juifs de Rouen en 1007 accusés de vouloir s’emparer du tombeau du Christ à Jérusalem en complotant avec les musulmans (de la Courneuve ?). Il a allumé en 1022 le premier bûcher d’hérétiques, une coutume perdue depuis l’empire romain. Robert II le pieux aura surtout le génie d’utiliser l’Eglise pour asseoir son pouvoir dans un monde fragmenté et hyper violent qui sort à peine des invasions. Son biographe, le moine Helgaud de Fleury, l’élèvera au rang de nouveau David.

Cette alliance du pouvoir et de la religion va permettre de donner une filiation spirituelle aux Capétiens, aux Valois puis aux Bourbons pendant 800 ans. La plupart des rois de Dagobert II à Louis XVIII sont enterrés dans la basilique de Saint Denis, première cathédrale gothique et manifeste de l’architecture gothique.

Certes, « Saint Louis » n’a pas expulsé les juifs de son royaume comme son grand-père Philippe Auguste en 1182, ses frères Charles d’Anjou et Alphonse de Poitiers ou son petit-neveu Philippe le Bel en 1306 mais il considère de sa tache de poursuivre les « ennemis de l’Eglise ». Il va persécuter ces juifs qui n’ont pas reconnu le Christ et qui sont une minorité religieuse étrangère à son royaume chrétien comme le sont les hérétiques cathares du Comte de Toulouse. A une époque où personne ne croit plus pouvoir contenir les Sarrasins, il mènera deux croisades contre les Musulmans (septième et huitième) qui seront des échecs retentissants : son frère meurt pendant le septième croisade, il est défait à Damiette et Louis IX meurt de la dysenterie devant Tunis. Bref personne n’y croit plus et les seigneurs se disent qu’on s’occupera des sarrasins s’ils viennent… sauf lui.

Il poursuit enfin la sanglante croisade contre les albigeois mais elle est le fait de ses prédécesseurs.

Les juifs : le son sans l’image

Depuis 13 siècles les juifs ont parfaitement eu le temps d’entendre et de comprendre le message du christianisme, mais aussi celui de l’Islam cinq siècles plus tôt. Pourquoi ne les ont ils pas intégré dans leur tradition ? Tout simplement parce que ces messages ne les intéressent pas. Si le Christianisme et l’Islam ont besoin du judaïsme pour se définir, la réciproque n’est pas vraie.

La bande dessinée de pierre romane pas plus que les persona de pierre de l’intellect gothique n’ont de chance de les convaincre. Il est vrai que le Pape Innocent III (1198-1216) qui a interdit aux juifs d’occuper des fonctions d’autorité, d’avoir des relations professionnelles et sociales avec les chrétiens et de sortir pendant la Semaine sainte considérait que les juifs étaient des êtres purement charnels, incapables de s’élever au dessus du sens littéral de l’Écriture.

De leur côté, Il s’agit pour les rois de France et l’Eglise du 13ème siècle de s’approprier les textes en les fixant dans la pierre tout en disqualifiant le peuple dont il sont issus.
La conversion des juifs est la grande affaire de la famille royale.

Guillaume de Saint-Pathus rapporte ainsi un épisode datant d’avant 1248 :

« Le benoît Roi amena au Baptême et fit baptiser au Châtel de Royaumont-sur-Oise une juive, ses trois fils et une fille et ce même benoît Roi, sa mère et ses frères tinrent les enfants et la juive sur les Fonts au temps de leur baptême. » (source)

Avant son deuxième départ en croisade, en 1270, Lous IX fait baptiser solennellement
à Saint-Denis un « juif célèbre » rapporte Geoffroy de Beaulieu.

Guillaume de Chartres, chroniqueur de l’époque nous rapporte le rôle d’argument théologique des reliques pour les juifs… il écrit à l’occasion des solennités organisées à l’occasion de la réception à Paris, en 1238, de la Couronne d’Épines et des autres reliques achetées par Louis IX :

« De plus, notre pieux roi désirait que les solennités soient observées tant en sa présence que durant son absence, même s’il était outremer, pensant et agissant avec l’idée que alors que notre Seigneur de Majesté avait été déshonoré par les juifs infidèles au moyen de ces objets [la croix, la couronne d’épines et la lance], il serait à présent honoré à travers eux par les dévots croyants. » (source ibid.)

Un juif du XIIIème siècle qui rasait les murs devait être affolé par cette ambiance hystérique de plus en plus exaltée d’images de pierre censées représenter l’Eternel immatériel et invisible et toutes ces reliques (en réalité des grossiers faux en concurrence pour attirer les visiteurs… avec toutes les reliques de la vraie croix il y aurait de quoi construire un bateau !).

Car à la même époque en 1190 Maimonide écrit en Espagne les lignes suivantes :

« Il y a eu des gens qui croyaient que tsélem (image), dans la langue hébraïque, désignait la figure d’une chose et ses linéaments, et ceci a conduit à la pure corporification (de Dieu), parce qu’il est dit : « Faisons un homme à notre image (tsélem) selon notre ressemblance » (Genèse, I, 26). Ils croyaient donc que Dieu avait la forme d’un homme, c’est-à-dire sa figure et ses linéaments, et il en résultait pour eux la corporification pure qu’ils admettaient comme croyance, en pensant que, s’ils s’écartaient de cette croyance, ils nieraient le texte (de l’Écriture), ou même qu’ils nieraient l’existence de Dieu s’il n’était pas (pour eux) un corps ayant un visage et des mains semblables aux leurs en figure et en linéaments ; …

Or, comme l’homme se distingue par quelque chose de très remarquable qu’il y a en lui et qui n’est dans aucun des êtres au-dessous de la sphère de la lune, c’est-à-dire par la compréhension intellectuelle, pour laquelle on n’emploie ni sens, ni mains, ni bras, (celle-ci) a été comparée à la compréhension divine, qui ne se fait pas au moyen d’un instrument ; bien que la ressemblance n’existe pas en réalité, mais seulement au premier abord. Et pour cette chose, je veux dire à cause de l’intellect divin qui se joint à l’homme, il a été dit de celui-ci qu’il était (fait) à l’image de Dieu et à sa ressemblance, (et cela ne veut dire) nullement que Dieu le Très-Haut soit un corps ayant une figure quelconque » (Guide des égarés, Chapitre 1)

Au 13ème siècle, les juifs de France étaient dispersés et acculturés. Au point qu’ils « pouvaient chanter un poème dénonçant les méfaits des chrétiens qui les persécutaient, sur l’air d’une chanson d’amour chrétienne » [2]

La multiplication des images de pierre et de verre naît à l’époque dans un monde sans images par rapport au notre. Elle devait sembler bien étrange pour un juif vivant à l’ombre de la cathédrale qui voyait chaque matin arriver des nouvelles sculptures sous les vivas de la foule. Cette « incarnation de pierre » se heurtait directement à tout le mouvement de la Bible qui va vers l’immatériel. Un sanctuaire non plus dans l’espace (le Temple) mais dans le temps (le Chabbat). On était revenu à Babylone ! Et le roi bénissait l’opération ! Les rabbins de Languedoc sont abbasourdis.

A Paris, juste sous la Rose (rosace) qui symbolise le ciel, les 28 statues des rois de Judas accueillaient le pèlerin… installées depuis 1210 elle sont un programme politique pour « Saint Louis » sacré à Reims à 12 ans en 1226 qui régnera pendant 43 ans jusqu’en 1270. Son idée est qu’il est le bras droit séculier de cet Eglise qui lui fournit sa théologie du pouvoir.

Statues de rois de Juda, Cathédrale de Paris

A l’instar des rois de Juda, les juifs morts et en pierre sont vénérés à la mesure où les juifs vivants sont détestés, eux qui sont aveugles à la révélation chrétienne et à ses temples spectaculaires. Un phénomène un peu semblable à l’âge moderne où une commune adoration de la Shoah et des juifs morts semble se conjuguer avec la concomitante détestation des juifs vivants et bien sûr de l’Etat d’Israël qui les représenterait tous.

Vue du côté du bon peuple chrétien et de ses dirigeants le refus des juifs de ‘passer la porte’ si bien sculptée était incompréhensible. Si l’évangile accomplissait la Loi au point que les chrétiens puissent se réapproprier les Écritures juives… les juifs se devaient d’entrer dans l’édifice ! Mais les tossafistes critiquent le fait d’entendre des chants chrétiens et la Halakha interdit à un juif de participer à un culte chrétien.

Au milieu du XIIIème siècle la dévotion eucharistique est en pleine explosion, le Rabbi Meïr bar Shimon s’en offusque dans le Milhemet Mitsva (L’obligation de la guerre) :

 » Ils disent que le pain, qui est le travail de leurs mains dans le pétrissage et la cuisson et le reste des actions [nécessaires], est l’incarnation corporelle de son cœur et que le vin, qui est foulé par les humains, est l’incarnation corporelle de son sang, à la suite des paroles prononcées sur eux … Ils mangent ce pain, qu’ils disent être devenu son coeur, à la suite des mots prononcés par la personne qu’ils appellent un prêtre. Comment peuvent-ils se comporter de cette manière dégradante ? Qui a jamais entendu parler de une telle chose ou qui a déjà vu de telles choses ? Que de nombreux hommes et femmes [ensemble] mangent le corps de leur divinité ? « 

Ce genre de polémique en hébreu et à usage interne de la communauté tomba forcément dans l’oreille des chrétiens via les transfuges de la communauté convertis au christianisme.

Les rabbins voient l’idolâtrie ambiante du peuple. Ils sont loin de la « controverse eucharistique » entre Bérenger de Tours et Lanfranc de Pavie (XIème sicèle) qui agite encore les théologiens de l’Université de Paris à l’époque sous de nouvelles catégories aristotélicienne pour comprendre ce que signifie la « réalité » de l’eucharistie, un « symbole signifiant » un « signe » au sens moderne du terme ou une réalité physique ? Un Thomas d’Aquin par exemple affirme dans la Somme Théologique qu’une souris ou un musulman qui a mangé une hostie consacrée n’a pas communié. Les nobles, eux, peu éduqués communient à l’idolatrie de masse d’une société envahie par les images.

Faire entrer les juifs dans la liturgie et la société chrétienne : le pieux Louis IX, serviteur de l’Eglise, s’attelle à cette tâche avec ardeur.

Dans le roman national, Louis IX de France alias « Saint Louis », est l’archétype du roi sage et pieux rendant la justice sous son chêne de Vincennes, le chevalier qui se croise, finance les cathédrales, acquiert la Sainte Couronne, meurt à Tunis pendant la huitième croisade en soignant les lépreux. Hors Louis IX n’a construit que la Sainte Chapelle, ses croisades ont été un échec et il n’a été que le bras armé de l’Eglise dans le « contrat » que les rois établissaient avec elle avant la monarchie absolue d’une époque postérieure … Vu du côté juif, Louis IX n’aura de cesse de marginaliser, spolier les biens, exploiter asphyxier économiquement, bref : persécuter ces juifs qu’il voit comme des usuriers et des hérétiques.

On a un peu de mal à comprendre comment « Saint Louis » s’est entouré du fidèle Joinville, qui a pris part à la première croisade, virulent judéophobe et de plus en plus de juifs convertis au Christianisme qui n’auront de cesse de lui souffler des mesures antijuives jusqu’au port de la rouelle mis en oeuvre la veille de sa mort. Tout cela est directement du à la « théologie de la substitution » pour laquelle les chrétiens ont remplacé les juifs et ne peuvent coexister avec eux (contrairement à ce que dit Paul de Tarse !). Un bon juif est un chrétien en attente… une « question gênante » à résoudre.

les rabbins de l’époque sont vus comme des intellectuels insidieux qui risquent de convaincre les chrétiens. Joinville écrit dans ses Chroniques :

« Il y eut [à une date non précisée] un grand débat entre des clercs et des juifs en l’église de Cluny. Se trouvait là un vieux chevalier […], il demanda à l’abbé de lui laisser entamer la discussion et on le lui accorda avec difficulté. Et alors il se leva et prit appui sur sa béquille et dit que l’on fasse venir le plus grand savant et le plus grand docteur des juifs […]. Et il posa au juif la question suivante : “Maître […] je vous demande si vous croyez que la vierge Marie qui porta Dieu dans ses flancs et dans ses bras, demeura vierge en donnant naissance à son enfant et qu’elle soit mère de Dieu”. Et le juif répondit qu’il ne croyait rien de tout cela. […] Et alors il leva sa béquille et frappa le juif près de l’oreille et le jeta à terre. Et les juifs prirent la fuite et emportèrent leur docteur tout blessé ; et ainsi le débat en resta là. »

Donc non seulement il ne faut pas débattre, mais occire l’hérétique qui n’est pas d’accord est un devoir que Joinville met dans le bouche de Louis IX lui-même :

« Aussi vous dis-je, fit le roi, que personne, à moins d’être très savant, ne doit discuter avec eux (les juifs). Mais le laïc, quand il entend mal parler de la loi chrétienne, ne doit pas la défendre autrement qu’avec l’épée, dont il doit donner dans le ventre aussi loin qu’elle peut entrer »

On pourra toujours objecter que ces chroniques sont anachroniques. Qu’elles ont été écrite des années plus tard alors que Louis IX devient « Saint-Louis » lors de son procès de canonisation et qu’elles reflètent plus l’antijudaisme de leurs auteurs que celui de « Saint Louis qui n’a jamais expulsé les juifs », que les juifs des cathédrales et des manuscrits sont le fait de l’église et de ses clercs et pas du roi. Il n’en reste pas moins que le dossier documentaire des manuscrits et chroniques tout autant qu »artistique et archéologique reflète l’état d’esprit d’une époque et un d’un antijudaisme chrétien qui va se développer jusqu’à.. Vatican II.

La disputatio de Paris et le brûlement du Talmud

En 1236 Nicolas de Rupella dit Nicolas Donin, de la Rochelle, un élève de l’académie de Talmud de Yehiel de Paris qui en a été excommunié avant de devenir franciscain se rend auprès du Pape Grégoire IX pour l’informer du scandale que constitue le Talmud.
Il lui soumet un dossier contenant trente-cinq accusations contre le Talmud.

En 1236 Nicolas de Rupella dit Nicolas Donin, de la Rochelle, un élève de l’académie de Talmud de Yehiel de Paris qui en a été excommunié avant de devenir franciscain se rend auprès du Pape Grégoire IX pour l’informer du scandale que constitue le Talmud.
Il lui soumet un dossier contenant trente-cinq accusations contre le Talmud.

Grégoire IX prend l’affaire très au sérieux publie une bulle en 1239 qui demande aux rois de France, d’Angleterre, de Castille et d’Aragon d’instruire l’enquête. Seul Louis IX obéit et ordonne aux évêques de confisquer tous les talmuds de son Royaume, un ordre exécuté le premier Chabbat de mars 1240.

L’Eglise, astucieuse, accuse donc non pas les juifs de leur présence ou leurs Écritures… communes au christianisme… mais l’interprétation de celles-ci par la Torah orale multimillénaire des juifs, le Talmud censé contenir de nombreux blasphèmes à l’égard de Jésus, Marie et du christianisme… alors qu’il s’en désintéresse complètement !

En réalité, alors que les moines du XIème siècle consultaient les rabbins pour mieux connaitre le texte de la Bible et son exégèse juive, le XIIIème siècle est passé à un discours polémique puis d’exclusion réciproque dans les deux communautés (voir ici et ici en open source) . Les juifs pour se protéger du prosélytisme agressif des chrétiens; les chrétiens au moment où se renforce l’identité d’un projet de « société chrétienne ». Le Sefer Nizzahon Yashan « Le (vieux) livre de la victoire » en Allemagne une anthologie apologétique de défense du judaïsme est édité au XIIIè siècle dont Calvin discutera les thèses qu’il prenaient très au sérieux.

En 1240, une grande disputation est organisée en présence de Louis IX. Les Rabbins Yehiel de Paris, Moïse de Coucy et Juda Ben David, doivent affronter les Chrétiens Nicolas Donin, et Eudes de Chateauroux, chancelier de la Sorbonne.

Evidemment cette disputatio theologica dont l’enjeu était purement politique n’aboutit à rien d’autre qu’à affirmer le pouvoir royal et celui de l’Eglise. Le tribunal, juge en 1240 que le Talmud est un livre infâme et qu’il doit être brûlé selon les recommandations de Grégoire IX. Vingt-quatre charretées du Talmud furent donc brûlées sur la place de Grève le 20 juin 1242, le 13 du mois de Tamouz.

En 1244 Eudes de Tusculum qui refuse d’entendre les arguments des juifs organise un second autodafé.

Enfin, en 1248, le pape prononce une sentence « définitive » de condamnation du Talmud, adressée notamment à Louis IX, qui signifie ni plus ni moins que l’interdiction du judaïsme.

En 1254 une Grande Ordonnance du roi édicte :

« Nous faisons observer strictement une autre ordonnance à propos des juifs qui est : que les juifs cessent les usures, les blasphèmes et les sortilèges. Et que le Talmud, comme les autres livres qui contiennent des blasphèmes, soient brûlés. »


Pedro Berruguete, Dominique et les Albigeois

Meïr ben Baroukh de Rothenburg (v. 1215 – 2 mai 1293) surnommé le Maharam (Morenou HaRav Meïr) considéré comme le plus grand talmudiste de son époque, assista à cette disputatio et aux flammes de la place de grève. Dans la kina (lamentation) Sha’ali seroufa vaèsh il compare cet évènement à la destruction du Temple. L’élégie figure dans le rituel de Ticha Be Av :

« Intercédez, ô vous, consumés par le feu, pour la vie de ceux qui portent votre deuil… ».

En réaction à cette disputatio, Moïse ben Jacob de Coucy  va écrire le Sefer Hamitsvot Hagadol (SEMAG), l’un des plus anciens codes de loi juive dans lequel il commente les 613 mitsvot, en référence à la tradition talmudique et aux décisions rabbiniques.

Les coups de boutoir réguliers portés aux juifs sous « Saint-Louis » et l’hostilité grandissante de l’Eglise, leur liquidation économique par la taxation et les extorsions royales, puis la destruction de leur tradition orale par le feu, vont conduire à leur expulsion de France en 1306 sur ordre de Philippe le Bel et à l’extinction de la communauté juive française médiévale.

Comme l’a montré Jacques le Goff dans son ouvrage Saint Louis :

« Ces conceptions et cette pratique, cette politique antijuive, ont fait le lit de l’antisémitisme ultérieur. Saint Louis est un jalon sur la route de l’antisémitisme chrétien, occidental et français »[3]


L’hystérie collective médiévale

Entre le XIème et le XIIIème siècle les juifs de France, vont passer de la liberté à la servitude sous l’influence d’une doctrine théologique qui les tolère mais prêche leur humiliation.

La bascule du milieu du XIIIème siècle est un point d’inflexion dans une persécution médiévale des juifs largement entamée dés la fin du XIème siècle avec la première croisade.


Exécution d’Hébreux (reconnaissables à leur chapeau pointu) lors de la Première croisade, illustration d’une Bible française, 1250

La première croisade en 1095 a lancé la folie antijuive médiévale dont le climax ultime sera la Shoah. La populace déchaînée avait massacré les juifs qui avaient refusé le baptême : 800 morts à Worms. À Regensburg (Ratisbogne, Allemagne), les juifs sont jetés dans le Danube, pour y être «baptisés». En 1096 des bandes armées de croisés organisent des pogroms à Rouen , Mayence, Cologne, Bacharach et Wurtzbourg, Strasbourg et Aschaffenbourg, Magdebourg, des milliers de juifs sont assassinés et leurs biens spoliés . Le prêtre Volkmar massacre en saxe puis à Prague, en Bohême, à Mayence, à Cologne en Hongrie. Pourquoi voyager loin pour tuer les Sarrasins puisque les juifs qui ont assassiné le Christ sont là sous la main ? se demandent les barons. Les « croisés » dévastent la Rhénanie, la Hongrie sans poursuites des juridictions locales avant de s’attaquer au paysans pour les soulever et d’être tués.

En 1146, au départ de la deuxième croisade, Bernard de Clairvaux avait dut intervenir en personne, à la demande des évêques débordés, pour calmer la foule.

Selon le mot de Bernard de Clairvaux :

« Les Juifs ne doivent point être persécutés, ni mis à mort, ni même bannis. Interrogez ceux qui connaissent la divine Écriture. Qu’y lit-on de prophétisé dans le Psaume, au sujet des Juifs. Dieu, dit l’Église, m’a donné une leçon au sujet de mes ennemis : « ne les tuez pas, de crainte que mes peuples ne m’oublient » . Ils sont pour nous des traits vivants qui nous représentent la passion du Seigneur. C’est pour cela qu’ils ont été dispersés dans tous les pays, afin qu’en subissant le juste châtiment d’un si grand forfait, ils servent de témoignage à notre rédemption»

En 1189, lors du couronnement et du départ à la croisade de Richard Cœur de Lion, on massacre les juifs de Londres, King’s Lynn, Bury Saint Edmunds et Lincoln

En 1190, la communauté d’York préfère le suicide collectif à l’abjuration de sa foi.

La théologie, les sculptures aux portails des cathédrales, les chroniques de l’époque, les responsa et témoignages des rabbins racontent cette lente descente aux enfers. Les sorcières, les juifs, les hérétiques, les lépruex… deviennent les bouc émissaires d’une chrétienté qui se normalise et exclu des bouc émissaires. Toute une « iconographie malsaine » – comme l’a appelée Georges Duby voit le juif comme diabolique, aux doigts crochus, en porc, avec des mamelles ou un sexe saillant, un paria abhorée par la société chrétienne, de plus en plus déshumanisé et sans consistance humaine.

Assez curieusement c’est d’Allemagne où vivent les grandes communauté Rhénanes à Mayence, Worms, Cologne… et d’Alsace que viennent les représentations les plus judéophobes qui vont aller en s’amplifiant. La Provence semble plus tolérante sinon épargnée.

En 1250, le théologien Thomas de Cantim (1201 à 1272) reprend à son compte la rumeur des crimes rituels commis par les juifs qui prétend que le sang des enfants chrétiens servait aux Juifs pour ses propriétés curatives.  Cette accusation des juifs enleveurs d’enfants sera régulièrement reprise pour justifier les massacres de juifs. Elle déborde des manuscrits des XIII-XVèmes siècles.

Source : Beranrd Blumenkranz, Le Juif médiéval an miroir de l’art chrétien. Paris, 1966.

En 1290, Jonathas, un fripier du clos des Billettes (quartier du marais), est brûlé en place de Grève pour avoir soi-disant profané une hostie consacrée.

L’usurier aveugle et entêté par le diable est devenu profanateur et assassin d’enfant, et bientôt empoisonneur de puits et semeur de la peste (XIV-XV ème siècle). Tous les poncifs antijuifs médiévaux auront longue postérité.

Le brûlement du Talmud conduira bientôt des juifs aux bûchers, pour soi-disant profanation d’hostie en 1388. L’inquisition espagnole reprendra la méthode aux XIVe-XVIIIème siècles. Puis les nazis reprendront méthodiquement toutes les méthodes antijuives passées en y ajoutant la race (antisémitisme) et la raison d’Etat, dont l’extermination par le feu, des livres et des juifs.

Des Juifs brûlés vifs pour profanation présumée d’hostie à Deggendorf, en Bavière, en 1338 et à Sternberg, Mecklembourg, 1492
gravure sur bois de la chronique de Nuremberg (1493).

Auteur : Didier Long, Ancien moine bénédictin de 1985 à 1995 à l’Abbaye de la Pierre-Qui-Vire (frère marc), était Directeur éditorial des Editions Zodiaque (art roman et gothique). Converti au judaïsme, il est devenu Meïr Long.


[1] Le projet d’Amiens sera lancé 8 ans plus tard alors que Reims commencée en 1210 sera achevée en 1250. Les cathédrales de Normandie sont achevées (Lisieux, Bayeux), ou en construction (Coutance, Le Mans) et celles de Bourgogne au milieu de leur construction.

[2] Voir : Paul Salmona et Juliette Sibon (dir.), Saint Louis et les juifs. Politique et idéologie sous le règne de Louis IX, Paris, Éditions du patrimoine, MAHJ, 2015. Colette Sira p. 52.

[3] Jacques Le Goff, Saint Louis, Gallimard, Folio, 1996, pg. 184


Haggadah de Pessah en Californie

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וְהִיא שֶׁעָמְדָה לַאֲבוֹתֵינוּ וְלָנוּ
שֶׁלֹּא אֶחָד בִּלְבָד עָמַד עָלֵינוּ לְכַלּוֹתֵנוּ
אֶלָּא שֶׁבְּכָל דּוֹר וָדוֹר עוֹמְדִים עָלֵינוּ לְכַלּוֹתֵנוּ
וְהַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא מַצִּילֵנוּ מִיָּדָם

Lori Gilbert Kaye ZAL est partie aujourd’hui en voulant sauver la vie du rabbin Mendel Goldstein… Elle laisse derrière elle un mari dévasté et une fille de 22 ans. Elle a réalisé le Kiddouch Achem.

Le rabbin Mendel Goldstein a appelé à la paix alors qu’il avait deux doigts sectionnés par une rafale de pistolet automatique pendant la deracha. Il a dit :

 » Nous sommes forts. Nous sommes unis. Ils ne peuvent pas nous briser. »

La petite Noya Dahan, 8 ans, a demandé que sa photo soit partagée pour que tout le monde sache qu’elle est forte. Elle a quitté avec sa famille la ville israélienne de Sderot pour échapper au terrorisme et aux attaques constantes perpétrées contre leur communauté. Elle est sauvée.
Along Peretz, l’oncle de Noya, âgé de 32 ans, venu de Sderot pour rendre visite à sa famille pour les vacances de la Pâque a lui aussi pris une balle. Il a été blessé pour la protéger.Il est sauvé.
J.E., âgé de 19 ans, a fait irruption et a déclaré: ‘F * ck les juifs ‘. que son nom soit effacé.
AM ISRAEL E’HAD, AM ISRAEL HAÏ

Jérusalem : « Qu’ils soient heureux ceux qui t’aiment ! »

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Chabbat Chalom de Jérusalem ! Bar Mitsvah de Benjamin Lévi.


 » Maintenant nos pas s’arrêtent devant tes portails, ô Jérusalem,

Jérusalem bâtie comme une ville ou tout ne fait qu’UN !

C’est là que montent les tribus, les tribus de l’Eternel, selon la charte d’Israël, pour célébrer le Nom de l’Omniprésent.

Car c’est là que sont établis les sièges de la justice, les sièges pour la famille de David.

Appelez la paix sur Jérusalem: « Qu’ils soient heureux ceux qui t’aiment! »

Que la paix règne dans tes murs, la sécurité dans tes palais!

Pour mes frères et mes amis, je te souhaite tous mes vœux de bonheur. »

(Tehillim 122)

Yéroushalaïm Harédim

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Kotel
Motsé Chabbat
Kotel, fouilles
Méa Chéarim

La communauté harédite (« Craignants-Dieu ») est souvent vue comme un seul bloc noir coupé de la société moderne israélienne pour les non-initiés.

En réalité elle est multiple, composée de 40% de hassidim, 30% des lituaniens et 30% des sefardim. Chacune de ces micro sociétés à ses codes et ses minhaguim (coutumes) alimentaires vestimentaires, sociales.

L’organisation des cours hassidim (Gur, Belz et Vizhnits, Satmar, Braslav, Habbad) se fait autour d’un Rebbe (Admor) et reprend la structure sociale des cours polonaises au XVIIIème siècle autour d’un prince. Le Rebbe est descendant de dynasties remontant aux xviiie ou xixe siècles.

Les mouvements ashkénazes hassidiques et lituaniens sont nés en réaction à la Haskala, une réforme de Moïse Mendelssohn au XVIIIème siècle qui a conduit à l’assimilation aux cultures européennes. Ainsi, Félix Mendelssohn, le musicien n’est autre que le petit fils de Moïse Mendelssohn dont le père banquier avait converti sa famille au protestantisme.

Le courant harédite séfarade s’est « lituanisé » au Maroc en utilisant le système lituanien de la yeshiva (sous l’influence du R. Zeev Halperin) dans la première moitié du XXème siècle (voir le livre de Haïm Harboun, le Rabbin aux mille vies) avant de se séparer des lituaniens dans les années 50. Le Rav Ovadia Yosef (Zal) dont l’influence à largement dépassé le mouvement harédite séfarade était et reste l’une des grandes figures d’autorité, un ‘géant de la Torah’ en tous domaines éminemment respecté. C’est lui qui a rendu des jugements (sur les femmes par exemple) très respectueux et ouverts.

Tous ces courants sont strictement séparés de la société moderne (TV, internet, téléphones cacher) et séparent strictement juifs et non juifs, hommes et femmes. Le Bet Habbad a une identité très particulière dans cet univers car ils sont modernes et accueillants aux juifs non religieux. Je garde un magnifique souvenir de mon accueil sans prévenir à Crown Height.

Les Harédim essaient de vivre et d’agir quotidiennement Daat Torah : « selon ce que dit la Torah », et Emounat Hakhamim : « selon la foi dans les sages ». Ils sont essentiellement religieux dans le sens où toute leur vie est religieuse. La rencontre et les mariages se font via un marieur (Shadkhan). Ce sont ces petits couples inquiets qu’on voit discuter dans les lobbys d’hôtels (un endroit public) à la recherche de leur Mazal (chance providentielle). La famille, souvent très nombreuse, est la base de la société Harédite.

Les Harédim sont 1 million de personnes en Israël et représentent 12% de la société israélienne, 20% à Jérusalem. Contrairement à ce que croient la plupart des européens les Harédim ne sont pas « nationalistes », ils ne mettent pas le drapeau d’Israël à leur balcon le jour de la fête de l’indépendance et ne « font pas les élections ». Les harédim sont représentés par deux partis : le UTJ-judaïsme uni de la Torah qui représente les ashkénazim (Hasidic Agudath Israël pour les hassidim et Degel HaTorah pour les lituaniens); et le Shas, pour les séfarades. Mais leurs racines sont beaucoup plus profondes que la politique et leur engagement essentiellement religieux. Evidemment, les Harédim, comme toutes les sociétés traditionnelles sont faciles à caricaturer. Ils sont critiqués en Israël pour leur financement par l’Etat et leur refus du service militaire.

Mais la réalité est beaucoup plus nuancée et de profonds mouvements sont en marche vers le travail, certains deviennent médecins. Leur engagement juif qui force le respect représente une partie vivante du judaïsme en lien avec la Tradition que la série Shtisel raconte avec beaucoup de tendresse.

Cet description un peu schématique peut être approfondie ici dans ce Petit Guide de la société Harédite

Bamidbar, « dans le désert » : Reviens vers ta terre !

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Cette méditation est dédiée à Benjamin de la tribu de Lévi nouveau Bar Mitsva d’Israël ; et à mon ami Antoine Leschi, berger en Corse dans le Niolu depuis 30 ans, fils du Peuple Corse et de celui d’Israël.


« Le Miséricordieux demande le cœur »

Dans la Torah, à la mort du roi Salomon, fils du roi David, (vers – 931), un schisme éclate : dix Tribus d’Israël se rassemblent dans le nord pour former le nouveau royaume d’Israël, dirigé par Jéroboam Ier. De son côté la tribu de Yehouda (Juda) et la tribu de Benjamin forment autour de Jérusalem au sud le royaume de Juda[1]. C’est de là que vient le nom Yehoudi, « Juif ». Ce royaume dit du sud resta plus fidèle à la parole de l’Eternel   que le royaume d’Israël au nord. Une grande partie des Lévites consacrés au Temple de Jérusalem rejoignent ce royaume de Juda.

Ce « désert » a une portée spirituelle. Le mot « désert », Bamidbar en hébreu se rapproche de Médaber « parler », parce que dans le désert D.ieu parle aux hommes. Le désert ne parle pas, il ne dit rien mais quand le printemps fait verdir l’herbe pour seulement quelques jours, l’homme est renvoyé à sa vraie durée,

ד  כִּי אֶלֶף שָׁנִים, בְּעֵינֶיךָ–    כְּיוֹם אֶתְמוֹל, כִּי יַעֲבֹר;
וְאַשְׁמוּרָה    בַלָּיְלָה.
Ps 90, 4 Aussi bien, mille ans sont à tes yeux comme la journée d’hier quand elle est passée, comme une veille[2] dans la nuit.

Seul celui qui sait qu’il ne dure qu’un instant devient vulnérable à l’Eternel… et aux paroles des autres. Il peut entendre la « voix du désert », ce souffle ténu qu’a entendu Elyahou Hanavi, le Prophète Elie, comme une musique :

ו קוֹל אֹמֵר קְרָא, וְאָמַר מָה אֶקְרָא; כָּל-הַבָּשָׂר חָצִיר, וְכָל-חַסְדּוֹ כְּצִיץ הַשָּׂדֶה.  Is 40, 6 Une voix dit: « Proclame! » Et on a répondu : « Que proclamerai-je? » « Toute chair est comme de l’herbe, et toute sa beauté est comme la fleur des champs.
ז יָבֵשׁ חָצִיר נָבֵל צִיץ, כִּי רוּחַ יְהוָה נָשְׁבָה בּוֹ; אָכֵן חָצִיר, הָעָם.  7 L’herbe se dessèche, la fleur se fane, quand l’haleine du Seigneur a soufflé sur elles. Or, le peuple est comme cette herbe.
ח יָבֵשׁ חָצִיר, נָבֵל צִיץ; וּדְבַר-אֱלֹהֵינוּ, יָקוּם לְעוֹלָם.  {ס} 8 L’herbe se dessèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsiste à jamais. »

Le psaume 103 nous redit que celui qui comprend la fragilité de son instant peut percevoir l’Etrenle. Comment ? sous la forme du Rakhem, de la « miséricorde », de la misère du cœur, qui « prend pitié », d’un mot qui signifie la matrice de la femme. D-ieu est comme une femme dont les entrailles se serrent quand elle souffre pour son enfant :

יג  כְּרַחֵם אָב, עַל-בָּנִים–    רִחַם יְהוָה, עַל-יְרֵאָיו. 13 Comme un père prend pitié (RAKHEM) de ses enfants, l’Eternel prend pitié de ceux qui le craignent;
יד  כִּי-הוּא, יָדַע יִצְרֵנוּ;    זָכוּר, כִּי-עָפָר אֲנָחְנוּ. Ps 103, 14 car Il connaît, Lui, nos penchants, Il se souvient que nous sommes poussière.
טו  אֱנוֹשׁ, כֶּחָצִיר יָמָיו;    כְּצִיץ הַשָּׂדֶה, כֵּן יָצִיץ. 15 Le faible mortel, ses jours sont comme l’herbe; comme la fleur des champs il fleurit.
טז  כִּי רוּחַ עָבְרָה-בּוֹ וְאֵינֶנּוּ;    וְלֹא-יַכִּירֶנּוּ עוֹד מְקוֹמוֹ. 16 Dès qu’un souffle passe il n’est plus; même la place qu’il occupait l’ignore.

Rakhem est un des 13 noms divins que l’Omniprésent révéla à Moïse, « l’anaw », le courbé, « l’homme le plus humble que la terre ait porté » (Nb 12, 3).

Ra‘hamana liba baéï  : « Le Miséricordieux demande le cœur » nous dit l’adage talmudique.

Un désert où hurle la solitude

Ce désert est celui de la tribu de Benjamin qui a le loup comme attribut car le désert était rempli de loups qui parfois hurlaient au loin. Les lévites s’y sont réfugiés car ils sont ceux n’ont pas d’héritage, pas de terre, ils dépendent de ce qu’on leur donne.

Quand quelqu’un nous cherche pour nous tuer nous perdons nos moyens la conscience confiante que nous avons de nous-mêmes. Nous ne nous reconnaissons plus. Fuyant Saül, le roi David se cacha dans le désert de Juda à : Ziph, Maon, En-Guédi. Les psaumes de David racontent cet état d’âme de David fuyant devant Saül un assassin jaloux. De Jacob qui rêve car Esaw avait dit « Je tuerai Jacob ». Il est beaucoup plus facile qu’on le croit d’être dé-créé. Un zombie à la recherche de son alcool, de sa drogue ou du plaisir, de ces addictions qui happent l’homme hors de lui-même et brisent notre unité psychique.

Le baal techouva qui revient, « nu comme un enfant », « qui marche sur le fil d’une épée » comme dit le Talmud, sait la souffrance que coûte le retour vers la Israël, vers l’unité intérieure faites d’épreuves arides.

« Celui qui revient en Israël perd tous ses mérites, la terre est une épreuve de vérité. on ne vient pas pour son plaisir mais pour les généartions futures »

c’est une épreuve a dit son Rav à mon ami Mosheh.

Le sefer Béréchit (Livre de la Genèse) évoque ce qu’il y avait ‘avant’ la création de l’homme, une confusion multiple, c’est à dire idolâtrique. Quand nous sommes morcelés, éparpillés, en vrac, que la mort d’un proche nous a touché.

« Or la terre n’était que solitude et chaos (Tohou vavohou) ; des ténèbres couvraient le visage de l’abîme, et le souffle de Dieu planait sur le visage des eaux. » (Gn 2, 2).

Rachi commente :

« Tohou vavohou : tohou signifie « étonnement, stupéfaction », l’homme étant frappé d’étonnement et de stupeur en présence du bohou.[3] »

Tohou signifie « inhabité, inhabitable, le désert ». On le sait car ce mot rare est utilisé une seule fois ailleurs[4] :

« Il le rencontre dans une région déserte, dans les solitudes (tohou) aux hurlements sauvages ; il le protège, il veille sur lui, le garde comme la prunelle de son œil. » (Dt 32, 10).

D.ieu ne vient pas nous chercher là où nous sommes grands, riches et bien portant, mais quand nous sommes faibles, en vrac, idolâtres. Nous pouvons alors nous recueillir nous unifier et faire techouva vers l’UN qui nous crée. Nous pouvons enfin écouter une autre parole. Celle qui vient du dedans, D.ieu seul peut faire fleurir notre désert.

Morid Hatal, « Tu fais tomber la rosée » dit la bénédiction de la Amida depuis le premier jour de Pessah. Dans le désert de Juda, on comprend.

L’eau c’est la vie à profusion, Maïm, au pluriel comme le visage Panim ou l’intérieur Penim.

Il y a 10 ans, j’ai entendu une flute de berger bédouin au loin dans le désert de Juda, c’était au-dessus du Whadi-El Quelt, un oued (vallée sèche l’été creusée par un fleuve qui emporte les personnes l’hiver) qui va à Jéricho, là j’ai compris que la voix du désert m’avait appelé comme si j’étais venu pour ce seul instant.

La mission du Juif : cultiver et faire fleurir le désert

Israël est ce peuple qui nait littéralement dans le désert, donc qui n’a rien.

Le Maharal de Prague dit :

« Ainsi le peuple juif en Egypte était comme un fœtus qui se développait dans le ventre de sa mère, suite à quoi il sortit lorsque son développement fut terminé. Ainsi les enfants d’Israël grandirent et se développèrent en Egypte jusqu’à atteindre leur perfection par le nombre de 600 000 personnes ; alors ils sortirent ».  (Maharal de Prague, Guévourot Achem 3)

Israël est dans le ventre de sa mère en Egypte, nait à Pessah et grandit au désert. Sa « terra patria », sa terre des pères n’est pas sur le mode romain celle des ancêtres divinisés liés à un lieu (dieux lares).

Pourquoi D. nous fait-il naître au désert ? « parceque dans le désert rien n’appartient à personne » dit le Talmud.

Israël n’a pas de terre. La terre est à Dieu. Et si Israël rompt les mitsvot, Dieu reprend la terre. Il faut comprendre que erets, la « terre » que D-ieu crée au commencement du monde dans le Sefer Berechit, la terre d’Israël, est une fiancée qui est protégée par un contrat avec Dieu, une Ketouba. Celui qui ne connait pas cette réalité d’amour ne peut pas comprendre notre lien avec la terre d’Israël.

En galout nous sommes dans le Maasé Merkaba, la fragmentation comme l’exprime Ezchiel (Ez 1) « au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions » dit le psaume. Le juif loin de sa terre est fragmenté, dispersé c’est le sens du mot « diaspora ». En Galout « la Chekhina (la Présence de D. en ce monde) est dans la poussière », éparpillée à la merci du moindre courant d’air.

« La galout mange les juifs » dit l’adage talmudique.

Le mot Galout nous dit le Maharal de Prague est composée de la racine : guimel, lamed, hé, qui donne le verbe galé : « découvrir » (ani mégalé : « je découvre »).
Le juif en diaspora « découvre » son vrai caractère, il se connait.

On doit pousser cette analyse jusque dans ses conséquences psychiques les plus profondes. Unjour j’ai demandé la différence entre le Maassé Beréchit et le Maassé merkaba à mon Rav Haïm Harboun, voilà ce qu’il m’a répondu :

« Le Maassé Beréchit représente la terre d’Israël, le Massé Merkaba c’est le juif en galout (dispersion, exil, diaspora). En terre d’Israël le juif vit sous les ailes de la Providence (Chekhina), il est protégé, il est construit dans son identité, il est fortifié par la bénédiction, unifié. Mais quand le juif part en galout, il perd son identité, il est dispersé, fragmenté, il souffre. Le mot Galout nous dit le Maharal est composée de la racine : guimel, lamed, hé, qui donne le verbe galé : « découvrir » (ani mégalé : « je découvre »). Dans l’exil le peuple juif perd son intériorité mais il connait « le bien et le mal » dont il ignorait tout jusque-là. Celui qui n’est pas passé par la galout n’a jamais souffert il ne peut pas comprendre quelqu’un qui souffre. »

La Techouva, le retour vers D-ieu et sur la terre d’Israël est un mouvement à la fois personnel et cosmique. Le Rav Kook dans ‘Orot Hatechouva’ a montré que la techouva, la renaissance nationale d’Israël sur sa terre a une portée universelle. Rédemption.

« La conception selon laquelle la terre d’Israël n’est qu’un facteur extérieur pour assurer le regroupement de la nation, même quand son intention est de renforcer la conscience juive en exil, de préserver son caractère et de fortifier la foi, la crainte de Dieu et la pratique des mitsvot de manière convenable, ne porte pas de fruit durable, car ce fondement est fragile, comparé à la sainteté vigoureuse de la terre d’Israël. Le vrai renforcement de la conscience juive en exil ne viendra que de son ancrage profond à la terre d’Israël, c’est toujours l’espoir de la terre d’Israël qui lui donnera son caractère propre. L’attente de la Délivrance est ce qui maintient le judaïsme de l’exil, alors que le judaïsme de la terre d’Israël, c’est la Délivrance elle-même. » (Orot Du Rav Kook, lire ici )

La géoula (Rédemption) et la galout (Exil) sont des mots semblables les deux faces d’une même réalité cosmique comme l’a montré le Maharal. Le réveil spirituel est un retour de notre exil intérieur.

Le Livre des Nombres, Bamidbar (« Dans le Désert ») tire son nom de son premier verset : « Et D.ieu parla à Moïse dans le désert du Sinaï… ». il commence et se termine par un recensement détaillé d’Israël. Mais pourquoi les compte-t-il tout le temps ? se demande Rachi qui répond : « Par amour pour eux, D. les compte à tout moment ». Comme quelqu’un qui compte ses pièces.[5]


[1] Le Territoire accordé à Benjamin est raconté dans le livre de Josué : Josué 18, 11-28.

[2] Le temps de la nuit antique entre le coucher et le lever du soleil ou la colonne du soir et celle de l’aurore est divisé en veilles de 3 ou 4 heures selon les mondes grec ou romain qui étaient des tours de garde.

[4] On appelle cela un Apax, un mot qu’on ne trouve qu’une fois dans la Torah dont il est donc difficile de comprendre la signification.

[5] Le recensement se fait avec des pièces shékalim, comme une mitsvah

Les pierres (even) du Temple de Jérusalem

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Ces lignes sont dédiées à Ruthy Selinger, d’origine russe, épouse de Shelomo Selinger qui a 90 ans sculpte encore des pierre de plusieurs tonnes, parents de notre ami Rami aux multiples talents et mérites.

La Techouva qui venait du froid

Si vous allez à Jérusalem rendez-vous au Kotel. Le Kotel, ou Mur Occidental à l’air libre, accordé aux juifs mesure à peine 57 mètres de longueur mais en réalité le mur occidental, ancienne enceinte du Temple mesure 497 mètres. Une rivière longeait ce mur de Jérusalem avant que la ville arabe ne soit construite aprés le reconquête de Jérusalem parSaladin en 1187. Pour voir la suite, rendez-vous dans les fouilles sous le temple qui prolongent le kotel sous la ville arabe. Et là vous comprendre ce que cela signifie se rendre là où « Adam fut créé » et aussi ce que signifie la techouva.

Arrivé à la moitié du tunnel, on arrive à un endroit faisant directement face au Kodesh Ha’Kodashim, le Saint des saints. Là, vous verrez des femmes qui prient avec ferveur. Ce sont des harédites russes, les mains agrippées à leur Sidour.

Parfois l’une d’elles se blottit dans un recoin du rocher comme l’a fait Moïse, l’anaw-l’Humble de mémoire bénie. Dans le silence où l’on n’entend que les gouttes qui ruissellent et tombent du ciel et parfois ce sanglot étouffé. Ce cri de l’âme russe qui monte vers D. vous pénètre au fond de l’âme.

Vendredi dernier avant Chabbat je marchais en chantonnant le Vehi Che’amda qui me trotte dans la tête depuis Pessah (Haggadah). « Voici ce qui a soutenu nos pères et nous ! Car ce n’est pas qu’un seul qui s’est levé contre nous pour nous détruire, mais, dans chaque génération, ils se lèvent contre nous pour nous détruire ; et le Saint, béni soit-Il, nous sauve de leur main ! ».

J’ai alors entendu ces sanglots qui montaient de l’ombre et sa ferveur qui brisait les portes du ciel m’a touché. Parfois ta carapace se brise et tu ne sais pas pourquoi. J’ai lancé d’une voix rauque qui venait du fond de mes entrailles : Hazak ou Baroukh « sois forte et bénie ». Elle est sortie de l’ombre avec un sourire baigné de larmes et elle a porté son doigt sur son cœur en le tendant vers moi. ça veut dire « que ta bénédiction revienne sur toi » dans l’ univers de la Tefilah.

Descendre dans les profondeurs du Temple revient à descendre au fond de soi et d’une histoire de mémoire multi-millénaire.

Entrée des fouilles

Even, La « pierre » de fondation

Lors du Hallel de Pessah nous chantons :  

Even maassou abonaïm ayitah lerosh pinah : « La pierre (even) qu’ont dédaignée les bâtisseurs, est devenue la pierre d’angle (de tête) » (Ps 118, 22).

Cela peut signifier que nous les juifs ne faisons pas Un avec les nations. Nous ne faisons pas partie du mur, nous sommes appelés hors du monde de la duplicité et du mensonge vers le monde de vérité. Cette techouva provoque un arrachement intérieur.
Nous sommes la pierre d’angle qui ne fait pas partie du mur.

Cette pierre angulaire est évoquée par le prophète Isaïe :

« Mais ainsi parle l’Eternel: Voici, dans Sion, je vais, ériger une pierre de fondation, une pierre solide, une pierre d’angle, une pierre de fondation (even, even bokhan pinat, yikérat, mossad mossad); pour celui qui croit elle sera un soutient. » (Is 28, 16)

Le temple est une histoire de « pierres vivantes ».

On y découvre une pierre extraordinaire aux dimensions impressionnantes. Elle mesure de 13,6 mètres de long ; 3,3 mètres de hauteur ; et 4, 5 m de profondeur. Il faut beaucoup d’imagination pour comprendre comment ce bloc monolithique de de 550 tonnes est arrivé ici (photo).

Pour casser les pierre on creusait une rainure qu’on remplissait ensuite de coins de bois. Puis on les arrosait d’eau, le gonflement du bois provoquait la rupture de la pierre .
Les pierres de l’poque hérodienne sont ‘signées’ par la rainure qui les encadre

La pierre c’est Joseph rejeté par ses frères resté fort « grâce au Protecteur de Jacob, qui par là préparait la vie à la pierre (even) d’Israël» (Gn 49, 24)

Le lieu dont je viens de vous parler est au plus près de la « pierre de fondation » du Temple perdu. Car au milieu du Saint des Saints se trouvait un rocher le Even Hachetiyah, la « Pierre de Fondation », lieu où Adam fut créé si l’on en croit la Tradition et où Isaac fut proposé en sacrifice par Abraham à l’Eternel (Gn 22,2).

Maïmonide en parle au Moyen Age dans le Michné Torah (Lois de la Maison d’Election, chapitre 2) :

« C’est une tradition acceptée par tous que l’endroit même où David puis Salomon placèrent l’Autel, la grange de Aravnah, est à l’emplacement de l’Autel construit par Abraham pour y sacrifier Isaac, et aussi le lieu où Noé construisit un autel en sortant de l’Arche, l’autel même où Caïn et Abel apportèrent leur offrande, le lieu où Adam fit une offrande après avoir été créé, et c’est de cet endroit-là qu’il fut créé. Nos Sages ont enseigné :  ‘‘l’homme fut créé de l’endroit où il trouverait son pardon’’ (Talmud de Jérusalem, Nazir, chapitre 7). »

Le lieu de la naissance de l’homme est celui de son pardon ; on devient un humain quand on fait techouva, qu’on se repent et quand on est pardonné. C’est une grande vérité spirituelle.

Devant l’Even Hachetiyah, la « Pierre de Fondation », siégeait l’arche si l’on en croit la Tradition (Talmud de Babylone, Yoma, 53b)

Mais quelle est cette even (pierre) ?

Des pierres de chair

Le mot « pierre » en hébreu : Eben, אֶבֶן, Aleph, Beit, Noun, a une signification profonde. Il contient le mots Av : אָב le « Père » et Ben : בֶן. Eben, le « Fils ». La « pierre » c’est ce qui fait la transition entre le « père » et le « fils ». Even c’est la transmission, la tradition qui vient du Sinaï Qabala (donnée, qui a donné « kabbale ») et messara (reçue).

On retrouve dans le Talmud ce jeu de mot sur les fils (banim) qui sont aussi des « bâtisseurs » (bonaïkh). Cette proclamation juive qui transforme les « enfants » en pierres ou en « bâtisseurs » est chantée à chaque Chabbat à la fin de la prière de Moussaf : Rabbi « Eléazar dit au nom de Rabbi H’anina : Les Sages accroissent le Chalom dans le monde ainsi qu’il est dit : Tous tes enfants sont des habitués de l’Eternel, grand est le Chalom de tes enfants (Is 59, 13).  Ne lis pas ‘‘tes enfants’’ (banayikh) mais ‘‘tes constructeurs’’ (bonayikh) (Ps 122, 7-9). »

Enseigner, éduquer c’est construire un être humain, une société humaine, pour le judaïsme.

La pierre renvoie donc à une réalité vivante et humaine, celle de la transmission et de l’éducation. « Cette Parole que je te donne aujourd’hui tu la répéteras à tes fils » (Chema)

Le début du Pirqé Avot que nous lisons en cette période du Omer nous rappelle cette réalité profonde de la transmission.

« Moïse reçut (qibel- quabbalah) la Torah au Sinaï et la transmit (messara) à Josué ; Josué la transmit aux Anciens, les Anciens aux Prophètes et les Prophètes la transmirent aux Hommes de la Grande Assemblée. Ceux-ci énoncèrent trois principes : soyez circonspects dans le jugement, formez de nombreux disciples et établissez une clôture autour de la Torah.

Chimone le Juste fut parmi les derniers des Hommes de la Grande Assemblée. Il disait : « Le monde repose sur trois piliers : [L’étude de] la Torah, le service [de Dieu] et les actes de bienveillance. »

Le mot eben fait donc l’unité des générations. A la fin des temps Le prophète Elie « ramènera le cœur des pères vers leurs fils et les cœurs des fils vers les pères » nous dit le prophète Malachie (Malachie 3, 24).

Il fera l’unité des générations.

La médecine de Maïmonide, quand l’esprit guérit le corps

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Ariel Toldéano, La médecine de Maïmonide, quand l’esprit guérit le corps, in Press 2018.

Le sommet de la sainteté : prendre soin d’autrui

Ce chabbat nous avons lu la Paracha Quédochim :

Quédochim Tiyou : « Soyez saints… comme moi je suis Saint ».

J’ai entendu cet enseignement ce Chabbat de mon ami Jacob Ouanounou qui lui-même parlait à la suite de son maître de l’ENIO Emanuel Lévinas :

On peut se demander quel est ce commandement qui nous demande d’êtres Saints c’est à dire « séparés » comme Dieu est séparé de notre condition et de notre monde profane, comment être « comme D-ieu » en une sorte de  » miroir » ? Quadosh comme le « méqoudechet » que dit le Hattan (fiancé) à la Kala lors du mariage signifie « particulariser », et particulariser dans un but, pour un usage. Israël est la kallah de l’Eternel, des gens un peu « particuliers » donc, pour Lui. Comme nos actions doivent être pour Lui. Mais comment faire ?

Jean Cocteau accompagnent écrivait : « Le verbe aimer est difficile à conjuguer… Son passé n’est pas simple… Son présent n’est qu’indicatif… Et son futur est toujours au conditionnel. » Comment, alorsaimer D-ieu, ce qui est la première injonction du Chema. Et rappelait notre ami Jacob, En hébreu l’impératif et le futur sont le même temps.

S’agit-il d’être meilleur ou exalté ou consumé de l’amour de D-ieu jusqu’à son dernier nerf ? D’envisager le ciel en oubliant le sol partout et jusqu’au dernier souffle ? De poser deux paires de téfilines, trois ? ? ? De s’enfermer dans un monastère au désert ou une yechiva dans un monde oublié jusqu’à ce que mort s’ensuive ? Avec une poignée d’élus ?

Quédochim à la suite de cet ordre ne nous donne aucune indication sur la sainteté de l’Eternel mais nous donne simplement 51 des 613 mitsvoth[1], des injonctions très concrètes qui nous demandent de ne pas garder de haine dans son coeur, de protéger la vie d’autrui, de na pas couper l’angle de sa moisson pour la laisser au pauvre ou de payer l’ouvrier aprés le coucher du soleil… on n’est pas loin de la Phénoménologie de l’Esprit ou d’un discours programmatique sur les « voies de la Providence ». Ces injonctiosn se finissent par, « car je suis l’Eternel » et consistent en des obligations envers le prochain ; à commencer par : Veahavta lereakha kamokha qu’il faut traduire non pas par « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » mais par « Tu aimeras ton prochain car il est comme toi-même » et donc a les mêmes droits que toi, un appel à la justice d’abord donc :  » ton prochain a autant que toi le droit de vivre « . Une sentence qui résume toute la Torah si l’on en croit le Rabbi Hillel. Les versets « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, Je suis l’Éternel » (Lv 19, 18) et « Tu aimeras l’Éternel ton D.ieu » (Dt 6, 5) ont d’ailleurs la même valeur numérique ! 

Et, c’est dans cette paracha Quédochim nous explique le docteur Ariel Toledano, qui vient d’écrire La médecine de Maïmonide, quand l’esprit guérit le corps, que le Rambam va trouver le fondement de son activité de Médecin.

« Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain : je suis l’Éternel. » (Lv 19, 16)

Manuscrit médical hébraïque médiéval, Musée de Gérone

L’obligation de prendre soin de la vie d’autrui

Tout semble avoir été écrit sur Maimonide… sauf sur ce que lui-même considérait comme le sommet de sa pratique… la médecine. Il fallait donc un médecin, un praticien pour comprendre ce savoir de D-ieu en acte.

Si une personne à même de sauver la vie de son prochain ne le fait pas nous dit Maimonide elle enfreint la mitsva :

« Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain » (Lv 19, 16)

« Maïmonide considère que la légitimité du médecin pour soigner prend sa source dans le texte du Deutéronome qui impose de restituer un animal perdu à son propriétaire. L’expression vahashévoto lo, qui signifie, ‘’tu le lui rendras’’ sous-entend ‘après avoir pris soin de l’animal égaré’. Ainsi, s’il s’agit d’une obligation de prendre soin de la santé d’un animal, à plus forte raison quand il s’agit de préserver la vie d’un individu » (La médecine de Maïmonide, quand l’esprit guérit le corps, pg. 36) nous dit Ariel Tolédano.

« Un sage de la Torah se doit d’être un philosophe, un logicien, un savant versé dans l’art de la médecine » résume Maimonide dans son Traité de huit chapitres.

Il n’est de Torah qu’obligation au prochain.

La diététique au cœur de la santé physique et spirituelle

Le Rambam est étonnement moderne. Ainsi il accorde au régime alimentaire une valeur centrale : « Ne mangez pas trop », « ne soyez jamais rassasié » conseille Maïmonide dans son Traité sur l’asthme. Il rédige le Régime de santé à la demande de Al-Afdal, fils aîné de Saladin afin de l’aider à combattre sa dépression.

La diététique est au cœur de sa pratique médicale. Selon lui :

« La connaissance de la diététique est un des domaines les plus utiles de la médecine car le besoin de nourriture est constant aussi bien quand on est en forme ou que durant la maladie. » (Aphorismes XX, 2)

Un conseil condensé qu’il reprend du Talmud:

« Mâche bien avec tes dents et tu le retrouveras dans tes pas » (TB Chabbat 152a)

« Mange jusqu’au tiers de la capacité de ton estomac, bois également la valeur d’un tiers, et laisse un tiers vide »(TB Guittin 70a)

Kosher Sex

Maïmonide écrit même un Traité sur les relations sexuelles à la demande du sultan Al-Muzaffar Omar, neveu de Saladin, qui cherche un remède à la baisse de ses capacités sexuelles.

Il y dit que l’alimentation (là encore !)  joue un rôle fondamental dans la qualité du sperme et dresse une liste d’aliments, de légumes, de fruits, de boissons, d’épices qui sont favorables à l’activité sexuelle parmi lesquelles : « la viande de mouton, celle de pigeon, toutes sortes de cervelles et particulièrement celles des volailles, les œufs de poules sont bénéfiques à la production de sperme et à sa sécrétion sous tous les climats et à tous les âges, les os à moelle, les œufs des pigeons et des perdrix, le lait qu’on vient juste de traire »…

Il dit que l’activité sexuelle représente « une force pour le corps et pour la vie qui illumine les yeux » Hilkhot Déot, 4 – 18.  et, là encore, conseille la modération : « Si la semence est émise en excès, le corps se consume, sa force s’épuise et la vie disparaît. »

Ariel Tolédano, le « tolédain », tout comme Maimonide ! nous livre moult autres détails que je vous laisse découvrir… ah oui…. Surtout! surtout ! évitez le Cumin 😊 !

Quand l’esprit guérit le corps

Maimonide accorde aux détails les plus intimes et à l’activité du corps la plus triviale la plus haute importance spirituelle. Il décrit les organes du corps, les artères, les veines, le cœur au centre du système circulatoire, décrit le diabète fréquent en Egypte. Il a appris cette science en Espagne, et surtout à Fès, il va exceller au Caire où il finira sa vie.

Manuscrit médical hébraïque médiéval, Musée de Gérone

Il lit chez Galien que « le bon médecin est philosophe ». L’étude et la pratique de la médecine sont pour lui une activité religieuse. L’art de la médecine permet d’acquérir l’arété, la vertu indispensable la connaissance de Dieu. Maïmonide est avant tout un praticien passionné d’étude et des savoirs de son époque.

Toute son œuvre, comme on le sait, est rédigée en arabe sauf le Michné Torah (répétition de la Torah) en hébreu. En 25 000 Aphorismes médicaux de Moïse (Pirké Moshé baréfouah en hébreu ou Fusul Musa en arabe), la plus volumineuse des œuvres médicales de Maïmonide (1187-1190), comme dans le Michné Torah il fait œuvre de répétiteur, c’est à dire de « passeur » de la tradition médicale. (Cf Pirké Avot 1) : « Moïse reçut (kabbala) la torah au Sinaï il la transmit (messara)… », il compile toute la littérature médicale grecque et arabe, de manière encyclopédique.

Pour lui, le vrai médecin n’est autre que D-ieu lui-même.

On se rappelle que Rachi commente Ex 15, 26 :

« Si tu écoutes la voix de l’Éternel ton Dieu; si tu t’appliques à lui plaire; si tu-es docile à ses préceptes et fidèle à toutes ses lois, aucune des plaies dont j’ai frappé, l’Égypte ne t’atteindra, car moi, l’Éternel, je te préserverai. »

… en disant :

« Je suis Dieu ton médecin, signifie : je t’enseigne mes préceptes afin que ta vie en soit préservée. Cette situation est comparable à celle d’un médecin qui recommande à son patient de ne pas manger tel ou tel aliment qui risque de le rendre malade ».

 « Maïmonide considère que le rôle du médecin ne se limite pas à la prise en charge des maladies mais que toutes les actions préventives constituent une partie importante de son activité. » souligne Ariel Tolédano. Il écrit dans le Mishné Torah : « Je garantis que quiconque qui se conduit de la façon que j’ai indiquée ne sera jamais affligé par aucune maladie jusqu’à ce qu’il devienne très âgé et expire. »

Et dans son Régime de santé il résume :

« Les insensés s’imaginent qu’on a besoin d’un médecin seulement lorsqu’on est malade. »

L’écoute du patient et de la tradition médicale ‘in the making’ au coeur

Un souci parcourt toute ce livre sur la médecine de Maimonide. Celui de la tempérance.

Maimonide est en cela fidèle à sa ligne de l’équilibre et du juste milieu.

Maïmonide a lu Platon et les stoïciens pour qui le psychisme (anima dans le sens de mouvement d’âme « animée ») était composé de pathein (pathos), en équilibre quand tout va bien ! le thumos ( « l’ap­pé­tit », jusqu’aux bas appétits et à la concupiscence ), l’épithumia (la colère, l’agressivité, la passion dévorante), dirigés par le Logis­ti­kon (la raison,
la pensée, capable d’accéder au niveau divin). La vertu consistant à équilibrer ces deux penchant contraires avec la logique rationnelle pour cavalier.

Pour lui le psychisme est un système constitué de midot, de « traits de caractère », tels que l’« avarice » ou la « prodigalité », la « cruauté » et son opposée, la « compassion ». La vertu consistant à un juste milieu ou équilibre.

Il est en cela tributaire d’Aristote. Mais le « juste milieu » n’est pas une moyenne des contraires comme on le croit souvent. Pour les grecs, l’arétè, la « vertu » n’est pas une définition morale mais quasi ontologique, elle est plus de l’ordre de l’être que de l’éthique la « vertu » de l’arc par exemple n’est pas d’être moyennement tendu, à l’excès ou pas assez. Elle est de viser juste. la vertu de l’homme étant « de bien faire l’homme » comme dit Montaigne. L’éthique, la médecine, ainsi conçue est une ontologie. Une qualité de l’être.

Mais c’est là que Maimonide n’est pas Aristote ou Galien. Car toute la médecine de Maïmonide part de la relation à Autrui. Elle est avant tout une éthique, sur le mode de Quédochim. Elle ne définit pas l’Etre de la sainteté mais comment, de manière plus empirique et modeste, s’en approcher.

Nous autres modernes qui connaissons une médecine de plus en plus technique, avec un risque de pratique de « recettes » de plus en plus techniques certes mais mécaniques finalement (l’algorithmie ou le deep learning n’étant que la dernière forme de cette pensée mécaniste) aurions beaucoup à apprendre de Maimonide. Car il s’oppose à une conception purement méthodique de la médecine. Il s’oppose déjà l’époque à des soignants qui ont des ‘trucs’, des réponses toutes faites. Rationnel, il accorde une place importante à la santé émotionnelle et psychique du patient. Il s’oppose à un apprentissage des règles en quelques mois (aujourd’hui par la machine !) car la médecine est pour lui un art lent, de l’écoute et de la discussion, qui part du dialogue avec le patient et entre praticiens (la FMC avant l’heure !).

Une pratique empirique et finalement empreinte de l’humilité de celui qui se rêvait en Nouveau Moïse, l’anaw.

Il écrit à propos de son activité au Caire :

 « J’examine les patients, et j’inscris sur des feuilles les médicaments que je prescris. Les patients vont et viennent jusqu’à la tombée de la nuit, parfois jusqu’à deux heures du matin et plus tard encore. »

Et il écrit à son disciple Yossef ben Yehudah :

« L’art médical est long et difficile pour celui qui a de la religion et de l’exactitude ».

L’ « Exactitude », Akribéïa en grec, ce mot qui définit et distingue la manière d’étudier des pharisiens du premier siècle par rapport aux autres écoles (aïrésis) pour Flavius Josèphe. Un art de l’écoute d’autrui, de la Tradition, des autres praticiens… un art de la patience.

Il n’est de Torah que souci d’autrui.

Un livre à lire : Ariel Toledano, Dr. La Médecine de Maïmonide : Quand l’esprit guérit le corps. Éditions In Press. Paris, 2018.


  1. [1]  Aimer son prochain – Lv 19, 18
  2. Ne pas haïr son prochain Juif – Lv 19, 17
  3. Réprimander un pécheur – Lv 19, 17
  4. Ne pas embarrasser les autres – Lv 19, 17
  5. Ne pas mal parler des autres – Lv 19, 16
  6. Ne pas se venger – Lv 19, 18
  7. Ne pas tenir de rancune – Lv 19, 18
  8. Honorer ceux qui enseignent et connaissent la Torah – Lv 19, 32
  9. Ne pas s’instruire sur l’idolâtrie – Lv 19, 4
  10. Ne pas faire une idole pour les autres – Lv 19, 4
  11. Ne pas pratiquer communiquer avec les esprits (médium) – Lv 19, 31
  12. Ne pas pratiquer la voyance – Lv 19, 31
  13. Ne pas être superstitieux – Lv 19, 26
  14. Ne pas se fourvoyer dans l’astrologie – Lv 19, 26
  15. Les hommes ne doivent pas se raser les cheveux sur les côtés de la tête – Lv 19, 27
  16. Les hommes ne doivent pas se couper la barbe avec une lame – Lv 19, 27
  17. Ne pas se tatouer la peau – Lv 19, 28
  18. Ne pas manger de fruit d’un arbre pendant ses trois premières années– Lv 19, 23
  19. Ne pas jurer faussement au Nom de D.ieu – Lv 19, 12
  20. Ne pas nier la possession de quelque chose qu’on vous a confié – Lv 19, 11
  21. Ne pas jurer afin de démentir une dette monétaire–Lv 19, 11
  22. Ne pas planter des graines de différentes variétés ensemble – Lv 19, 19
  23. Ne pas chercher à faire une reproduction avec des animaux d’espèces différentes – Lv 19, 19
  24. Laisser un coin de son champ planté mais non taillé pour le pauvre – Lv 19, 10
  25. Ne pas moissonner ce coin de son champ, le laisser au pauvre – Lv 19, 9
  26. Laisser des glanures sur son champ au pauvre – Lv 19, 9
  27. Ne pas rassembler les glanures – Lv 19, 9
  28. Laisser les glanures d’un vignoble – Lv 19, 10
  29. Ne pas rassembler les glanures d’un vignoble – Lv 19, 10
  30. Laisser les raisins non formés en grappes – Lv 19, 10
  31. Ne pas cueillir les raisins non formés en grappes – Lv 19, 10
  32. La récolte de la quatrième année doit être entièrement consacrée à des causes saintes, comme le Ma’asser Chéni – Lv 19, 24
  33. Montrer de la révérence au Temple – Lv 19, 30
  34. Ne pas consommer du Korban Chélamim au-delà du 2ème jour – Lv 19, 8
  35. Ne pas voler d’argent – Lv 19, 11
  36. Tout individu doit s’assurer que ses poids et ses mesures sont exacts – Lv 19, 36
  37. Ne pas commettre d’injustice avec les poids et les mesures pour les superficies, les solides et les liquides –  Lv 19, 35
  38. Ne piller (exploiter) son prochain – Lv 19, 13
  39. Ne pas retenir les salaires ou manquer de rembourser une dette – Lv 19, 13
  40. Ne pas rester passif si la vie d’une personne est en danger – Lv 19, 16
  41. Ne pas placer une embûche devant un aveugle (ne pas donner de mauvais conseils) – Lv 19, 14
  42. Ne pas retarder le paiement des salaires au-delà du terme conclu – Lv 19, 13
  43. Un juge ne doit pas trancher en faveur d’un pauvre par pitié pour lui lors du procès – Lv 19, 15
  44. Un juge ne doit pas témoigner d’égards à un homme important lors du procès – Lv 19, 15
  45. Un juge ne doit pas pervertir la justice – Lv 19, 15
  46. Il faut juger avec équité – Lv 19, 15
  47. Ne pas maudire un Juif vertueux – Lv 19, 14
  48. Révérer et craindre son père et sa mère – Lv 19, 3
  49. Ne pas imiter les coutumes ni les façons de s’habiller des autres nations – Lv 20, 23
  50. Les tribunaux doivent faire appliquer la peine de mort par le feu – Lv 20, 14
  51. Les tribunaux doivent faire appliquer la peine de mort par strangulation – Lv 20, 10

Mékoudéchet !

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En cet anniversaire de notre Kiddouchine quelques photos de celles et ceux qui nous ont accompagnés jusqu’à cet instant du 13 mai, veille de l’anniversaire de la création de l’Etat d’Israël. Que soient bénis les Rabbanim Harboun et Korsia, tous deux Haïm !


« L’empreinte d’un geste ». Crypto-judaïsme en Corse. Didier Meïr Long. Musée d’Art et d’histoire du Judaïsme.

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Ce matin, jour de la Hiloula de Rabbi Méïr j’ai vécu un très beau moment au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. Céline Masson, psychanalyste avec Georges Perla, metteur en scène et conteur ont créé L’empreinte d’un Geste. Un Pilpoul à 3 temps.

On y a parlé des gestes dans les familles converties ou crypto-juives. La mérouza, le loulav… Il y a eu de très belles interventions, dont celles de la psychanalyste Gorana Bulat Manenti; … et des chercheurs : Cyril Aslanov (Linguiste, Université Hébraïque de Jérusalem) -> à écouter sur cette vidéo ; Joëlle Allouche-Benayoun, sociologue ; Cyril Aslanov, linguiste ; Isabelle de Mecquenem, philosophe ; Francine Kaufmann, traductologue ; Andrée Lerousseau, germaniste ; Regine Waintrater, psychanalyste.

J’ai parlé des juifs des crypto-juifs de Corse. … et des gestes du crypto judaïsme.

A propos des handicapés à vie (Vincent Lambert ?)

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 » Hillel disait : Là où il n’y a pas d’hommes, efforce toi d’en être un. »
Pirkei Avot, 1er siècle

Je ne suis pas médecin mais à une période de ma vie (courte), ado, je me suis occupé d’handicapés mentaux, dont des autistes. Beaucoup venaient de la Daas.

L’autisme un monde étrange et très impressionnant car la personne en face de vous ne réagit pas à votre présence comme si elle l’avait effacée et du coup ça vous renvoie à votre propre existence.

L’un d’eux utilisait ma main comme une clé pour ouvrir une porte, juste un outil.

Un autre, Christophe, était devenu ainsi car il n’avait pas été diagnostiqué à 7 ans pour une encéphalite, la veille de la Toussaint,les médecins étaient partis en vacances. Un visage très marqué, le sosie de Jack Nicholson. Il mordait au sang quand il était en situation de panique.

Un jour, j’étais de garde la nuit, et, allongé, je me suis assoupli. Quand je me suis réveillé il me regardait. Son visage à vingt centimètre du mien, ça a duré une ou deux minutes. Comme si du fond de lui il voyait un humain et moi je l’ai comme ‘vu’ au fond de ses yeux. Il y avait un grand silence et ont est entré en relation, de manière presque imperceptible. Ce jour là j’ai compris qu’il était un humain, très loin dans le silence, mais un humain. Et moi aussi du coup j’étais un humain avec lui, grâce à lui.

Alors je ne suis pas médecin et je ne sais pas ce qu’il faut faire pour Vincent Lambert, c’est impossible de juger à distance, mais je veux vous dire que quelqu’un qui ne communique pas avec nous n’est pas forcément « plus un être humain ». Les handicapés savent plus de choses que nous sur la vie, et notre honneur d’hommes est de les protéger car nous sommes tous plus ou moins des handicapés.

Deux histoires qui me sont arrivées :

Un jour j’ai parlé avec un jésuite, théologien de la libération, qui avait été torturé sous Pinochet. Il a reconnu son bourreau dans la rue et a été lui parler. L’autre avait peur mais lui il l’a pardonné. Je lui ai demandé pourquoi le type l’avait torturé et il m’a répondu : « Parce qu’ils pensaient que nous n’étions plus des hommes ».

A Lévie, en Corse du sud, prés de chez nous, repose la « dame de Bonifacio ». Découverte dans une grotte prés de la mer en 1972, elle a vécu entre 6 500 et 7 000 avant notre ère et elle est décédée à 35 ans. Elle mesurait 1,55 m et les archéologues ont montré qu’elle était handicapée de naissance. Ses problèmes d’épaule et d’articulation font qu’elle est restée toute sa vie à la charge de sa communauté. En Corse, tout le monde le sait, elle est la doyenne de notre peuple.

Dieu parle un langage que lui seul connait à la pierre, à l’arbre, à l’animal, à l’homme, à l’enfant à naître et au vieillard qui connait tous les chemins, à celui que vous appelez « fou ». Il y a pleins de manières d’être au monde et une seule création.

Béhar, sur la montagne

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Mon commentaire de la Paracha ce Chabbat

Désert de Juda, mai 2019

La Paracha de Bé’har suit celle d’Emor qui parle de la sainteté des Cohanim qui suit celle de Quedochim qui parle de la sanctification d’Israël. Elle précède celle de Be’houkotaï qui dit les conséquences de ce que va nous arriver si nous sanctifions ce monde… ou pas…

Je vais vous parler de trois sujets de notre paracha : de la Chemita et du Yovel, d’Erets Israël et de la Guéoula.

Faut-il préciser que je n’aurais absolument rien à vous dire aujourd’hui si je n’avais pas vu « le dos du rabbin Harboun » comme disait Yéhouda Ha Nassi, le compilateur de la Michna, en parlant de son vénéré maître Rabbi Meïr[1].

J’ai été aussi éclairé par l’enseignement de Jacob (Ouanounou) sur Quedochim.

Be’har, sur la montagne

Tous les commentateurs à commencer par Rachi se demandent, pourquoi préciser à propos de la Chemita qu’elle a été donnée « sur la montagne » ce qui en fait un point central ?

Mais surtout les Hakhamim ne sont pas d’accords : Les lois de la Chemita et du Yovel ont-elles été données de manière générale sur le Sinaï[2] et en détail dans la tente d’assignation et au pays de Moab (Rabbi Ishmaël) ou en détail avec les secondes tables de la Loi (Nahmanide) ? De son côté R. Akibba pensait qu’il n’y avait pas 3 révélations mais une seule au Sinaï ?  Et c’est l’avis retenu par la tradition.

Ceci un premier et précieux enseignement.

Car son enjeu est celui de l’Unité de la révélation mais de la manière dont elle fait UN avec nous.

Comment se représenter cela ? La Torah (écrite- miqra) est un cône enveloppé dans un autre cône celui de la Torah orale (chébé al pé – sur les lèvres) et dont les sommets se rejoignent au Sinaï point focal de la révélation. Il y a une unité de la transmission qui arrive jusqu’à nous entre les paroles hakhamim et de nos pères. Ce qu’un père enseigne à son fils est Torah lemoché mi Sinaï. Torah donné par Dieu lui-même au Mont Sinaï. Chébé al pé – sur TES lèvres, befira ouvlévavéra « dans TA bouche et dans TON cœur pour que tu la mettes en pratique » (Dt 30, 10-14)

Cette constatation est vertigineuse en terme de responsabilité. Elle renvoie à chacun de nos instants ici et maintenant. Lo bachamaïm, pas au ciel. Selon l’adage talmudique « elle n’est plus au ciel ».

C’est chacun de nous qui sort d’Egypte chaque matin, à Chabbat. De même c’est chacun de nous qui est contemporain en cet instant du Sinaï, contemporain de la Révélation qui se déploie sous ses yeux. Tout enseignement d’un père à son fils est Halakha lemoché mi Sinaï, Une parole donnée par Dieu au Sinaï.

La Torah est é’had, UNE et nous en sommes responsables ici et maintenant, nous devons devenir uns avec elle mes frères bien aimés. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

Les limites de notre désir d’être

 « L’Éternel parla à moïse au mont Sinaï, en ces termes: « Parle aux enfants d’Israël et dis-leur: Quand vous serez entrés dans le pays que je vous donne, elle se reposera la terre un Chabbat pour l’Éternel. » (Lv 25,1 -2)

Désert de Juda, mai 2019

Le maître du temps

Notre paracha d’aujourd’hui est rythmée par le chiffre 7 qui renvoie à l’idée d’un cycle de temps accompli.

Les 7 années de la Chemita,

וְשָׁבְתָה הָאָרֶץ, שַׁבָּת לַיהוָה

Véchavata aarets Chabbat l’Adonaï

« elle reposera la terre, un Chabbat pour l’éternel » (Lv 25, 2)

Et pour celui qui n’aurait pas compris la Torah nous annonce :

 וּבַשָּׁנָה הַשְּׁבִיעִת, שַׁבַּת שַׁבָּתוֹן יִהְיֶה לָאָרֶץ

ouvachana achéviit chabbat chabbaton adonaï laarets

« La septième année, un Chabbat chabbatique (un Chabbat absolu) sera accordé à la terre, un Chabbat en l’honneur de l’Éternel. » (Lv 25, 4).

Drôle de pléonasme que ce « Chabbat Chabbton », un « Chabbat chabbatique ». Le repos absolu !

Et ce cycle de 7 ans est encore multiplié 7 fois avec le Yovel tous les sept fois sept ans :

« Tu compteras chez toi sept années chabbatiques, sept fois sept années, de sorte que la période de ces sept années sabbatiques te fera quarante-neuf ans » (Lv 25, 8)

Et si nous avions oublié, Le dernier verset de notre sidra se termine d’ailleurs par le commandement du chabbat tous les sept jours. « Observez mes Chabbats (tichmokhou) et craignez mon sanctuaire (oumiqédachi -miqdach ! tikhaou): je suis l’Éternel. (Ani Adonaï)» (Lv 26, 2)

La Torah ne bégaie pas. Quand elle répète un mot c’est pour frapper l’esprit de son auditeur. Là c’est une avalanche qui nous dépossède de notre désir d’exister de maîtriser notre temps et notre espace.

Dieu est celui qui maîtrise mon temps que moi je subis. Le Chabbat, la Chemita, le Yovel en sont les marqueurs sanctifiants, des butées à mon désir d’être maître du temps que je crois le mien. Le temps est à Dieu.

Le juif est donc celui qui sanctifie le temps, qui le particularise pour le « destiner à », qui l’ordonne pour que cette destination, ce « destin » soit providentiel.

Le maître de l’espace et de la terre

Mais Dieu n’est pas seulement l’Eternel qui me fait « perdre mon temps ». Il est aussi celui qui maîtrise mon espace, la terre dont j’avais cru qu’elle était à moi. De manière brutale :

« La terre est à moi » (Lv 25, 23).

 Il nous dit : « le pays que je vous donne » et ensuite Il nous le reprend ! Et tous les 7 fois sept ans nous perdons tout ! Mais alors que sert d’amasser ?

Tiens, pourquoi « Ani Adonaï » ? cette formule brutale qui clôt la paracha. Il renvoie directement à la Paracha Quedochim.

Rappelez-vous dans Quedochim : Quedochim tiyou, « vous serez saints comme Moi Je suis saint ». Comment être « saint, en miroir de D-ieu » nous avait dit Jacob… en obéissant à 51 mistvot très concrètes visant à protéger le prochain, qui se terminaient par une seule explication : « Ani Adonaï ». Comme si D-ieu établissait une butée qui n’a pas besoin de se justifier à notre désir prédateur envers le prochain que nous devons aimer non pas « comme nous même » (une erreur de traduction de la Septante) mais Vehaavvta Lekhakha et Kamora (Lv 25, 18)« car il est comme toi ».

C’est-à-dire parce que, lui aussi il désire ce monde. Lui aussi a des droits qui sont une limite pour les miens et mon désir prédateur.

Ce Ani Adonaï qui clos la Paracha pose une limite à notre désir de prolonger notre être dans des biens de nous étendre territorialement fut-ce au détriment d’autrui.

Comme une sorte de ‘Orla de l’arbre.

La terre ne nous appartient jamais définitivement ni dans le temps (Chemita) ni dans l’espace (Yovel). L’Eternel est la butée de désir humain prédateur. Au moment du Yovel chacun « retournera (vechav – une techouva physique et spirituelle) vers son héritage ancestral » qui ne peut en aucun cas lui être aliénée. « La terre ne sera pas vendue pour l’éternité car la terre est à moi, car vous n’êtes que des étrangers domiciliés chez moi. (Ki guérim, vetoshavim atem) » (Lv 25, 23)

Bref après nous avoir dit : la terre (aarets) ani noten lakhem « que je vous donne »… on nous dit que nous ne sommes que des « étrangers résidents » des métayers de passage en CDD…

Là encore la justification de tout cela n’en est pas une c’est une formule sans appel : Ani Adonaï Eloékhem !

« Je suis l’Éternel votre Dieu, qui vous ai fait sortir de la terre d’Egypte pour vous donner la terre de Canaan, pour être Dieu pour vous. » (Lv 25, 38)

La sortie d’Egypte, thème central de toute la Torah si l’on en croit le Maharal de Prague.

« Vous sanctifierez la cinquantième année vous proclamerez la liberté sur la terre et pour tous ses habitants » (Lv 25, 10)

La terre semble comme le témoin de la sanctification du le temps qui l’ordonne… à la liberté d’autrui.

C’est à prendre ou à laisser.

De la terre

On ne peut pas comprendre cette discussion sur la terre, sa possession les esclaves… sans la replacer dans le monde antique.

La terre antique c’est la « patrie », la terra patria, la terre des pères divinisés. On y verse des libations sur des autels familiaux pour les ancêtres censés vivre sous terre à Rome ou en Grèce. En Canaan, les rites hiérogamiques de fécondité parfaitement décrits par les prophètes (baal, arbres sacrés…) unissent sexuellement la terre et les cieux sur les montagnes et les collines par des cultes de prostitution qui miment l’union de la terre et du ciel.

Dans cet univers mental, celui qui n’a pas les mêmes dieux du foyer et de la terre est un étranger, un barbare qui n’a pas de droit… ou un esclave qui est une chose, res qui ne peut rien posséder. L’esclave c’est d’abord celui qui vient de loin, d’ailleurs donc, qui n’a aucun des droits liés au culte civique et à la terre des ancêtres, la terra patria. On en fait ce qu’on en veut.

Dans ce monde la Torah est juste une Révolution.

Car la terre selon la Torah c’est juste l’opposé. L’homme ne peut la posséder. C’est la terra fratria la terre du frère qui a un droit dessus et peut le « racheter ». L’esclave ne peut l’être indéfiniment. On ne peut pas le faire travailler à Chabbat et il recouvre sa liberté lors du Yovel. L’étranger résident (guer tochav), le barbarus, le berbère ! est considéré comme un frère à part entière que je dois protéger :

« Et si ton frère s’appauvrit et que ses ressources faiblissent à tes cotés, tu le renforceras -prosélyte et résident (guer tochav)- pourqu’il vive avec toi. Ne prends de lui ni usure ni intérêt… » (Lv 25, 35 sv…)

Et, là encore, avec pour seule justification ANI ADONAÏ ELOEKHEM (je suis l’Eternel votre Dieu)…

La sanctification de la terre signifie l’orienter vers l’existence d’autrui.

Et toute notre Paracha qui nous parle de terre et de propriété ne semble viser qu’un but : éviter de léser son prochain. Qu’est ce que ça veut dire ?

 « Ne vous lésez pas l’un, l’autre » (Lv 25, 14) ?

Quand est-ce que je lèse mon prochain ?

Cette intériorisation de la Torah c’est-à-dire du droit que Dieu donne à notre prochain est au cœur de la paracha et le cœur de la Torah :

« Si donc tu fais une vente à ton prochain, ou si tu acquiers de sa main quelque chose, ne vous lésez point l’un l’autre. » (Lv 25, 14)

Une phrase qui est répétée 3 versets plus loin :

« Ne vous lésez point l’un l’autre, je suis votre Dieu! » (Ani Adonaï Elohekhem) (Lv 25, 17)

On retrouve à nouveau la butée du « Ani Adonaï ».

La guemara du traité Baba Metsia (la porte du milieu) sur les ‘dommages personnels’ commente notre paracha [en gras le texte brut de la guemara] :

« Le verset parle de maltraitance verbale. La baraïta poursuit: dites-vous qu’il s’agit de maltraitance verbale [ be’ona’at devarim ] ou peut  être ne parle – t – il que d’exploitation financière [ be’ona’at mammon ] ? […] Ceci concerne les mauvais traitements verbaux. » (Baba Metsia 58b)

« La question est posée au cœur de chaque individu, car seul lui sait quelle était son intention quand il a parlé. Et en ce qui concerne toute question donnée au coeur, il est dit: « Et tu craindras ton Dieu » ( Lv 25, 17 ), parce que D-ieu est au courant de l’intention du coeur. (Baba Metsia 58b)

Rabbi Yohanan dit au nom de Rabbi Shimon ben Yoḥai : Plus Grande est la transgression de mauvais traitements verbaux que celle d’ exploitation monétaire, car concernant les mauvais traitements verbaux, il est dit: «Et tu craindras ton Dieu » Mais en ce qui concerne l’ exploitation monétaire, il n’est pas précisé: «Et vous craindrez votre Dieu». Et Rabbi Elazar a expliqué : « La maltraitance verbale affecte le corps ; mais cela, l’ exploitation monétaire, n’affecte que l’argent. (Baba Metsia 58b)

La Guemara raconte que le tanna qui récitait des mishnayot et des baraitot dans la salle d’étude enseignait une baraïta devant le tribunal de Rav Naḥman Yitzḥak : Quiconque humilie un autre en public, c’est comme s’il versait son sang.  (Baba Metsia 58b)

Donc D-ieu est celui qui nous ordonne la protection de notre prochain : protection de notre violence verbale, de notre rapacité financière qui est considérée : « comme si on versait du sang »

Je vous rappelle qu’on parle de la sanctification du temps dans le Yovel et on se retrouve dans… Baba Metsia qui parle des responsabilité civile et financière ! « La vache, la fosse, le feu » dit le traité. L’homicide volontaire ou involontaire par une vache laissée en liberté, par un feu qui est devenu un incendie immaitrisable, par une fosse creusée et qui n’a pas été protégée et ou tombe un enfant !

Ce respect du droit de notre prochain, de l’étranger, n’est évidemment pas seulement une réalité de jurisprudence. Il a un visage psychologique. Celui de l’empathie. Il doit aller jusqu’à la compassion, la capacité à comprendre ses émotions pour lui en donner le droit en les accueillant.

La Torah ne demande rien d’autre à l’homme.

Le Choulhane Aroukh est lapidaire :

« La Torah ne condamne que la haine » (Choulhane Aroukh 29, 18).

Essayons de comprendre ce que signifie le Yovel.

De la Géoula (Rédemption)

Quand notre Sidra nous parle du Yovel un mantra lancinant revient 15 fois de suite sous toute ses formes : Géoula (le rachat, la rédemption), Goël (le rédempteur).

« Et dans tout le pays que vous posséderez, vous accorderez le droit de rachat (Géoula) sur les terres. » (Lv 25, 25)

« Si ton frère, se trouvant dans la gêne, a vendu une partie de sa propriété, son plus proche parent aura la faculté de racheter וְגָאַל (végaal) ce qu’a vendu son frère. » 

« Quelqu’un dont personne n’a racheté גֹּאֵל le bien (goél), mais qui retrouve des ressources suffisantes pour le racheter  גְאֻלָּתוֹ (guéoulato) lui-même, supputera les années de la vente, rendra l’excédent à celui à qui il avait vendu, et rentrera dans son bien. » (Lv 26, 25-27)

Mais contre toute attente la Sidra ne nous parle pas de la fin des temps, des Hevlei Hamachia’h ces douleurs d’enfantement du Messie qui vont vous prendre demain dans l’isoloir quand il va vous falloir choisir entre Gog et les démagogues ou le Messie ou son âne…

Dans la Torah le mot « rédemption », « rédimer » appartient au langage de la responsabilité envers autrui et du droit.

Le go’el c’est celui qui rachète, celui qui remplit une obligation envers un proche parent préserver le patrimoine familial de la mainmise d’un étranger, ou pour venger l’honneur de la famille comme dans le livre de Ruth[3] ou la loi du Lévirat (Dt 25, 5-6) qui ordonne au frère d’un époux décédé, sans avoir eu d’enfant, d’épouser la veuve afin de perpétuer le nom du mort et d’éviter à la veuve une vie de misère.

Le Go’el d’Israël c’est D-ieu lui-même qui nous a sauvés d’Egypte et nous ramène sur notre terre.

La Guéoula dans la Haftarah

La Haftarah (Jr 32, 6-27) nous confirme cette importance de la Guéoula pour éclairer la Paracha de Bé’har.

Le pauvre Jérémie est en prison à force d’avoir fustigé le péché du peuple et l’injustice qui règne en Israël. Et bien sûr, arrive ce qui devait arriver, Nabuchodonosor et les Chaldéens dressent le siège de la ville pour déporter Israël.

Et à ce moment, contre toute raison, Dieu dit au Prophète Jérémie de racheter (‘hagueoula) à Hanamel le fils de son oncle, un champ à Ananot au nord de Jérusalem (Tribu de Levi) pour sept schekel et dix pièces d’argent.

« Fais l’acquisition de mon champ qui est à Anatot, car, ayant le droit de rachat (haguéoula), c’est à toi d’acquérir » « car tu possèdes le droit d’héritage et de rachat (haguéoula) » (vv. 6 et 8)

Ce qu’il fait en établissant un contrat signé avec témoins et en posant un poids de monnaie sur une balance (ce qui deviendra la base halakhique des contrats juifs). Et il fait cacher ce contrat dans un vase en argile enfoui sous terre.

C’est évidemment absurde d’un simple point de vue humain. Acheter au moment où la ville va être envahi par les chaldéens et que Nabuchodonosor roi de Babylone va déporter le peuple en Exil. C’est une folie. On n’achète pas un bien quand on va partir ! Mais Dieu promet à Jérémie que le peuple reviendra sur sa terre et qu’on y achètera à nouveau des champs.

« On y achètera des champs à prix d’argent, on dressera des actes, on les scellera, on assignera des témoins; [cela se verra] dans le canton de Benjamin, aux alentours de Jérusalem, dans les villes de Juda, dans les villes de la montagne, dans les villes de la plaine et dans les villes du Midi, car je ramènerai leurs captifs, » dit le Seigneur. » (Jr 32, 44)

En clair, aucune tragédie n’est assez forte et définitive pour supprimer le droit d’Israël sur sa terre. La promesse de Dieu est inaliénable.

La Galout et la Géoula

De la Galout à la terre

Israël est donc ce peuple né sur une terre étrangère. Qui grandit dans un désert où personne ne possède rien et ne peut rien revendiquer. A qui l’Eternel donne une terre qui ne lui appartient pas. Et reçoit une loi au Sinaï avant même d’être sur sa terre. La Torah précède la terre, le droit de filiation précède celui du sol. Tout l’inverse des autres nations. Que signifie la terre pour nous ?

Qui d’entre nous n’a vécu cette émotion viscérale de se retrouver « à la maison » sur notre terre en regardant Jérusalem ou le désert de Juda ? L’arrachement de partir ? L’espoir fou de posséder une maison en Israël ? Le sentiment pacifié d’être au seul endroit où la vie juive est vraiment et totalement possible ?

Et pourtant nous somme en Exil en galout.

Quel sens cela peut-il avoir ? Après tout Dieu peut tout ! il aurait pu nous créer circoncis et nous faire vivre en frères avec une même langue sur la terre d’Israël sans passer par la souffrance de la Galout.

On a du mal à s’en rappeler mais sans Eliézer Ben Yehuda on n’entendrait pas parler la langue sacrée devenue langue de la rue sur la terre de D-ieu. On parlait le Yiddish, le judéo-arabe…

Pourquoi la Galout ? Pourquoi sommes-nous loin de notre terre ? De toute Chemita ? Et pire que ça ! Nous sommes dispersés parmi les nations, en vrac, incapables de nous recueillir. Que signifie notre vie en Galout ? en Exil ?

Galout et Géoula selon le Maharal

Une réflexion du Maharal de Prague est là clé pour comprendre cet étrange mystère.

Le Maharal de Prague (Moreinou Ha-Rav Lévi), Rabbi Yehouda ben Betsalel Loew, 1512-1609, l’ami intime de Tycho Brahé (qui a inventé la relativité du mouvement et par qui s’effondra le concept d’immuabilité des cieux) et de Kepler (l’astrophysicien inventeur des 3 principes), interprétait les rêves de Rodolphe II de Habsbourg !

Selon le Maharal, les deux verbes « exiler » et « rédimer », qui donnent les mots Galout et Géoula, l’Exil et la Rédemption, ne diffèrent que par une lettre. Ils contiennent tous les deux guimel et lamed, mais galout contient hé (valeur de guematria : 5) et gueoula contient aleph (valeur 1). La différence entre eux a pour valeur 4. Le chiffre du monde, des 4 dimensions.

En clair, entre la galout et la Géoula il y a un monde à construire !

Que signifie la liberté proclamée lors du Yovel ? Que liberté sur notre terre est la Rédemption elle-même.

Galout et Géoula :  deux faces d’une même réalité

Qu’est-ce que la Rédemption ? C’est le fait de revenir et de vivre en paix sur notre terre. Une action physique et intérieure à la fois.

Qu’est ce que la Guéoula, Maimonide est formel :

« Qu’il ne te vienne pas à l’esprit qu’à l’époque de Machia’h sera annulée quelque chose dans la marche du monde, ou que sera changée la nature de la création : le monde continuera selon sa nature, et ce qui est dit par Isaïe « le loup habitera avec le mouton et la panthère paîtra avec l’agneau » est une parabole et une allégorie, dont le sens est qu’Israël résidera en paix parmi les méchants du monde» [4]

Pour les Hakhamim du Talmud, à la suite de notre Haftarah, l’exil, la Galout, la dispersion est la punition de la faute d’Israël.

Abraham est le premier à qui D-ieu promet la terre dans la Torah.

« Toute la terre (kol aarets) que tu vois, à toi je la donnerai ainsi qu’à ta descendance, pour toujours (ad aolam) » (Gn 13, 15).

Le rabbi Yitzḥak dit: Au moment de la destruction du Premier Temple, le Saint, Béni soit-Il, trouva Abraham debout dans le Temple. Il a dit à Abraham: « Qu’est-ce que mon bien-aimé fait dans ma maison? » Abraham dit à Dieu: Je suis venu au sujet de mes enfants pour découvrir pourquoi D-ieu a détruit le Temple et les a exilés d’Eretz Yisrael. Dieu dit à Abraham: La raison en est que tes enfants ont péché et qu’ils sont donc exilés du pays. Abraham dit à Dieu: Peut – être ont-ils péché involontairement et ils ne méritent pas un châtiment aussi terrible ? (TB Menachot 53b)

Mais le Maharal de Prague l’envisage de manière plus profonde et il donne une définition positive de la galout (exil) à partir de sa réflexion sur la proximité des mots galout et géoula (rédemption). La Galout et la Géoula sont les deux faces d’une même réalité ontologique nous apprend le Maharal de Prague.

Pour le Maharal de Prague les arguments du Talmud[5], et de Nahmanide sur le fait que l’attitude d’Abraham envers Sarah (quant il la cache à Pharaon), seraient la cause ultime de l’Exil ne sont pas recevables.

Selon lui la Galout et la Guéoula sont les deux faces de la profondeur du réel.

La relation entre Israël et les Nations et un fait providentiel voulu par Dieu.

Comme souvent chez le Maharal deux réalités antinomiques produisent un moment, de la contradiction, du paradoxe nait une dynamique providentielle. Ainsi de l’opposition de Esaw et Yaacov, de la Galout et de la Geoula . L’opposition de ces contraires inscrite dans la création permet la mise en oeuvre d’une histoire providentielle.

Sans l’exil, Israël ne pourrait pas racheter son péché, retrouver son intégrité première, ne pourrait pas découvrir sa supériorité sur les Nations de la terre, (Dt 28, 1) et ne pourrait se répandre parmi les nations pour accomplir sa mission de Révélation.

L’exil est une donc une réalité permanent constitutive du caractère d’Israël.

Le « véritable sens de l’exil est la joie » dira un rabbin hassidique.

Car voir le Temple détruit et un renard sortir du Saint des saints c’est déjà voir la Rédemption comme l’affirme Rabbi Akiba en éclatant de rire, à la grande surprise de ses compagnons à la fin du traité Menakot (Talmud, Makkot 24b)[6] qui finissent par lui répondre : « Akiva, tu nous as consolés ! Akiva, tu nous as consolés ! »

L’exil, condition de la « découverte » psychique de soi

Ce retour sur la terre a un sens non seulement physique mais aussi psychologique.

Car ani mégalé, m’a dit le Rabbin Harboun de la racine : guimel, lamed, hé, du verbe galé : « découvrir », signifie « je découvre »

Le juif qui passe de la diaspora à la terre d’Israël « découvre » dans ce passage une réalité qu’il ignorait jusque-là. Il se découvre, il connait sa souffrance.

« En Israël nous sommes dans le Maassé Berechit le gan Eden et en Galout nous vivons dans le maasé Merkaba de l’exil. Celui qui n’est pas passé par la galout n’a jamais souffert et ne peut pas comprendre quelqu’un qui souffre » 

… m’a enseigné le Rav Haïm Harboun à la suite du Maharal.

Entre la galout et la Géoula il y a donc un monde. Celui de la techouva. Un retour qui est aussi bien physique, qu’intérieur, un chemin de responsabilité envers tout homme, toute femme qui vient à nous à qui nous et qui mérite que nous le considérions comme le messager de la Rédemption.

Un dernier point. Personnel celui-là.

La dernière fois que j’ai commenté l’écriture c’était dans une église. Mon meilleur ami avait été enseveli dans une avalanche sur une montagne avec deux de ses compagnons et je demandais pourquoi ils étaient montés Bé’har, « sur la montagne ». Je parlais de Moché au Sinaï, de Eliyahou à l’Horeb.

Depuis 10 ans j’ai cherché et j’ai compris une chose : Qu’on soit un grand tsadik ou un racha, Dieu est toujours à la même distance de nous et on peut revenir.

Mes frères et sœurs bien aimés, la téchouva est possible.

Un jour notre Exil prendra fin, car rien n’est impossible à Dieu.

Tizkou lamitsvot!


[1] La gemara raconte que le rabbin Yehuda HaNasi a déclaré: Le fait que je sois plus incisif que mes collègues est dû au fait que j’ai vu le rabbin Meir de derrière, c’est-à-dire que je m’étais assis derrière lui quand j’étais son élève. Si je l’avais vu de face, je serais encore plus incisif, comme il est écrit: «Et tes yeux verront ton maître» ( Esaïe 30:20 ). (Erouvin 13b)

[2] Maimonide explique que : « durant les soixante-dix ans qui séparèrent la destruction du Premier Temple et l’édification du Second, et aussi après la destruction de celui-ci, on ne compta pas l’année du Jubilé, mais seulement (sans interruption) les cycles de sept ans »

[3] La mère de Ruth, Noémi, revient dans le pays de son époux Elimelekh. Celui-ci est mort, elle est veuve et sans ressources. Selon la loi juive, un proche parent (qarov) pourrait racheter l’ancienne terre de son mari, et la transmettre à son fils. C’est le goel (un mot qu’on peut traduire par sauveur).

[4] Michné Torah, Lois des Rois, 12

[6] Il arriva encore une fois que Rabbane Gamliel, Rabbi Elazar ben Azaria, Rabbi Josué et Rabbi Akiva se rendirent à Jérusalem. Quand ils atteignirent le mont Scopus, ils déchirèrent leurs vêtements. Quand ils arrivèrent au Mont du Temple, ils virent un renard qui sortait du lieu du Saint des Saints. Les autres se mirent à pleurer ; Rabbi Akiva rit.

Ils lui dirent : « Pourquoi ris-tu ? »

Il leur répondit : « Pourquoi pleurez-vous ? »

Ils lui dirent : « Un lieu [tellement saint] qu’il en est dit : “L’étranger qui l’approche mourra” (Nb 1, 51), sur lequel s’est maintenant accompli : “Pour le mont Sion en ruines, traversé par les renards”, (Lam 5, 18) nous ne devrions pas pleurer ? »

Il leur dit : « C’est pour cela que je ris. Car il est écrit : “Je me fis assister de témoins dignes de foi, d’Urie le pontife et de Zacharie, fils de Yebérékhyahou.”3 Quel est le lien entre Urie Et Zacharie ? Urie vécut [au temps du] Premier Temple, et Zacharie [au temps du] Deuxième Temple ! La Torah fait cependant dépendre la prophétie de Zacharie de celle d’Urie. Avec Urie, il est écrit : “Par conséquent, à cause de vous Sion sera labourée comme un champ ; [Jérusalem deviendra un monceau de ruines, et le Mont du Temple comme les hauts lieux d’une forêt.]”4 Avec Zacharie, il est écrit : “De vieux hommes et de vieilles femmes s’assiéront encore dans les rues de Jérusalem.”.5

« Tant que la prophétie d’Urie ne s’était pas accomplie, je craignais que la prophétie de Zacharie s’accomplisse pas non plus. Mais maintenant que la prophétie d’Urie s’est accomplie, il est certain que la prophétie de Zacharie s’accomplira elle aussi. »

Sur ces mots, ils lui répondirent : « Akiva, tu nous as consolés ! Akiva, tu nous as consolés ! »

Mare d’argentu

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CHABBAT CHALOM
PACE DI U SABBATTU A TUTTI

Mon D-ieu, mon D-ieu,
’Éli, ’Éli,
אֵלִי, אֵלִי
Que ne finissent jamais,
Shè-lo yigamér le-‘olam,
שֶׁלֹּא יִגָּמֵר לְעוֹלָם

Le sable et la mer,
Ha-hol ve-ha-yam,
הַחוֹל וְהַיָּם,

Le murmure de l’eau,
Rishrush shèl ha-mayim,
רִשְׁרוּשׁ שֶׁל הַמַּיִם,

L’éclair dans le ciel,
Beraq ha-shamayim,
בְּרַק הַשָּׁמַיִם,

La prière de l’Homme.
Tefillat ha-adam.
תְּפִלַּת הָאָדָם

Poeme de Hanna Szenes (1921-1944)
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Hannah_Szenes

Hannah Szenes ou Chana Senesh (19211944), d’origine hongroise fut l’une des 37 personnes juives vivant en Palestine , qui ont suivi l’entraînement spécial britannique pour être parachutées ou infiltrées en Europe en vue d’aider à sauver les Juifs et servir d’agents de liaison avec l’armée britannique. Elle fut arrêtée à la frontière hongroise, emprisonnée et torturée, mais refusa de révéler les détails de sa mission et fut finalement jugée et fusillée. C’est une héroïne en Israël : parmi les rues portant un nom de femme, le sien est celui qui revient le plus fréquemment (devant celui de Golda Meir), et ses poèmes sont très connus.

Immortelles de Corse

Mikvéh מִקְוָה, un bain d’espoir et d’éternité

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La racine kvh’ (kaf, vav, hé) est une racine primitive araméenne qui signifie « lier ensemble » (parfois par torsion), « rassembler »; de manière figurée: « attendre », « espérer ». 

L’eau apparaît dés de le début de l’histoire de la création: veRuakh al peneï amaïm « L’esprit de Dieu sur le visage des eaux» (Gn 1, 2). Dés le commencement, l’eau est liée au divin, au spirituel. La pureté juive n’est pas une question de ‘propreté’ ; est « impur » (tamé) tout ce qui est marqué par la mort et sépare du culte du Temple. Il s’agit d’une impureté rituelle .

וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים, יִקָּווּ הַמַּיִם מִתַּחַת הַשָּׁמַיִם אֶל-מָקוֹם אֶחָד, וְתֵרָאֶה, הַיַּבָּשָׁה; וַיְהִי-כֵן

« L’éternel dit: « Que les eaux répandues sous le ciel se réunissent (ikavou) sur un seul lieu (makom e’had), et que le sol apparaisse. » Cela s’accomplit. »

וַיִּקְרָא אֱלֹהִים לַיַּבָּשָׁה אֶרֶץ, וּלְמִקְוֵה הַמַּיִם קָרָא יַמִּים; וַיַּרְא אֱלֹהִים, כִּי-טוֹב.

« L’éternel nomma le sol la Terre, et l’agglomération des eaux (miqvéh amaïm) , il la nomma les Mers. Et Dieu considéra que c’était bien. » (Gn 1, 9-10)

Le retour à notre source nous réunit et nous réunifie quand nous sommes ‘morts’, en vrac, incapables de nous recueillir.

Le second sens de la racine kvh’ est « l’espoir » (ha Tikvah) d’Israël.

Le prophète Jérémie en parle :

מִקְוֵה יִשְׂרָאֵל יְהוָה, כָּל-עֹזְבֶיךָ יֵבֹשׁוּ; יסורי (וְסוּרַי) בָּאָרֶץ יִכָּתֵבוּ, כִּי עָזְבוּ מְקוֹר מַיִם-חַיִּים אֶת-יְהוָה.

« O espérance (Miqvéh) d’Israël, Éternel, tous ceux qui te délaissent seront confondus! Oui, ceux qui se tiennent éloignés de moi seront inscrits sur la poussière, car ils ont abandonné la source d’eaux vives (maïm ‘haïm) : l’Eternel » (Yirmiyahu / Jérémie 17, 13)

L’immersion n’a rien à voir avec la propreté physique. Celui qui passe au Mikvé choisit de passer de la « mort » à la « vie »; c’est un acte spirituel avec intention. 

Maïmonide termine sa codification des lois du mikveh en disant:

« Il est évident que les lois sur l’immersion en tant que moyen de s’affranchir de la souillure sont des décrets établis par les Écritures et non des sujets sur lesquels l’intelligence humaine est capable de former un jugement ; car voici, elles sont incluses parmi les statuts divins. Maintenant, la «malpropreté» n’est pas de la boue ou de la crasse que l’eau peut éliminer, mais une question de décret scripturaire et dépend de l’intention du cœur. Par conséquent, les Sages ont dit: « Si un homme se plonge, mais sans intention particulière, c’est comme s’il ne s’était pas plongé du tout. » Tosefta (Ḥaguiga 3, 2 )

Celle, Celui qui plonge dans le bain rituel du mikvéh – sans aucune barrière entre lui et l’eau, – entièrement entourée d’eau, fait le choix de revenir à sa source spirituelle. Il ressemble au fœtus dans le ventre de la mère. L’immersion dans le mikvéh est un retour à la source, un recommencement à zéro.

D. est toujours proche c’est seulement nous qui nous sommes éloignés de Lui. Voilà ce que j’ai appris à Carghjese.

Que D. bénisse la Corse et son peuple.

NB : La Michna (Mikvaoth 1, 1–8) indique qu’il existe au moins six grades de mikva’ot , classés du pire au meilleur: les étangs; les étangs pendant la saison des pluies; les piscines d’immersion contenant plus de 40 se’ah d’eau; les puits d’eaux souterraines naturelles;  l’eau salée de la mer et des sources chaudes; et les aux naturelles « vivantes » des sources et des rivières. 

Paroles des Prophètes, en Corse

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 רָנּוּ שָׁמַיִם וְגִילִי אָרֶץ, יפצחו (וּפִצְחוּ) הָרִים רִנָּה:  כִּי-נִחַם יְהוָה עַמּוֹ, וַעֲנִיָּיו יְרַחֵם.  {ס}13 Cieux, jubilez, terre, sois dans l’allégresse, et vous, montagnes, entonnez des chants joyeux! Car Dieu console son peuple, il prend en pitié ses humbles. [veaniyaiv irakhem : les ‘courbés’ D. ressent pour eux le déchirement des entrailles d’une mère -Meïr]
יד וַתֹּאמֶר צִיּוֹן, עֲזָבַנִי יְהוָה; וַאדֹנָי, שְׁכֵחָנִי. 14 Sion avait dit: « L’Eternel m’a délaissée, l’Eternel m’a oubliée. » (Je suis parti de l’Eternel, l’Eternel m’a oublié – Meïr)
טו הֲתִשְׁכַּח אִשָּׁה עוּלָהּ, מֵרַחֵם בֶּן-בִּטְנָהּ; גַּם-אֵלֶּה תִשְׁכַּחְנָה, וְאָנֹכִי לֹא אֶשְׁכָּחֵךְ. 15 Est-ce qu’une femme peut oublier son nourrisson, ne plus aimer [mérakhem : ne pas ‘matricer’ -Meïr] le fruit de ses entrailles? Fût-elle capable d’oublier, moi je ne t’oublie point!
טז הֵן עַל-כַּפַּיִם, חַקֹּתִיךְ; חוֹמֹתַיִךְ נֶגְדִּי, תָּמִיד. 16 Oui, j’ai gravé ton nom sur la paume de mes mains, tes remparts sont constamment devant mes yeux. (Is 49, 13-16)
 כִּי-כֹה אָמַר יְהוָה, רָנּוּ לְיַעֲקֹב שִׂמְחָה, וְצַהֲלוּ, בְּרֹאשׁ הַגּוֹיִם; הַשְׁמִיעוּ הַלְלוּ, וְאִמְרוּ, הוֹשַׁע יְהוָה אֶת-עַמְּךָ, אֵת שְׁאֵרִית יִשְׂרָאֵל. 6 En vérité, ainsi parle l’Eternel: « Eclatez en chants joyeux au sujet de Jacob, en cris d’allégresse au sujet de la première des nations; publiez à voix haute des louanges et dites: Assure, ô Eternel, le salut de ton peuple, des derniers restes d’Israël! [Le « reste d’Israël » est un thème biblique qui prends toute sa force avec les prophètes pour Sophonie (3, 2) il reste « un peuple humble (anaw, « humble » comme Moïse,d’un racine qui signifie « courbé ») et modeste » – Meïr]
ז הִנְנִי מֵבִיא אוֹתָם מֵאֶרֶץ צָפוֹן, וְקִבַּצְתִּים מִיַּרְכְּתֵי-אָרֶץ–בָּם עִוֵּר וּפִסֵּחַ, הָרָה וְיֹלֶדֶת יַחְדָּו:  קָהָל גָּדוֹל, יָשׁוּבוּ הֵנָּה. 7 Oui, je veux les ramener du septentrion, les rassembler des extrémités de la terre; l’aveugle même et le boiteux, la femme enceinte et l’accouchée se joindront à eux: en grande foule, ils reviendront ici.
ח בִּבְכִי יָבֹאוּ, וּבְתַחֲנוּנִים אוֹבִילֵם–אוֹלִיכֵם אֶל-נַחֲלֵי מַיִם, בְּדֶרֶךְ יָשָׁר לֹא יִכָּשְׁלוּ בָּהּ:  כִּי-הָיִיתִי לְיִשְׂרָאֵל לְאָב, וְאֶפְרַיִם בְּכֹרִי הוּא.  {ס}8 En pleurs ils reviendront dans les supplications, je les transporterai.
Je les ferai aller vers les torrents d’eaux, sur la route droite où ils ne trébucheront pas , par une route unie, où ils ne trébucheront pas; car je suis un père pour Israël , et Ephraïm est mon premier-né. »
[les lévites ont pris la place des premiers nés vus comme plus sanctifiés au départ, aprés le faute du veau d’or nous dit le Maharal de Prague – Meïr]
ט שִׁמְעוּ דְבַר-יְהוָה גּוֹיִם, וְהַגִּידוּ בָאִיִּים מִמֶּרְחָק; וְאִמְרוּ, מְזָרֵה יִשְׂרָאֵל יְקַבְּצֶנּוּ, וּשְׁמָרוֹ, כְּרֹעֶה עֶדְרוֹ. 9 Ecoutez la parole de l’Eternel, ô nations! Annoncez-la sur les plages lointaines, dites: « Celui qui disperse Israël saura le rallier, et il veille sur lui comme le berger sur son troupeau. » (Jr 31, 6-9)

« Je vous ai portés sur l’aile des aigles »

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EXODE 19, 4 : « Je vous ai portés sur l’aile des aigles »

Capu Rossu, Golfe de Porto, Corse

latitude: N 42°14’25 » – longitude: E 8°35’12 ».

Vendredi 18 Sivan 5779,

quelques heures avant la sortie des étoiles

MARE D’ARGENTU

Mare d’argentu, veni à ballà cù lu ventu

e porta cullà e centu rime di lu vaghjime.

Mare d’argentu, tra e to sciume cum’è lu pientu

sbocca lu fiume falla furiosu è diviziosu

Mare d’argentu, l’ai capita, ch’ogni mumentu

di la to vita sbuccia l’albore, è cresce l’amore.

Mare d’argentu, sta riturnella, ùn hè lamentu,

mancu paghjella, solu una prova di vita nova.


MER D’ARGENT

Mer d’argent, viens danser avec le vent

et porter là-bas les cents rimes de printemps

Mer d’argent, entre tes écumes comme des pleurs

aboutit le fleuve, il chute furieux et divisé

Mer d’argent, tu l’as compris que chaque moment

de ta vie éclate l’aube et crois l’amour

Mer d’argent, cette ritournelle n’est pas une complainte

ni une polyphonie, mais une preuve de vie nouvelle…

« Sur le chemin de la Charité se trouve la Vie et son sentier aboutit à l’immortalité » (Proverbes 12, 28)

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Du désir de richesse

Photo de Sebastiao Salgado

Quand l’homme sans spiritualité a une maison il en veut une plus grande encore ; Une fortune ? Il n’en a jamais assez ; Une belle femme ? il en veut une encore plus belle ou plus jeune encore, la « femme idéale »… et ainsi se passe la vie de l’homme sans D-ieu (nous tous par moment !) qui ne voit pas la profondeur de l’existence et passe son temps à vouloir transformer les ronds en carrés jusqu’à ce que la mort le surprenne. On peut donc vivre comme un mort vivant et « traverser sa vie comme une mouche » selon l’expression de notre Rav Haïm Harboun instruit de cela par le Hédèr (chambre- salle de classe) du Mellah de Marrakech !

Un jour, homme riche qui a construit des supermarchés pour nourrir des millions de personnes, Gérard Mulliez, fondateur d’Auchan, disait ceci : « Je ne vais quand-même pas manger 7 fois par jour ! ». Sage constatation.

Notre désir est infini et on est toujours le pauvre de quelqu’un.

La plupart des gens autour de nous ont un toit, de quoi manger, dormir, se vêtir, des chaussures. Les récents conflits des gilets jaunes nous renvoient à cette question éternelle, que signifie « être pauvre » ? Comment rétablir l’équilibre social ? partager un peu de la fête fraternelle en ce monde où nous ne faisons que passer ? Ce qui est quand même beaucoup plus marrant que de grignoter son gâteau tout seul dans un coin de la cour de récréation…

Essayons de comprendre cela du point de vue de la Torah :

« A la vérité, il ne doit pas y avoir d’indigent chez toi« 

Très curieusement, les lois de la pauvreté suivent une évocation de la Chemita, du repos chabbatique de la terre, dont nous avons longuement parlé qui sont une butée au désir de l’homme face à celui d’autrui. Comment être quadoch comme l’Omniprésent et Quadoch, c’est-à-dire en miroir ? En pratiquant la justice envers le pauvre nous disait la paracha Quedochim de multiples fois : en abandonnant aux pauvres la récolte au bout du champ, la glanure et les produits de la récolte oubliés qui en disposent à volonté, en ne gardant pas le salaire du journalier jusqu’au lendemain … :

« Tous les sept ans, tu pratiqueras la loi de la jachère (Chemita) Voici le sens de cette rémission (ve-zé davar a chemita – « voici la chose de la chemita ») : tout créancier doit faire remise de sa créance, de ce qu’il aura prêté à son prochain. Il n’exercera pas de contrainte contre son prochain et son frère, dès qu’on a proclamé la rémission en l’honneur de l’Éternel. L’étranger, tu peux le contraindre; mais ce que ton frère aura à toi, que ta main l’abandonne.

A la vérité, il ne doit pas y avoir d’indigent chez toi; car l’Éternel veut te bénir dans ce pays que lui, ton Dieu, te destine comme héritage pour le posséder. »

Mais c’est quand tu obéiras à la voix de l’Éternel, ton Dieu, en observant avec soin toute cette loi que je t’impose en ce jour. Car alors l’Éternel, ton Dieu, te bénira comme il te l’a promis; et tu pourras prêter à bien des peuples, mais tu n’emprunteras point; et tu domineras sur bien des peuples, mais on ne dominera pas sur toi. Que s’il y a chez toi un indigent, d’entre tes frères, dans l’une de tes villes, au pays que l’Éternel, ton Dieu, te destine, tu n’endurciras point ton cœur, ni ne fermeras ta main à ton frère nécessiteux. Ouvre-lui plutôt ta main! Prête-lui en raison de ses besoins, de ce qui peut lui manquer! Garde-toi de nourrir une pensée perverse en ton cœur, en te disant « que la septième année, l’année de rémission approche, » et, sans pitié pour ton frère nécessiteux, de lui refuser ton secours: il se plaindrait de toi au Seigneur, et tu te rendrais coupable d’un péché, Non! Il faut lui donner, et lui donner sans que ton cœur le regrette; car, pour prix de cette conduite, l’Éternel, ton Dieu, te bénira dans ton labeur et dans toutes les entreprises de ta main »

Or, il y aura toujours des nécessiteux dans le pays; c’est pourquoi, je te fais cette recommandation: ouvre, ouvre ta main à ton frère, au pauvre, au nécessiteux qui sera dans ton pays! » (Dt 15, 1-11)

Rachi note une contradiction flagrante.

« Comment peut-on dire : ‘‘Toutefois, qu’il n’y ait pas d’indigent (èvyon) en toi’’ Il est pourtant écrit plus loin : ‘‘ Car ne cessera pas l’indigent du milieu du pays… ‘’ (verset 11) ! Cela veut dire que, lorsque vous exécutez la volonté de Hachem, il y a des pauvres chez les autres et pas chez vous, et que, lorsque vous n’exécutez pas la volonté de Hachem, il y a des pauvres chez vous. »

Le ‘Hatam Sofer (Presbourg-Bratislava, 1763-1839) traduit littéralement le « Ki lo Yeié Bekha Evion– qu’il n’y ait point d’indigent en toi (bekha)». Tu ne dois pas céder à l’indigence en toi qui te fait croire que tu ne peux pas donner et faire face à la misère en face de toi. Bref, tu ne peux pas laisser grandir en toi la peur et l’insécurité qui fait que tu n’es plus généreux. Celui qui n’est pas généreux est déjà pauvre, en fait il est mort, mais il ne le sait pas.

Qu’est-ce que la pauvreté ?

Le pauvre se dit ’ani (singulier) et ’aniyim (pluriel) d’habitude dans la Torah qui signifie la pauvreté matérielle, celle du nécessiteux dans la gêne. Ani, qui a donné anawim le pauvre a la même intonation qu’Anav mais pas la même racine.

Le pauvre c’est d’abord celui qu’on écoute pas et que D. entend :

Le psaume 22 nous dit que c’est D. lui-même qui entend le pauvre :

« ki lo vaza velo Chikats enot ani – Car il n’a point dédaigné, il n’a point méprisé le gémissement du pauvre ; il n’a pas caché de lui son visage, ni manqué de l’entendre quand il implorait! (Ps 22, 25)

Et si nous sommes assez habiles pour nous soustraire au demandes des autres,  » il y a toujours une oreille qui entend «  : Dieu entend le cri du pauvre :

« Ze ani Kara (un pauvre crie) veAdonaï Chaméa » (l’Eternel l’entend) (Ps 34, 7)

Mais là le mot employé ici est plus fort que ‘ani c’est évyon (l’indigent)

Et Rachi précise ce que signifie cet Indigent (évyon)

« Le mot èvyon exprime une plus forte idée de pauvreté que ‘ani. Le èvyon est celui qui s’épuise à chaque chose. »

Le pauvre c’est celui qui s’épuise à être pauvre, qui ne pourra jamais joindre les deux bouts et dont le désir s’épuise et se désespère par le simple fait d’essayer.

Ce que l’homme doit réparer c’est donc le désir de celui qui a été mis hors-jeu et désespère. Ce qui est véritablement visé ce n’est pas un « PIB moyen par habitant », un « niveau de vie » ou un « indice de consommation » mais le désespoir de vivre.

Entendre le pauvre et ob-ouïr à la mitsvah

Dt 7,5 dit :

« Lichmor laasot et kol amitsva – Mais c’est quand tu obéiras à la voix de l’Éternel, ton D-ieu [que tu réaliseras toute la mitsva] Acher anokhi metsavera Ayiom – que moi je te commande [mitsva] aujourd’hui »

Lichma c’est écouter et ob-ouir, ob-éir. Pour que la parole du pauvre ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd elle doit se transforme en mitsvah, en action de bonté généreuse qui est réponse à un ordre.

Ce qui manque à l’indigent

« Prête-lui en raison de ses besoins, de ce qui peut lui manquer! » (Dt 15, 8)

mais quels sont ces besoins puisqu’ils ne peuvent pas être évalués de manière objective et qu’on est toujours « le pauvre de quelqu’un » ?

« Sur ce sujet, les Sages ont enseigné: « en raison de ses besoins »; cela enseigne que vous avez le commandement de soutenir le pauvre, mais que vous n’avez pas le commandement de le rendre riche, car l’obligation ne comprend que ce qui lui manque, comme l’indique le mot déficient. Cependant, le verset dit aussi: « Ce qui lui manque »; cela inclut même un cheval sur lequel monter et un serviteur qui court devant lui pour préserver sa stature, si nécessaire.

Pour une personne habituée à ces avantages, leurs absences constituent une véritable lacune et non une extravagance. La Guemara raconte: ‘‘Ils ont dit à propos de Hillel l’Ancien qu’il avait obtenu pour un pauvre de noble descendance un cheval sur lequel monter et un serviteur qui courait devant lui. Une fois, il ne trouva pas de serviteur qui courrait devant lui et Hillel lui-même courut devant lui pendant trois milles, afin de respecter la mitsva ‘‘ce qui lui manque».’’ » (TB Ketoubot 67 a)

Un homme qui a un cheval est riche dans l’Antiquité. On parle d’ordre équestre à Rome. C’est donc moins la misère que le déclassement que vise la Torah, la ‘baisse de standing’. Il s’agit qu’autrui ne désespère pas en perdant sa considération sociale, qu’il ne déchoie pas à ses propres yeux.

Hillel court devant ce nouveau pauvre pour montrer à la terre entière qu’il a un serviteur, lui le nassi d’Israël, à cause de la mitsvah : « ouvre-lui ta main, prête-lui en raison de SES besoins, de ce qui peut LUI manquer » il l’aide à ne pas déchoir à ses propres yeux et à ceux de la société.

La guemara rapporte deux anecdotes contradictoires :

« La Guemara raconte un autre incident concernant des œuvres de bienfaisance. Une certaine personne est venue devant le rabbin Neḥemya pour demander la charité. Il lui dit:

‘‘De quoi dînes-tu normalement ? Il lui dit: – Je mange habituellement de la viande grasse et du vin vieilli. Rabbi Neemya lui demanda: – Souhaites-tu te rabaisser et participer avec moi à un repas de lentilles, qui est mon plat habituel ?’’

Il a consommé des lentilles avec lui et il est décédé, car il n’était pas habitué à cette nourriture. Rabbi Nehemya a dit: ‘‘Malheur à celui qui a été tué par Nehemya.’’

La Gemara se demande: le rabbin Neḥemya aurait dû dire le contraire : ‘‘Malheur à Neḥemya qui a tué celui-ci’’. La Guemara répond: Au contraire, Rabbi Nehemya signifiait qu’il était lui, le pauvre, qui ne devrait pas se dorloter lui – même. Le pauvre homme était à blâmer pour sa propre mort. Son indulgence excessive le rendait incapable de digérer des aliments simples tels que les lentilles. » (TB Ketoubot 67 a)

Le R. Nehemya a fait une première erreur en lui demandant : « Supporteras-tu de manger des lentilles avec moi ? » qui a humilié la personne … et l’autre a désespéré et en est mort. Ce gaffeur de R. Nehemya qui n’a pas compris que la pauvreté est un déclassement n’est pas seul dans son cas ! un autre rav : Rava, va demander à un riche si ça ne lui coûte pas trop de faire peser ses festins sur la communauté (genre Merci Patron !). Objectif : culpabiliser le riche ! Écoutons la Guemara :

« Une certaine personne est venue voir Rava pour lui demander la charité. Il lui dit:

‘‘De quoi dînes-tu normalement ? Il lui dit: – D’une poule engraissée et de vin vieilli. Il lui dit: – Et ne craignais-tu pas de créer un fardeau pour la communauté en t’attendant à des aliments aussi opulents? Il lui dit: – Est-ce à dire que c’est sur leurs richesses que je mange? Je mange avec le soutien du Miséricordieux.

Cela semblerait être un argument raisonnable, car nous avons déjà appris dans le verset « Tous les yeux se tournent avec espoir vers toi, et, toi, tu leur donnes leur subsistance en son temps ».(Ps 145, 15 ), la phrase: À leur heure, n’est pas énoncée, mais «en son temps». Cela enseigne que le Saint, Béni soit-Il, accorde à chacun sa nourriture personnelle appropriée au moment opportun, et la communauté n’est que son agent dans l’accomplissement de sa volonté. Par conséquent, l’homme est justifié de maintenir son niveau.

Dans l’intervalle, alors qu’ils discutaient, la sœur de Rava, qui ne l’avait pas vu depuis treize ans, vint. Et comme cadeau, elle lui apporta une poule engraissée et du vin vieilli. Rava se dit à lui-même: Qu’est-ce qui s’est passé devant moi si soudainement on m’apporte de la nourriture que je ne mange pas d’habitude? Il a alors compris qu’il s’agissait d’une réponse providentielle à ce qu’il avait précédemment dit à l’homme. Rava lui dit: « J’ai répondu [ na’aneti ] à ton affirmation. Lève – toi et mange » (TB Ketoubot 67 a)

La question de la Tsedaka, ce mot qui signifie la « charité » et la « justice » : donner rétablit l’ordre du monde ! c’est donc l’écoute de la pauvreté d’autrui et de ce qu’il demande qu’il est question. Et non pas un jugement de valeur moralisateur sur ce qui est demandé ou le train de vie du riche. La pauvreté est une réalité psychique. La capacité d’écoute et d’empathie c’est-à-dire la capacité à « se mettre à la place de » à éprouver le désir (fut-il déréglé) d’autrui est centrale.

Des biens de première nécessité

Par contre le Talmud comprend qu’il y a des besoins de première nécessité sans aucune discussion d’ordre psychique :

« Rav Huna dit: Les collecteurs de charité examinent le niveau de pauvreté de celui qui demande de la nourriture, mais pas le niveau de pauvreté de celui qui demande des vêtements. Si une personne se présente devant les collecteurs de charité avec des vêtements en lambeaux, on lui donne des vêtements sans poser de questions. » (Bava Batra 9a)

Mais un autre sage n’est pas d’accord avec cette vision qui dit que celui qui est humilié par ses loques doit être rétabli dans son honneur d’homme et dit que tout doit être discuté !

Ne pas culpabiliser en donnant

Car toute la difficulté du don est de ne pas humilier celui qui reçoit.

C’est bien connu les personnes à qui on donne et qui n’ont pas le moyen de rendre transforment leur culpabilité en haine ; La faute à qui ? Au donateur.

Le traité Bava Batra 10b une baraïta le résume ainsi :

« Celui qui dit  »ce Sela est pour la Tsedaka afin que mon fils soit en bonne santé’’ ou  »Pour que je mérite le Olam Haba (le monde qui vient)’’ est un Tsadik Gamour (véritable juste) » (Pessahim 8a).

Celui à qui on donne se sent grandit car c’est lui qui donne une valeur incommensurable en recevant. Sa culpabilité de recevoir est donc annulée.

Tsedaka tatsil mimavet, La charité sauve de la mort

Celui qui n’est plus généreux sort du cycle de la vie qui n’est que générosité pour nous. Des bras nous ont accueilli en ce monde, nous avons tété un lait que nous n’avons pas fait, écouté et appris des mots d’une langue inconnue de nous, nous marchons chaque jour sur des chemins que d’autres ont creusé pour nous. Celui qui oublie qu’il est un débiteur insolvable se trompe sur sa propre réalité. Une anecdote du Talmud rapporte en quoi la charité est le flux du D. vivant :

Le rabbin Ḥiyya bar Abba dit: Le rabbin Yoḥanan soulève une contradiction entre deux textes. À un endroit, il est écrit: “Les richesses ne profitent pas le jour de la colère, mais la charité délivre de la mort” (Pv 11, 4) , et ailleurs il est écrit: “Les trésors de la méchanceté ne rapportent rien, mais la charité délivre de la mort” (Pv 10,2) . Pourquoi est-il nécessaire d’avoir ces deux versets sur la charité, qu’elle délivre de la mort? Le rabbin Ḥiyya bar Abba continue: Un verset sert à enseigner que la charité délivre d’une mort non naturelle en ce monde, et un autre verset sert à enseigner que la charité délivre du jugement de la géhenne du monde à venir. 

C’est pourquoi la charité est le début et la fin de tout amour désintéressé :

« Rav Asi dit: La charité est équivalente à tous les autres mitsvot combinés » (Bava Batra 9a)

« Sur le chemin de la Charité se trouve la Vie et son sentier aboutit à l’immortalité » (Prov. 12, 28)

« Ben Zoma disait : « Qui est riche ? Celui qui se contente de sa part ainsi qu’il est dit (Psaumes 128, 2) : « Lorsque tu te nourriras du travail de tes mains, tu seras heureux et le bien sera pour toi » – tu seras heureux dans ce monde, le bien sera pour toi dans le monde futur. » (Pikei Avot 5, 1)

Pour le Maharal est riche celui dont le but n’est pas la richesse mais de jouir du travail en lui-même, de manière désintéressée car ce désintéressement est en lui-même le bonheur, ce qui est la vraie richesse.

Et concrètement ?

Maïmonide dit :

« le pauvre vient et demande la satisfaction de son manque et les moyens du donateur ne suffisent pas à y faire face, qu’il lui donne selon ses possibilités. En quoi cela consiste-t-il ?

– 20 % de ses revenus c’est de la générosité

– 10 % c’est la moyenne

– Moins c’est de la parcimonie (X, 5)

si le pauvre te demande et tu n’as rien à lui donner, essaie de le rassurer et de l’encourager, car son cœur est affligé et déprimé. Et malheur à celui qui humilie le pauvre. » ( Michné Torah, Lois des Dons aux Pauvres , VII, 5)

Et il ajoute à l’attention de ceux qui voudraient « utiliser leur Torah comme une pioche » et risquent de creuser leur tombe (Pirkei Avot) :

«Parmi nos plus grands savants, certains furent bûcherons, portefaix, porteurs d’eau, forgerons, fabricants de charbons de bois, ils n’ont jamais sollicité la communauté, et lorsqu’on voulait les aider, ils refusèrent. » ( Michné Torah, Lois des Dons aux Pauvres , XV, 18)

Et c’est ainsi que le plus grand penseur du judaïsme se comporta toute son existence.

Thèrèse d’Avila, le secret juif

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Thérèse d’Avila était en réalité une… Tolédano.

Quand on relit l’histoire de l’Espagne a travers les sources chrétiennes c’est une histoire sans les Juifs et sans les Maures. La réalité est tout autre et elle s’inscrit dans l’histoire personnelle des plus grand héros de cette épopée ‘catholique’ qui n’est en fait qu’une réécriture des vainqueurs. . Une sorte d’effacement de l’origine et du nom originaire qui hante l’histoire du christianisme. Avant 1492 il n’y a pas de Royaume d’Espagne, la péninsule ibérique est fractionnée en régions indépendantes comme la Castille ou l’Aragon.

Un grand père juif pourchassé par l’Inquisition

Tout le monde sait aujourd’hui que le grand-père paternel de Teresa Sánchez de Cepeda y Ahumada née à Avila en 1515, alias Thérèse d’Avila, Juan Sánchez, riche marchand de laine et de soie, était un juif converso (converti au christianisme). Même l’Osservatore Romano, l’organe de presse du Vatican le dit (voir ici) !

Son père, et arrière-grand père de Thérèse d’Avila, Alonso Sanchez de Tolédo ainsi que son épouse Térésa étaient juifs. Il était un opulent marchand de draps et de soieries et possédait des vignobles et des maisons à Tolède.

En mai 1485, Juan Sánchez (1440-1507) son grand-père paternel né de parents juifs est marchand. C’est un conversos et probablement un marrane baptisé le 10 février 1471. Il possède une boutique de vin à Tolède. Il est marié à Doña Inés de Cepeda – de famille conversa originaire de Tordesillas établie à Tolède.

Les « marchands » de Tolède appartenaient à la classe dirigeante, au-dessus des artisans et des industriels, ils étaient en fait des négociants de bijoux, textiles, livres, épices, produits coûteux- dont ils réalisaient l’acquisition, le transport, la transformation, le stockage, la vente en gros et la distribution.

Juan Sanchez gérait une seconde activité à laquelle beaucoup de conversos participaient : la collecte d’impôts publics à caractère civil ou ecclésiastique. Cette seconde activité de don Juan lui conférait un statut social très élevé, et il a facilité ses contacts amicaux avec les évêques de Plasencia, Salamanque, Tolède, Santiago et avec les dignitaires de la cour d’Enrique IV.

Toledo avait une population « judéo-chrétienne »: la classe dirigeante était constituée de familles conversos, issues de la fusion des chrétiens avec des judéo-conversos. Les convertis avaient fondé des couvents, soutenu des hôpitaux; il y avait des dizaines de frères et hommes de lettres à Tolède.

En 1485 le tribunal de l’Inquisition arrivé à Tolède propose à ceux qui ont « apostasié la foi catholique ou ont commis des crimes contre la foi » de comparaître et de se confesser pour obtenir la « réconciliation avec l’Eglise » dans un délai convenu. A cette date aurait lieu un un grand Auto da fé ( « acte de foi »), un « pardon général ». Il s’agit en fait d’un ultimatum sans que personne sache ce que détenait réellement le tribunal. .

Procès d’Inquisition. Photo Olivier Long, Casa de sefarad, Judéria de Cordoue. http://www.casadesefarad.es/

La démarche était habile car elle mettait la pression sur les marranes en faisant régner sur eux et leurs familles la terreur. Soit ils se manifestaient, soit ils risquaient d’être dénoncés et finissaient alors en prison, torturés, et au bûcher dans un jugement uniquement à charge.

Le 22 juin de cette même année 1485, Juan Sánchez de Toledo, craignant d’être dénoncé, se présenta donc volontairement devant le tribunal et avoua: « avoir commis de nombreux et graves crimes et crimes d’hérésie et d’apostasie contre notre sainte foi catholique. »  On l’accusa de judaïser, c’est-à-dire de pratiquer en secret la religion juive. Le tribunal accepta sa confession et lui imposa une pénitence humiliante qui consistait à porter un sambenito, un scapulaire avec des croix qu’il devrait porter en public pendant sept vendredis lors du « défilé du réconcilié ».

Il doit donc porter le sambenito pendant sept semaines, l’habit jaune de la honte de l’Inquisition et passer ainsi d’église en église devant la foule exposé à la dérision publique.

Un habit sur lequel était écrit son nom et qui sera exposé dans la cathédrale de Tolède, en signe perpétuel d’infamie pour que les fidèles chrétiens se ‘souviennent’ de lui. C’était la « peine minimale ». Le catalogue des peines allait du sambenito à la prison sans limite de temps, à la flagellation, à la confiscation des biens, au bûcher.

Les fils de Juan Sánchez de Toledo ont été « réconciliés » avec lui, à l’exception de l’aîné Hernando, (les documents de l’Inquisition le précisent explicitement), qui avait reçu le judaïsme de son père.  Ce qui montre que cet homme avait transmis le judaïsme à ses fils sous une pratique chrétienne de façade.

Seul Hernando, son aîné, resté ferme dans la foi juive, s’est échappé de Tolède à Salamanque, où il changea son nom en Fernando de Santa Catalina pour ne pas être reconnu. Il y étudia le droit, s’y maria et s’éteint très tôt.

Le spectre vital se réduisait considérablement pour des personnes comme Juan Sánchez accusées publiquement d’être des faux chrétiens et de vrais juifs sous le manteau. Il était hors de question pour des « vieux chrétiens » de prendre des risques et de continuer à commercer avec des bannis de la société. Les conséquences financières étaient immédiates .

En réalité rien n’était résolu pour les conversos ces « nouveaux chrétiens » qui n’étaient pas de lignée chrétienne depuis 3 générations et sur qui le feu de l’Inquisition pouvait s’abattre à tout moment. L’avisé marchand comprit qu’il valait mieux « partir au vert » et il mit son projet à exécution.

De quand date la fuite Avila ? Probablement 7 ans plus tard lors de l’édit d’expulsion des juifs du 31 mars 1492. Juan Sánchez fuit avec sa famille à l’exception de son fils aîné Hernando, de Tolède en Andalousie où l’Inquisition sévit pour Avila dans la Castille plus clémente à 120 km plus au nord pour refaire sa vie…

Désormais les fils et filles de Juan Sánchez de Tolédo feront tout pour « laver la tâche » juive abandonnant bien sur le nom de Tolédo (ou Tolédano) qui signait immédiatement l’origine juive andalouse.

Don Juan Toledano arrive à Avila avec femme et enfants: Nous savons qu’ils s’appelaient Alonso, Pedro, Ruy, Elvira, Lorenzo, Francisco et Alvaro. L’aîné, Hernando, vit absent et « silencieux » à Salamanque.

Comme l’Inquisition ne vous lâchait pas Juan Sánchez acheta alors un faux certificat de limpieza de sangre (pureté du sang) et un faux certificat de petite noblesse (hidalgo) qui l’apparentait à … un chevalier d’Alphonse XI et surtout l’exemptait des impôts, séquestres et autres persécutions.

Il refit fortune, probablement en s’appuyant à nouveau sur le réseau juif (la population d’Avila contenait de nombreux juifs et conversos).

En 1493, le marchand de Tolède a délégué son parent, Antonio de Villalba, pour installer « un riche magasin de tissus de soie » dans la rue Adriano à Avila.

Une mère juive

Le fils de Juan Sánchez de Toledo y Cepeda, Alonso Sánchez- père de Thérèse d’Avila, abandonna le patronyme de « de Toledo » pour devenir Alonso Sánchez « de Cepeda » uniquement. Le marchand «Toledano», Alonso Sánchez de Cepeda, père de thérèse d’Avila, adopte désormais un patronyme étrange : « Alonso de Piña »; on ne sait jamais.
Ses frères font tous de même. Ils délaissent le nom de famille Sanchez, partent se battre aux Indes pour la couronne, au Pérou.

Alonso Sánchez de Cépéda épousa en premières noces Catarina del Peso y Henao (fille de Pedro del Peso et de Doña Inés de Henao) issue de la petite noblesse castillane.

Puis en secondes noces, le 14 Mai 1509 à Gotarrendura prés d’Avila, Beatriz Dávila Ahumada de las Cuevas, née à Ávila en 1495 et décédée en novembre 1528 . Cette-ci est issue d’un noble lignage de « vieux chrétiens » du côté paternel. Qui contient cependant des noms terminée en es et en ez typiquement marranes.

Mais, comme souvent, l’histoire bégaie : la grand-mère maternelle de Thérèse d’Avila (née en 1462 à Olmedo) fait partie d’une famille de conversos. Térésa Cuevas de Cuevas et Oviedo est originaire de la ville d’Olmedo (prés de Valladolid), elle est fille de Rodrigo de Oviedo et de Donã María de las Cuevas (un village à 20 km d’Oviedo dans les Asturies). Alonso Sánchez de Cepeda lui donnera dix enfants dont Thérèse d’Avila.

Son patronyme Oviedo, est marrane. Il fait d’ailleurs partie des noms qui ont désormais droit à la nationalité espagnole. (voir ici) :

Oviedo, était la capitale de la Principauté des Asturies et fut au Moyen Age une enclave juive significative. Elle possédait une importante synagogue qui était située au sein de la vieille ville, intra-muros, afin que les juifs y circulent en toute liberté. En effet la plupart des personnes portant des noms de villes comme Oviedo, Toledano, etc… étaient juifs.

La petite Teresa Sánchez de Cepeda y Ahumada née à Ávila- alis Téhrèse d’Avila recevra donc le prénom de sa grand-mère maternelle, une pratique juive bien connue. Elle fut de famille marrane par son grand-père paternel paternel mais, on le dit moins, maternel. Il est improbable qu’elle n’ait pas entendu parler de son oncle Hernando de Salamanque et qu’elle n’ait pas connu ses origines juives… On comprend bien que malgré les procès et la surveillance de l’Inquisition les solidarités familiales ne s’épuisaient pas en une génération…

Cependant, même si Thérèse d’Avila connait ce secret, elle reste sur ses gardes. Jeronimo Gracian, son confesseur favori de Thérèse, originaire d’une famille d’aristocrates et d’humanistes ayant des postes de confiance à la cour de Charles Quint et Philippe II rapporte dans son ouvrage Esprit de la bienheureuse Ana de San Bartholomé (la secrétaire de Thérèse d’Avila) :

« M’étant renseigné à Avila du lignage des Ahumada et des Cépéda dont elle descendait ; qui était l’un des plus nobles de la ville, elle se fâcha contre moi parce que je parlais de cela, disant qu’il suffisait d’être fille de l’Église catholique et qu’elle avait davantage de regrets d’avoir commis un péché véniel que si elle était descendante des plus vils et des plus bas vilains et convertis de toute la terre « 

La volte face impressionna suffisamment Jeronimo Gracian pour qu’il la nota. Thérèse d’Avila savait parfaitement que ces titres avaient été achetés à haut prix et la conversation montre qu’elle se défiait du mépris où l’on tenait le peuple juif auquel elle savait appartenir.

En réalité, son père et ses oncles Pedro Sanchez de Cepeda, Ruy Sanchez de Cepeda, Francisco Alvarez de Cepeda ont intenté un procès devant le tribunal de la chancellerie royale de Valladolid pour récupérer leur hidalguia, c’est à dire leur titre de noblesse d’Hidalgo. Elle avait alors cinq ans et demi.

A l’époque, le marranisme se transmettait par les mères… mais Thérèse d’Avila perdit la sienne à 12 ans en 1527. Deux ans plus tard, elle écrit alors de romans de chevalerie et se réfugiait (déjà) dans l’imaginaire.

Juan Sánchez, son grand-père, est mort à Avila en 1507, victime de la peste, huit ans avant la naissance de Thérèse mais nulle doute qu’on lui a parlé de lui et du destin des marranes.

Une vie faite de deuil et de secrets, d’un mère partie trop tôt, de fantômes familiaux et de nobles origines imaginaires, compensés par une imagination débordante… un destin émouvant finalement.

Vivre avec un secret

Le renouveau religieux et mystique du XVIème siècle espagnol comme l’a montré Yosef Hayim Yerushalmi, est dû à un afflux massif de conversos dans l’Eglise. Les uns ont été inquisiteurs (comme Torquemada d’ascendance juive) qui voulaient laver leur origine et d’autres mystiques comme Thérèse d’Avila. La haine de soi et la maniaco-dépression (Cf la « nuit obscure des sens et de l’esprit » de Jean de la Croix le mentor de Thérèse d’Avila qui alterne avec des phases d’illumination) sont deux formes de l’identité marrane scindée.

Sa « vocation religieuse » ne la rattrapera que six ans plus tard, après une grave maladie. Elle prend le voile à 22 ans mais sa vraie « conversion » comme elle dit n’arrivera pas avant la veille de ses 39 ans. Comme une sorte d’anniversaire psychique liée au chiffre 40 symbole de plénitude dans le judaïsme. Comme si elle devait aller de « conversion » en « conversion » pour se laver de manière obsessionnelle du judaïsme des conversos et échapper à son destin.

Un « chemin de perfection »[1] impossible en réalité. Avec un idéal de pureté et une obsession du péché véniel ou mortel qui conduit à la dépression.

Elle souffrira toute sa vie de grandes souffrance physiques, d’épilepsie, d’évanouissements, d’une cardiomyopathie et sera même paralysée de ses membres pendant 3 ans.

En parallèle toute son oeuvre est une tentative d’explication « clinique » d’une sorte de délire mystique fantastique. Elle tente de comprendre ce qui lui arrive par l’introspection (la fameuse oraison du coeur). Des récits merveilleux (transverbération, vision d’anges, extases, transport en enfer ou au purgatoire, prémonition…) qui témoignent comme de l’envers d’une souffrance lancinante. Une sublimation d’un réel trop violent pour être vécu.

Dans son Libro de la vida (Livre de vie) qui n’est autre que son autobiographie écrite en 1566, demandée par ses confesseurs soupçonneux pour exposer son âme et bloqué par l’Inquisition , Thérèse d’Avila brouillera systématiquement les pistes en effaçant les noms des personnes[2]. Elle déclare qu’elle ne nommera ni elle-même ni personne d’autre.

On sait que ce genre d’effacement du nom, cet « forclusion du nom du père » comme dit Lacan conduit à la psychose masi aussi aux plsu grandes oeuvres d’art. Celle-ci se produit souvent en 3 ème génération d’effacement.

Lacan commentant la statue du Bernin comparait son extase à un orgasme ( le séminaire XX de Lacan, tenu en 1972-1973 était intitulé Encore ) :

Il est probable que la mystique tienne dans cette équation impossible qui fait que la femme, l’homme veuille jouir de D-ieu en son corps, comme une dernière protestation contre la mort inéluctable, hors D. ne s’offre pas à la jouissance physique et n’ a pas de corps.

Méfiante de toute autorité Thérèse d’Avila passa sa vie à les jouer les unes contre les autres, un nouveau confesseur contre un ancien, le père général contre le père provincial, l’évêque ou le pape contre le général, le roi contre son ordre, rusant pour fonder des couvents… une forme de rapport à la clandestinité typiquement marrane.

Avec Jean de la Croix, son mentor, Thérèse d’Avila fait partie de ces mystiques chrétiens espagnols qui ont pensé l’intériorité… contre un danger extérieur en réalité. Selon le mot de Michel De Certeau, la mystique moderne est une « fable », pas au sens de fiction mais de fari, ce qui parle, ce qui reste d’une parole perdue. C’est probablement ce qui est arrivé à Thérèse d’Avila avec son Castillo interior « Chateau intérieur ».

Elle mourut le 4 octobre 1582 non pas dans les bras de la Duchesse d’Albe mais dans ceux d’Ana de San Bartholomé (Ana Garcia Manzanas, 1549-1626) une de ces « vilaines » dont les couvents espagnols étaient pleins.

Aujourd’hui les historiens rouvrent le dossier[3].


[1] Camino de perfección selon le titre de son livre publié en 1566

[2] sauf Pierre d’Alcántara, François Borgia et Jean d’Avila

[3] Teófanes Egido, El linaje judeo-converso de Santa Teresa, Madrid, Editorial de Espiritualidad, 1986.

Le genre de truc qui n’arrive qu’à Jérusalem :)

Haïm Harboun nommé « Grand Rabbin »

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Ce soir à Aix en Provence le Rav Haïm Harboun a été nommé Grand Rabbin !

On ne s’y attendait pas. Lui non plus. 60 ans de rabbinat. MAZAL TOV !

Le Grand Rabbin Daniel Dahan a lu la lettre du Grand Rabbin Haïm Korsia à la fin de notre conférence ! Immense émotion.

Première bénédiction du Grand Rabbin Haïm Harboun
Grand Rabbin Haim Harboun et Grand Rabbin Daniel Dahan d’Aix en Provence qui a lu la lettre de nomination du Grand Rabbin Haim Korsia
Minha (il ne sait pas encore qu’il va être nommé)
Grand Rabbin Harboun et Grand Rabbin Dahan d’Aix en Provence
Synagogue d’Aix en Provence. Merci au Grand Rabbin Daniel Dahan qui a organisé tout cela et à la communauté d’Aix en Provence !
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